Succinctement, il relata ce qui s’était passé, sans, toutefois, mentionner Johanna. Quand il eut fini, le colonel sud-af hocha la tête avec gravité.
— Je ne vous en veux pas, dit-il. Nous ne faisons pas un métier facile. Il n’est pas toujours aisé de savoir où est la vérité… Cependant, je ne dirai rien à ma hiérarchie. Cela compromettrait notre collaboration. J’expliquerai que vous nous avez donné un tuyau et qu’il a été mal exploité.
— Merci, dit Malko touché.
Il commençait à avoir de la fièvre et avait hâte de se reposer.
— Une chose, dit Ferdi. La prochaine fois, il ne faudra pas la rater.
— Nous essaierons, promit Malko.
Il grimpa l’escalator, prit la clef de sa chambre et gagna le sixième étage. On ne pouvait y accéder qu’avec une clef spéciale pour l’ascenseur. Le sang battait douloureusement dans ses carotides et sa Seiko-quartz indiquait une heure trente du matin. Longue journée. Sans même se déshabiller, il s’étendit sur le lit et sombra quelques instants plus tard dans un sommeil profond.
La corde se refermait autour de son cou et la foule vociférait, entourant le gibet improvisé dans la cour du château de Liezen. Au premier rang, Malko reconnut Alexandra qui le fixait d’un œil triste. Elle eut un geste déplacé dans un tel moment, relevant lentement sa large jupe de velours noir afin qu’il puisse apercevoir une ultime fois, la jarretelle grise tranchant sur sa peau blanche.
Puis le bourreau lui donna une violente secousse, ses pieds ne trouvèrent plus que le vide et la corde se serra brutalement, l’étranglant.
Il se réveilla en sursaut avec un hurlement, le cœur battant la chamade. Il lui fallut plusieurs secondes pour réaliser où il se trouvait. La chambre del’Holiday Inn était toujours aussi calme et aseptisée. En revanche, la douleur de son cou était atroce. Il se leva et alla se contempler dans la glace après avoir ôté son pansement. Son cou était semé de boursouflures suppurantes en un sinistre pointillé. La peau rouge et tendue semblait prête à éclater à chaque mouvement. Même pour avaler sa salive, c’était douloureux… Il se jeta sous la douche et en ressortit, criant de douleur. Le contact de l’eau était insupportable… Il dut se contenter d’un bain pris à toute vitesse. Les Sud-Afs l’attendaient pour un meeting important à onze heures. Il se refit un pansement de fortune et descendit.
LeRand Daily Mail mentionnait en quatre lignes les incidents de la veille dans la rubrique faits divers.
Lorsqu’il retrouva Ferdi à Church Street, le Sud-Africain jeta un regard inquiet au cou de Malko.
— Ça doit vous faire horriblement mal, dit-il, il faut voir un médecin. Sinon, cela va s’infecter.
Le meeting avait lieu comme la veille dans la même pièce. Johanna accueillit Malko avec un sourire contraint, toujours aussi sévère en apparence. Trois autres officiers des Services sud-africains attendaient en silence, dont un barbu sorti tout droit d’une image d’Épinal. Ferdi ouvrit le débat, montrant sur l’écran les photos des quatre Noirs trouvés morts dans le hangar.
— Nous avons avancé, annonça-t-il. Ce hangar servait d’entrepôt à une bande de strollies qui pillent les magasins et volent les voitures. Deux des hommes abattus étaient des voyous déjà fichés et arrêtés plusieurs fois, toutefois sans activité politique connue. Les deux autres étaient inconnus.
— Vous avez découvert des choses intéressantes ? demanda Malko.
— Oui, dit Ferdi. Dans le sous-sol, une cache, dissimulée sous des pièces de voitures. Trois pistolets, et surtout, un lot d’explosifs du même type que ceux de Church Street. Avec des détonateurs très sophistiqués qui n’ont pu être fabriqués ici…
— Et Gudrun Tindorf ?
— Rien. Nous avons montré sa photo dans le quartier, mais personne ne paraît la connaître. Par contre, l’équipe que j’ai envoyée auCarlton a appris des choses intéressantes…
— Lesquelles ? demanda Malko.
Ferdi fit un signe à l’officier barbu qui alla ouvrir la porte et poussa dans la pièce un blondinet à la moustache arrogante, complètement défait, livide, au regard fuyant. Il s’effondra littéralement sur une chaise, la tête baissée sous les regards réprobateurs des officiers présents. Johanna lui lança une phrase sèche en afrikaans et il consentit à relever la tête.
— Cet homme est un des concierges duCarlton, Johan Botha, expliqua le colonel sud-africain. Nous l’avons amené ici pour qu’il vous raconte son histoire. Elle est très intéressante.
Il se tourna vers le blondinet :
— Allez-y, monsieur Botha.
L’homme commença dans un anglais hésitant, à peine compréhensible.
— J’ai fait connaissance de Miss Tindorf il y a trois semaines environ, commença-t-il. Elle a demandé à me parler… Nous avons bu un verre dans un bar de la galerie souterraine. Elle se faisait appeler Greta Manstein. Elle m’a expliqué qu’elle était arrivée d’Allemagne avec son protecteur, un riche industriel, qu’ils s’étaient disputés et qu’elle se retrouvait à Jo’Burg sans un sou pour payer son billet de retour en Europe. Qu’elle avait besoin de gagner de l’argent très vite et qu’elle était prête à faire n’importe quoi.
Ferdi l’interrompit, d’une voix égale :
— Vous aviez déjà procuré des prostituées à des clients duCarlton ?
Le blondinet baissa la tête et dit « oui » dans un souffle. Mentalement, Malko nota que Gudrun Tindorf avait dû être au courant de ce fait et avait frappé à coup sûr. Décidément, elle était très forte.
Quand la pomme d’Adam du blondinet eut effectué quelques aller-retour, il reprit d’une voix geignarde :
— D’abord, j’ai refusé…
Ferdi émit un ricanement discret. Botha continua alors :
— Le lendemain, elle m’a demandé de venir dans sa chambre pour me montrer des bijoux qu’elle pouvait vendre… J’y suis allé et…
— Et ?
— Elle n’avait pas de bijoux, avoua le concierge du Carlton, mais m’a reçu dans une tenue, heu…
— Et vous avez couché avec elle.
Silence. Le concierge avala péniblement sa salive et poursuivit sur un ton glacial :
— Ensuite, nous avons fait un accord. Je lui laissais sa chambre et je lui trouvais des clients. Il y a toujours des gens qui demandent ce genre de choses dans un grand hôtel. Il suffit qu’ils voient une jolie femme un peu disponible. Cela a tout de suite très bien marché. Quelquefois, elle n’avait même pas besoin de moi et rencontrait des hommes dans les différents restaurants de l’hôtel. Mais elle était toujours très correcte et me donnait ma part.
— Combien ? demanda Ferdi.
— La moitié, avoua l’autre en baissant les yeux.
— Elle était inscrite sous le nom de Greta Manstein ?
— Non, j’avais peur à cause de la police. Tous les soirs, je mettais la chambre à un nom fantaisiste. Comme elle était payée normalement, personne ne s’en souciait. Cette… jeune femme ne recevait pas de courrier ou de coup de téléphone, donc les standardistes ne pouvaient rien remarquer.
Ferdi se tourna vers Malko.
— Nous avons passé sa chambre au peigne fin, sans rien trouver que des affaires facilement remplaçables. Elle avait dû prévoir une solution de rechange au cas où elle serait obligée de quitter l’hôtel rapidement. L’étude des communications téléphoniques n’a rien donné non plus. Des coups de fils locaux.