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Chapitre V

Malko demeura figé une fraction de seconde puis il recula, et se coula dans un coin obscur. Avec l’impression que les battements de son cœur s’entendaient à des kilomètres. Le silence était retombé dans le petit hangar où l’odeur poisseuse du sang se mêlait à la senteur acide de la cordite. Malko n’osait pas bouger d’un centimètre, ayant constaté avec quelle redoutable précision son adversaire l’avait ajusté. L’arme avec laquelle on avait tiré sur lui était équipée d’un silencieux. Or, Gudrun Tindorf se servait toujours d’une arme semblable, comme les gens du Mossad. Malko regrettait amèrement de ne pas être armé.

Moins d’une minute s’était écoulée depuis les coups de feu, passés totalement inaperçus.

Malko bougea imperceptiblement, cherchant à apercevoir l’autre partie du hangar. Impossible de vérifier si Gudrun Tindorf était encore là. N’importe qui d’autre aurait fui, mais, avec ses nerfs d’acier, l’Allemande le guettait peut-être, attendant justement qu’il se manifeste pour l’abattre.

Avec des précautions infinies, Malko allongea le bras, tâtonnant autour de lui. Ses doigts finirent par se refermer sur le goulot d’une bouteille. Ce n’était pas une très bonne arme en face d’un pistolet, mais cela valait mieux que rien. Continuant son exploration, il trouva d’autres bouteilles. Il lui sembla entendre un craquement du côté de l’appentis : Gudrun Tindorf était toujours là et, agacée par l’absence de réaction de Malko, avait décidé de venir le chercher.

Puis de nouveau, le silence. Pour en avoir le cœur net, il saisit une bouteille et la jeta en direction de la porte par laquelle il était entré.

« Plouf-plouf ».

Les deux détonations étouffées étaient si proches qu’elles paraissaient n’en faire qu’une. La bouteille avait volé en éclats avant de toucher le mur. Pas question de tenter une sortie avec une tireuse pareille. Il allait prendre deux balles dans la tête. Gudrun travaillait avec la méthode israélienne : toujours deux coups de feu, pour être sûr de toucher la cible… Quelle bonne femme ! Il ne lui avait pas fallu longtemps pour abandonner sa planque auCarlton, et venir liquider ses complices. Tout cela à cause d’un simple regard. Malko comprenait de mieux en mieux pourquoi elle était toujours vivante.

Nouveau craquement. Cette fois, Gudrun prenait l’offensive.

Il risqua un œil entre deux caisses et l’aperçut. Une silhouette mince, le bras droit tendu, elle se déplaçait comme un chat, par glissements.

Il prêta l’oreille. Que faisait Ferdi ? Aucun bruit ne parvenait de l’extérieur. Gudrun Tindorf ne prenait aucun risque à long terme et avait sûrement décidé de supprimer celui qui pouvait la reconnaître : Malko. Celui-ci regarda autour de lui. De sa position, l’Allemande avait en enfilade les deux portes. Or, il avait un espace découvert de plusieurs mètres à parcourir pour s’enfuir. Aucune diversion ne marcherait avec une femme de cette trempe…

Il recula un peu et se retrouva vite le dos au mur. À ce moment, il entendit un bruit de pas dehors. Le pistolet prolongé du silencieux pivota. Deux silhouettes se découpèrent sur le seuil de la porte, dont une énorme : Gudrun aboya quelque chose et elles s’immobilisèrent. Malgré la pénombre, Malko eut le temps de reconnaître les deux strollies qui l’avaient poursuivi dehors. Apparemment, ils travaillaient avec l’Allemande, car l’un d’eux répondit d’une voix rauque à la jeune femme. Maintenant, il était coincé entre ses trois adversaires… Il n’eut pas le loisir d’avoir des états d’âme. Les deux Noirs se mirent à progresser doucement dans sa direction sous la protection du pistolet de Gudrun Tindorf. Si Malko ne réagissait pas, les deux hommes allaient l’estourbir proprement. Le géant balançait une sorte de gourdin de l’âge des cavernes. L’autre tenait dans la main droite quelque chose qui ressemblait à un cercle de métal hérissé d’aspérités. La pénombre l’empêchait d’en voir plus.

