Malko tâta son cou enflé et douloureux. Gudrun Tindorf avait du génie. Elle aurait pu rester ainsi très longtemps à l’abri de la police en plein Jo’Burg… Ce qu’il avait pris pour un culot incroyable était en réalité une organisation en béton. Protégée par le concierge, elle était à l’abri de toutes les investigations. Cela ne devait pas la gêner outre mesure d’avoir quelques « clients ».
Une forme d’autofinancement… Ferdi, les traits sévères, lança au concierge blondinet :
— Vous avez de la chance que nous l’ayons forcée à fuir, sinon, elle vous aurait abattu comme ses autres complices.
Le concierge essuya la transpiration qui coulait de son front. Les trois autres officiers le contemplaient comme une limace sortant de sous une souche.
— C’est tout ? demanda Ferdi. Vous ne nous avez rien caché ?
— Rien, je vous jure, bredouilla le concierge. Jamais je ne recommencerai, je le jure, je le jure !
Il était déjà debout, prêt à partir.
— Il ment, lança soudain Malko d’une voix calme.
Ferdi se tourna vers lui :
— Pourquoi ?
— Gudrun Tindorf ne s’est pas adressée à lui au hasard. C’est une femme trop prudente. Elle aurait pu tomber sur un indicateur ou un citoyen zélé. Il y a sûrement un lien entre eux. Interrogez-le.
Le concierge s’était rassis, défait. Ferdi s’approcha de lui, les traits crispés par la rage. Brusquement, il explosa, apostrophant le concierge en afrikaans, postillonnant, martelant des mots incompréhensibles pour Malko. Lorsqu’il se tut, le concierge était recroquevillé sur sa chaise. Ferdi annonça à Malko :
— Je viens de lui expliquer qu’on peut l’envoyer à l’ombre pour cinq ans, si on considère qu’il savait qui était Gudrun Tindorf.
Apparemment, la menace avait fait son effet. Lentement, le concierge tira de sa poche un petit carnet rouge, le feuilleta puis écrivit sur une feuille un nom et un numéro de téléphone. Ferdi s’en empara aussitôt et lut : « Catherine Suideroord. 8372616. » Qui est-ce ?
— Une… call-girl, balbutia le concierge. C’est elle qui m’a envoyé l’autre. Mais je vous jure que…
Accidentellement, le regard de Malko croisa celui de Johanna. La jeune femme était livide, le sang s’était retiré de son visage. Ses deux mains crispées sur son bloc, elle baissait les yeux.
Chapitre VI
Ferdi tendit à Johanna le bout de papier où était inscrit le téléphone de la call-girl.
— Trouvez-moi l’adresse de cette fille.
Johanna, toujours aussi pâle, prit le papier, et sortit aussitôt. Le colonel sud-africain se tourna alors vers Malko :
— Nous allons garder ce type au chaud, le temps d’aller à Jo’Burg discuter un peu avec cette fille. Vous venez avec moi ?
— Certainement, dit Malko.
L’officier barbu entraîna le concierge duCarlton hors de la pièce.
— J’ai une idée, dit soudain Malko. Si j’allais voir cette fille moi-même ?
Ferdi le fixa, l’air étonné :
— Pourquoi ?
— Elle n’est peut-être pas facile, dit Malko. Si on la prend de front et qu’elle refuse de dire ce qu’elle sait, nous sommes coincés. Vous n’avez pas beaucoup de moyens de pression sur elle. Par contre, je peux essayer de lui extirper en douceur ce qu’elle sait.
Si j’échoue, il sera toujours temps pour vous d’intervenir.
Ferdi écoutait en se grattant le menton. Malko avait bien pris soin de ne pas être trop insistant. L’officier sud-africain hocha la tête.
— Vous avez raison, c’est peut-être une bonne idée. Mais je vais vous donner une protection. Qu’on ne recommence pas le coup d’hier soir. On ne sait jamais.
— Absolument, dit Malko.
