Malko se retrouva seul dans une chambre à un kilomètre de l’entrée, donnant sur le parking, voisine de celles de Ferdi et de Johanna.
Il se demanda ce qui était advenu de Gudrun Tindorf.
Si l’ultimatum de l’ANC n’était pas un bluff, la terroriste allemande devait être au travail : préparant le prochain attentat. La seule chance de l’arrêter était de trouver sa piste à Gaborone et de la remonter ensuite.
— Je vais faire un tour, annonça Malko à Ferdi, au téléphone intérieur.
Son tour s’arrêta en fait à la porte de Johanna. Il frappa et la jeune femme lui ouvrit. En peignoir éponge rose, elle défaisait sa valise. Malko aperçut la crosse d’un pistolet automatique entre la soie de deux combinaisons. Johanna vint s’appuyer contre lui.
— Bienvenue à Gaborone, murmura-t-elle.
Elle se frottait contre lui, de tout son bassin, plus du tout inhibée. Malko écarta le tissu éponge pour caresser un sein. Mais très vite, Johanna reprit ses distances.
— Non, fit-elle à voix basse, Ferdi peut venir. Je ne veux pas qu’il sache.
— Alors, chez moi.
— C’est pareil. On verra plus tard.
Elle le repoussa, le mettant littéralement dehors.
Le supplice de Tantale !
Presque à chaque table du bar, il y avait une pute noire contemplant une orangeade d’un regard mort, attendant le client. Une plus audacieuse, grande et plutôt belle, juchée sur un tabouret, examinait les nouveaux arrivants avec un sourire canaille, la poitrine moulée d’un pull rouge vif, les fesses tellement serrées dans son jean qu’il semblait peint à même la peau. Malko eut droit à une œillade appuyée. Il battit en retraite. Des dizaines de Blancs étaient alignés le long du bar, en train de se saouler à la bière, en reluquant les filles. Il était encore trop tôt pour que les choix soient faits. Une écœurante odeur de bière flottait dans l’air. Une musique tonitruante filtrait du restaurant-night-club voisin, où un couple de pseudocomiques essayaient de dérider des spectateurs qui ne pensaient qu’aux croupes exotiques du bar… La grande tristesse…
Ferdi et Johanna finissaient de dîner au bord de la piscine, l’endroit le plus agréable duGaborone Sun. Presque à chaque minute, un taxi débarquait deux ou trois putes qui s’installaient un peu partout, y compris dans le hall. Des cerbères noirs veillaient à ce qu’elles ne se répandent pas indûment dans les couloirs…
Malko traversa la salle des machines à sous où d’autres filles attendaient, appuyées à la rambarde dominant les tables de roulette et le 21, en contrebas. Certaines très jeunes et appétissantes.
Les croupières portaient toutes de longues jupes roses avec des pulls de laine bleue, moulant des poitrines impressionnantes. Quelques boutons défaits, afin que les joueurs malheureux aient au moins une compensation à leurs pertes. Le regard de Malko fut attiré par une fille habillée différemment qui évoluait derrière les croupières, les surveillant d’un air hautain. Unepit-girl[20].
De complexion claire, elle arborait un chignon strict, contrastant avec une croupe cambrée, des bas noirs émergeant d’une jupe droite. Elle avait fort à faire, car les croupières étaient très familières avec les joueurs et leurs regards aux gagnants, éloquents. Il ne fallait pas que l’argent sorte de la maison…
Malko examinait les filles : laquelle était Wanda ?
Ferdi allait prendre discrètement contact avec l’officier sud-africain, responsable du poste de Gaborone. Malko regagna le patio.
Après le bruit des machines à sous et l’odeur de la bière, le jardin lui parut délicieux. Dès qu’il fut assis, la jambe de Johanna toucha la sienne. Ils en étaient au dessert. Ferdi leva son verre et dit d’un ton grave :
— Je bois à ma femme, Lily.
Touchant. Johanna appuya sa jambe un peu plus contre celle de Malko. Deux putes passèrent, bras dessus bras dessous, cherchant des proies, et rentrèrent. Il faisait frais comme toujours le soir dans le désert.
— On pourrait demander cette Wanda au concierge, suggéra Ferdi.
— Cela risque d’attirer l’attention, dit Malko. J’irai traîner un peu tout à l’heure, bavarder avec les filles. Quelquefois le hasard fait bien les choses.
Johanna se pencha pour ramasser sa serviette, sa main se posa sur la cuisse de Malko et le pinça très fort. Apparemment, elle n’aimait pas la concurrence. Malko se tourna vers elle :
— Johanna, vous m’accompagnez ?
— Non, fit-elle, seul, vous serez plus à l’aise.
Le bar était encore plus bruyant et la bière coulait à flots. Dans un box, trois croupières étaient enroulées autour d’un des « comiques », devant une montagne de bouteilles de bière vides… Une autre dardait une langue rose dans l’oreille de son voisin ivre-mort qui lui pétrissait machinalement la cuisse. Les dernières esseulées du bar commençaient à s’affoler sérieusement, n’ayant pas trouvé preneur. L’une vint carrément se frotter contre Malko et demanda d’une voix douce :
— Please, give me a lift[21].
— Je n’ai pas le temps, dit Malko pour s’en débarrasser.
— Ce n’est pas loin, insista-t-elle, accrochée à son regard. Juste de l’autre côté de Nyerere Drive. Mais j’ai peur seule, il y a toujours des voyous…
Malko eut une brusque inspiration.
— Je cherche une fille qui s’appelle Wanda, dit-il. Elle n’est pas là, ce soir ?
La pute se rembrunit et retourna à son tabouret. Le casino venait de fermer et son personnel féminin était venu prêter main-forte aux putes du bar. D’autres attendaient à l’entrée de l’hôtel pour se faire raccompagner.
L’odeur de bière dans le bar était intenable. Une autre pute fonça sur Malko qui l’évita.
Une voix derrière lui, le fit sursauter :
— Vous avez fait votre choix ?
Johanna le fixait avec un sourire ironique. Il eut un choc agréable. Sa taille était étranglée par une large ceinture de cuir noir, elle portait un chemisier rouge sang de bœuf, moulant ses seins superbes et une jupe de cuir noir lacée par-derrière qui donnait envie de la saisir à pleines mains.
Les putes la regardaient d’un air franchement hostile. Elle allait se faire lyncher. Malko lui prit le bras et l’entraîna vers le couloir.
— Vous êtes folle ! Qu’est-ce que vous faites ici ?
— Je ne pouvais pas dormir. Alors, vous avez trouvé cette Wanda ?
— Non.
— Elle a dû filer depuis longtemps. Tous ces Cafres ne sont pas si idiots qu’on le croit…
— Et Lyle ?
— Ferdi est trop naïf, on ne le reverra pas non plus.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’était pas très optimiste. Les putes refluèrent dans le lobby : le bar fermait. Quelques ivrognes, bière au poing, entourèrent Johanna, louchant sur le cuir noir. Elle eut un sourire ambigu.
— On dirait que j’ai du succès.
Par une porte ouverte, ils aperçurent un ivrogne foudroyé qui ronflait sur son lit ; Malko, en riant, poussa Johanna dans la pièce.