— Vous êtes fou ! chuchota-t-elle.
— Ferdi ne viendra pas nous chercher ici, dit-il.
Elle se laissa embrasser. Puis, centimètre par centimètre, Malko releva la jupe de cuir, faisant apparaître des bas noirs avec les longs serpents des jarretelles. Johanna n’avait rien d’autre. Malko la retourna, l’appuya au mur et la prit ainsi rapidement, explosant très vite dans sa croupe consentante. L’ivrogne ne se réveilla pas.
Ils ressortirent de la chambre, et se quittèrent sur un baiser silencieux.
Le soleil était tombé brutalement sur le désert du Kalahari, comme avalé par une trappe, ne laissant traîner que quelques rayons sur la coupole d’or de la mosquée, au coin de Notwane Drive. Ferdi et Malko, immobiles dans la Honda, écoutaient la radio en silence. La journée avait passé lentement. D’abord à la piscine de l’hôtel, puis en ville où Ferdi était allé de nouveau rendre discrètement visite à son chef de poste, qui ne savait rien. Les autorités botswanaises ne seraient pas d’une grande aide, ne voulant pas se mêler des querelles des Sud-Afs, ni trahir leurs frères de race.
— Il est en retard, le porc ! soupira Ferdi.
Une demi-heure. À tout hasard, l’officier sud-af avait posé un Browning sur ses genoux. Il y avait peu de circulation, à part quelques camions. Malko doutait que le Cafre se montre. Pas fou. Une heure s’écoula. Ferdi se trémoussait en grognant sur son siège. Il n’y avait qu’eux, arrêtés sur le large bas-côté de Nyerere Drive.
Soudain, une silhouette avec un béret surgit et Ferdi fit un appel de phares.
— God verdomp ! C’est lui !
Malko n’en croyait pas ses yeux. C’était bien le visage plat de Lyle. Le métis monta à l’arrière et ôta son béret. Il semblait affolé et fatigué. Ferdi dit sévèrement :
— Alors, Lyle, tu es en retard.
— Je me suis trompé desequel[22], dit le Noir.
— Tu as retrouvé tes amis ?
— Quelques-uns…
Ferdi démarra. Inutile d’attirer davantage l’attention. Il se mit à rouler lentement sur le périphérique désert qui ceinturait Gaborone. Lyle alluma une cigarette de dagga dont l’odeur fade remplit la voiture. Le métis se pencha en avant et lâcha d’une voix pressée :
— Meneer[23], j’ai appris quelque chose de très bon.
— Ah, fit Ferdi d’une voix volontairement indifférente. Ce ne sont pas des conneries ?
— Non, non,Meneer, vous allez être content.
— Quoi ? La fille est ici ?
— Non,Meneer. Pas la fille. Mais il y a un convoi qui va arriver du nord jusque dans un village au bord du Kalahari. Demain soir. Ils viennent de Zambie et ils amènent des explosifs et des armes. Pour passer de l’autre côté de la frontière.
— Goete God ! jura le Sud-Af. Tu es sûr ?
— Oui,Meneer, et il y a un grand chef blanc qui vient pour rencontrer ceux de ton pays.
— Un grand chef blanc. Qui ?
— Il s’appelle Joe. Il vient de Zambie.
— Joe ?
Ferdi donna un violent coup de frein et se gara sur le bas-côté, tournant la tête vers le métis :
— Joe Grodno ?
Lyle grimaça un sourire veule :
— Oui,Meneer, c’est ça, c’est bien le nom.
Chapitre VIII
Le silence incrédule de Ferdi se prolongea plusieurs secondes. Malko observait le métis à la lueur du plafonnier. Lyle transpirait à grosses gouttes. Il détourna vivement le regard et se rencogna dans son siège. Ferdi lança :
— Pourquoi Joe Grodno vient-il ici ?
— Pour chercher la Blanche, celle qui… bredouilla le métis.
— Elle sera là aussi ? interrogea Ferdi.
— Oui, oui.