Calmé, le colonel sud-africain se servit une tasse de thé, imité par Malko. Son cou recommençait à le faire souffrir horriblement. Ils avaient à peine fini leur thé que la porte s’ouvrit sur Johanna, toujours blanche comme un linge.
— J’ai trouvé l’adresse. Colonel, annonça-t-elle. Cette fille habite à Hillbrown, dans la banlieue sud de Jo’Burg.
— Parfait, approuva Ferdi. Nous avons changé nos plans. Notre ami, le prince Linge, va d’abord aller la voir tout seul. Pouvez-vous lui trouver une voiture de protection avec quatre hommes de chez nous ?
Malko eut l’impression que des larmes emplissaient soudain les yeux de Johanna. La jeune femme mit plusieurs secondes à répondre d’une voix presque normale :
— Bien sûr. Colonel.
— À propos, ajouta Ferdi, accompagnez M. Linge à l’infirmerie qu’on lui fasse une piqûre. J’ai l’impression qu’il souffre beaucoup.
— Venez, dit Johanna avec un sourire resplendissant.
Malko la suivit à travers des couloirs verdâtres et quelques portes blindées jusqu’à une petite pièce où officiait une infirmière noire. Celle-ci retira le pansement de Malko et fit la grimace :
— Ce n’est pas beau, c’est en train de s’infecter.
Lorsqu’elle commença à nettoyer les plaies, il crut se trouver mal. Johanna le couvait des yeux. Enfin, le supplice fut terminé, on le repansa et il dut encore subir une piqûre d’antibiotique. L’infirmière l’avertit :
— Il en faut une autre ce soir.
— J’irai la lui faire à son hôtel, proposa vivement Johanna. J’ai une formation médicale. Donnez-moi ce qu’il faut.
Au moment où ils allaient sortir de l’infirmerie, Ferdi surgit.
— C’est bien ! dit-il. J’avais peur que vous soyez parti directement. Téléphonez-moi dès que vous savez quelque chose. Johanna, venez, j’ai des choses pour vous.
Malko se retrouva seul en face de l’ascenseur. Certain que Johanna viendrait bien lui faire sa piqûre. Avant, il avait à convaincre Shona de ne pas faire de vagues…
C’étaient des petites maisons toutes semblables, alignées en face d’un mur aveugle. Un quartier de Noirs évolués, pour ceux qui ne voulaient pas habiter lestownships, les cités-dortoirs noires. Il se dégageait une grande tristesse de cet ensemble, sous le ciel gris. Malko arrêta sa voiture devant le numéro 6. Une maison d’un étage. Derrière lui, la Rover des Services sud-africains s’arrêta sagement à son tour, avec ses quatre gorilles en civil. On ne voyait aucun piéton. Malko pénétra dans un couloir qui sentait le chou et l’odeur fadasse de la dagga.
Catherine Suideroord.Grondhoer.[17]
C’était écrit à l’encre noire, sur un bout de carton. Malko frappa à la porte désignée. Il y eut un remue-ménage à l’intérieur et une voix peu aimable lança à travers le battant quelque chose qu’il ne comprit pas. Il frappa de nouveau, ajoutant :
— Je viens de la part de Johanna.
Cette fois, la porte s’entrouvrit. Hirsute, les cheveux en bataille, vêtue d’un maillot de corps grisâtre et d’un jean, la pulpeuse Shona était méconnaissable. Elle eut un geste de recul en voyant Malko et voulut refermer. Heureusement, il avait glissé son pied dans la porte.
— Laissez-moi entrer, dit-il. C’est important. Sinon, il y a quatre policiers dehors qui prendront le relais.
Les yeux de la Noire chavirèrent et elle ouvrit d’un coup, sans un mot. La petite pièce était un capharnaüm incroyable. Malko aperçut dans un coin l’élégante capeline rouge en équilibre sur un bâton. Shona se laissa tomber sur le lit, montrant à Malko un vieux fauteuil encombré de dessous.
— Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
Elle avait repris sa moue boudeuse, le visage fermé, l’air méprisant.
— La fille dont je vous ai montré la photo, dit Malko, vous la connaissez bien ?