Les deux Noirs avançaient lentement vers lui, silencieux sur leurs baskets. Ils ne l’avaient pas encore repéré dans le fouillis qui encombrait le hangar.

Il se redressa, bloquant sa respiration, serrant dans sa main le goulot d’une bouteille, se confondant avec la paroi, la chemise collée à sa peau par la sueur.

Le géant surgit devant Malko si rapidement qu’il faillit le rater. Il vit l’énorme gourdin clouté, un faciès écrasé avec un gros nez épaté et un front fuyant. De toutes ses forces, il abattit la bouteille sur la main qui tenait le gourdin. Le culot écrasa l’os du poignet du géant qui poussa un hurlement de douleur. Malko jeta le tesson et s’empara d’une autre bouteille au moment où le grand Cafre se retournait vers lui, et fonçait comme un sanglier, la main gauche en avant.

De nouveau, Malko abattit sa bouteille, visant le front. Elle vola en éclats, du sang jaillit et une fraction de seconde plus tard, des doigts noueux se refermèrent autour de sa gorge. Ils tombèrent tous les deux. Le Noir devait peser facilement vingt kilos de plus que lui ! Des kilos de muscles durs comme du métal d’où émanait une forte odeur de musc. Malko n’avait pas lâché sa bouteille brisée. À tâtons, il posa le tesson sur la gorge du Noir et commença à enfoncer en tournant… Depuis longtemps, il ne s’était pas battu avec cette sauvagerie… Son adversaire grogna et dut reculer pour ne pas être égorgé. Malko vit surgir en arrière-plan la silhouette de Gudrun et s’effaça derrière la masse du géant. « Plouf-plouf ». Elle avait tiré de nouveau, et raté. Dehors, il y eut un coup de sifflet strident, et l’Allemande se fondit aussitôt dans la pénombre.

Malko n’eut pas le temps de se réjouir : quelque chose de froid s’enroula autour de sa gorge et plusieurs pointes aiguës s’enfoncèrent dans son cou. En un éclair, il comprit qu’il s’agissait d’un fil de fer barbelé. Utilisé à la façon du terrible lacet d’Elko Krisantem, son maître d’hôtel-garde du corps. Une des pointes, profondément fichée dans la chair de son cou, lui arracha un hurlement. D’un violent coup de genou dans le dos, le petit métis le fit basculer en avant, contre une pile de sacs. Collé à lui, il commença à serrer le fil de fer barbelé, écrasant son larynx, déchirant sa peau, le suffoquant peu à peu. Le géant, pris sous le poids des deux, grogna et, de la main gauche, emprisonna les deux jambes de Malko, l’empêchant de bouger.

Un voile rouge passa devant les yeux de Malko, réduit à l’impuissance, essayant en vain de glisser un doigt entre son cou et le fil de fer. Le sang battait à ses oreilles et ses forces l’abandonnaient. Tout occupés à le tuer, ses deux agresseurs ne disaient plus rien.

Une détonation claqua soudain, très près. Suivie de plusieurs coups de sifflets. Les deux Noirs échangèrent quelques mots à voix basse. Malko, faisant le mort, sentit le géant qui se dégageait.

Le petit métis serra encore un bon coup, puis Malko sentit les piquants arracher sa peau tandis que le tueur récupérait son arme. Un bruit de pas feutrés : les deux Noirs venaient de se glisser à l’extérieur, courant sur leurs baskets comme des fantômes.

Malko se releva, encore sonné, tâtant son cou atrocement douloureux et plein de sang, reprenant peu à peu sa respiration, des lueurs dansant devant ses yeux. Il avait l’impression de respirer du feu liquide.

Une rafale claqua, il entendit des cris et des appels. Il ferma les yeux, pris d’un vertige brusque, écœuré par l’odeur du sang autour de lui. Une silhouette s’encadra brusquement dans la porte et hurla :