— Comment vient-elle ?
— Je ne sais pas, chef, je vous jure.
Il semblait paralysé de terreur.
— Qu’est-ce que tu as ? demanda Ferdi.
— Les autres, chef, dit le métis, s’ils savent que je vous dis ça, ils me tuent tout de suite.
L’officier sud-africain eut une grimace méprisante.
— Fallait réfléchir avant de te lancer là-dedans… Tu devrais être derrière des barreaux, en ce moment. Alors, estime-toi heureux. Explique-nous un peu comment est organisé ce rendez-vous.
— Ils arrivent demain à Phuduhudu. Les uns de Zambie, les autres de la frontière en traversant le Molopo. Là-bas, il n’y a pas de militaires, ils sont tranquilles, personne ne les verra.
— Où se trouve cet endroit ? demanda Malko au Sud-Africain.
— Environ à trois cents « kils[24] » à l’ouest de Gaborone, expliqua Ferdi, à la lisière du Kalahari. Quelques cahutes en bordure de la piste. Aucun étranger n’y va jamais. C’est à une journée de Gaborone par la piste et j’ignore même si elle est praticable en ce moment, à cause du début des pluies.
Il se tourna de nouveau vers Lyle et l’interrogea d’une voix sévère :
— Comment sais-tu tout cela ?
— Quelqu’un me l’a dit, bredouilla le métis.
— Qui ?
— Un camarade de l’ANC que je connais. Il partait là-bas avec un « bakkie[25] » pour aller chercher des armes et des explosifs. Il était très excité parce qu’il va rencontrer le grand chef.
— Joe Grodno ?
— Oui.
Brusquement, Ferdi abandonna l’anglais pour l’afrikaans et continua la conversation dans cette langue. Lyle devenait nettement plus prolixe… Il se tut enfin et alluma une cigarette. Ferdi semblait moins tendu.
— Cela se tient, lâcha-t-il en anglais. D’après lui, cette vieille crapule de Joe Grodno vient leur donner des armes et leur remonter le moral. Gudrun Tindorf doit être en train de glisser entre nos doigts et va probablement repartir avec lui, sa mission accomplie.
— Mais leurs menaces ?
— Si elle a formé quelques spécialistes, elle n’a plus besoin d’être là. Ou bien, elle estime que le risque est trop grand de rester en Afrique du Sud.
À l’arrière, Lyle s’agita et dit d’une voix geignarde :
— Meneer, il faut me protéger. Si les autres, ils savent, ils me font beaucoup de mal. Je veux venir à l’hôtel avec vous…
Ferdi eut un haut-le-corps.
— Tu es fou. Il n’y a pas de gens comme toi au Gaborone Sun.
— Alors, je dors dans la voiture…
Il semblait vraiment paniqué. Ferdi réfléchit quelques secondes et dit d’une voix plus douce :
— C’est impossible, mais nous te ramènerons demain au pays, après notre petit voyage. Il faut que tu te caches jusque-là.
Lyle plissa son front bas et finit par dire :
— OK,Meneer, mais…
Ferdi mit en route et coupa court :
— Tu me retrouves à la mosquée, demain soir, à la même heure. Si vraiment tout ce que tu me dis est vrai, peut-être bien que tu n’iras pas en prison…
— Merci,Meneer, balbutia Lyle.
Ferdi se retourna et lui glissa un billet de dix pulas dans la main.
— Allez, va te faire pendre, lança-t-il presque jovialement.
Lyle sauta de la voiture et disparut dans l’obscurité du bas-côté. Malko demanda aussitôt :
— Cela vous paraît crédible cette histoire ?
Ferdi frottait son menton envahi par la barbe.
— Ouais. Cela ressemble à une exfiltration de Gudrun Tindorf combinée avec une livraison d’armes. Pour franchir la frontière de Zambie, elle a besoin des gens de Joe Grodno. C’est donc logique qu’ils se retrouvent à mi-chemin. Au Botswana, ils ne risquent pas grand-chose.