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Malko revoyait le visage sournois de Lyle, sentant que quelque chose ne collait pas.

Ferdi discutait avec les Noirs. Ils avaient fini par extraire le corps de Helda et l’allongèrent sur le sol. L’un d’eux restait à côté pour écarter les nuées de mouches goulues. On n’entendait plus que le bruissement des insectes. La grande paix du désert. Soudain, Malko perçut un ronflement au loin. Il se redressa.

Une Range-Rover couleur sable arrivait à toute vitesse, zigzaguant entre les épineux, soulevant des nuages de poussière. Elle stoppa à côté des débris de l’avion et un homme en descendit, venant à la rencontre de Ferdi. Tiré à quatre épingles, avec une saharienne beige, des cheveux noirs très courts, un regard froid. Les deux hommes s’approchèrent de Malko.

— Le major Carl van Haag, annonça Ferdi. L’adjoint de Piet.

— Vous n’êtes pas sérieusement blessé ? demanda l’officier sud-africain.

— Je ne pense pas, dit Malko, mais votre ami est mal en point.

Un médecin et un infirmier, descendus de la Range, s’occupaient déjà de Piet Hertzog. Le médecin alla examiner le corps de la pilote, et revint, le visage sombre.

— Elle a eu les vertèbres cervicales écrabouillées. Pauvre femme. (Il jeta un coup d’œil sur les débris.) Vous avez eu beaucoup de chance.

C’était aussi l’avis de Malko. Le major van Haag et Piet Hertzog parlaient à voix basse, tandis qu’on administrait un calmant au gros colonel. La chaleur était accablante. Malko but d’un coup la bière qu’on lui tendait. Il ne savait plus si le bruissement des insectes l’assourdissait ou si ça se passait dans sa tête… De nouveau, un vertige. Ferdi annonça :

— Nous retournons à Gaborone, dit-il. On reviendra chercher le corps de la pilote. Nous n’avons pas de place.

Le major van Haag s’approcha à son tour, l’air soucieux :

— Pas d’idée sur l’accident ?

Ferdi secoua la tête :

— Je ne comprends pas… C’était une très bonne pilote, l’appareil venait de subir sa visite de révision, il n’y avait pas de bombe à bord. C’est stupéfiant que les deux moteurs se soient arrêtés en même temps.

— C’est vraiment la fatalité, approuva van Haag.

On était en train d’installer tant bien que mal le colonel Hertzog à l’arrière de la Range-Rover. Malko s’approcha d’un des morceaux du Comanche. Une aile et un moteur. Quelque chose l’intriguait. Pourquoi l’avion n’avait-il pas pris feu ? Lorsqu’il avait perdu son train d’atterrissage, il y avait eu des gerbes d’étincelles, sans conséquences fâcheuses. Il se pencha sur le capot moteur et le souleva. Tout semblait normal. Il s’intéressa alors à un des réservoirs contenus dans l’aile. Coup de chance, le bouchon n’était pas coincé, et il réussit à le dévisser. Par terre, un peu plus loin, il trouva une cuve de carburateur. Il la plongea dans l’ouverture et ramena un peu de carburant qu’il flaira.

C’était ce qu’il pensait.

Les autres étaient remontés dans la Range-Rover et le major van Haag lui faisait signe avec impatience. Malko rejoignit le véhicule, sa cuve à la main.

— Vous avez un briquet ? demanda-t-il à van Haag.

— Un briquet ?

— Oui, je veux vérifier quelque chose.

L’officier sud-africain lui tendit un gros Zippo.

Malko l’alluma et approcha la flamme du carburant. Rien ne se produisit, elle s’éteignit sans que le contenu de la cuve s’enflammât. Il recommença, puis leva ses yeux dorés sur le Sud-Africain qui l’observait.

— Je sais pourquoi notre avion s’est écrasé, annonça-t-il.

— Pourquoi ?

Malko lui tendit la cuve.

— Sentez. Ce n’est pas de l’essence pour moteurs à piston, mais du carburant pour jets, A 1. Du kérosène, qui ne s’enflamme pas. Utilisé pour les avions à réaction. Il devait y avoir encore de l’essence dans les canalisations ; quand elle a été épuisée, les moteurs se sont remplis de kérosène et ont calé.

Le major van Haag vira au rouge brique :

— Quel est ledoos[31] qui…

— Celui qui a fait le plein, dit Malko. Mais vous croyez vraiment que c’est une erreur ?

L’officier ne répondit pas, les yeux fixés sur les débris du Comanche, puis tourna la tête vers Malko.

— Montez vite, nous allons en avoir le cœur net.

Malko se glissa dans la Range-Rover qui démarra aussitôt. Tassé à l’arrière avec l’infirmier et le médecin, Ferdi soutenait Piet Hertzog, très pâle qui se mordait les lèvres pour ne pas hurler. Malko souffrait de ses contusions, mais il se sentait quand même d’attaque et le cerveau clair. Persuadé qu’il ne s’agissait pas d’une fausse manœuvre, mais d’un acte criminel. Tout avait été trop facile depuis leur arrivée à Gaborone…

Ce coup-là était super. Le coupable pourrait toujours plaider l’erreur : il n’y avait aucune preuve. Et si son sabotage avait marché, on n’en aurait probablement jamais rien su…

Il toussa, la poussière du désert pénétrait par tous les interstices de la Range, conduite à tombeau ouvert.

* * *

La Range-Rover stoppa dans le parking de l’aéroport et les trois hommes en descendirent. Ils s’étaient arrêtés trente secondes à l’hôpital pour déposer Piet Hertzog. Le major van Haag fonça droit au bureau de l’aéroport.

— Où est le mécanicien qui s’est occupé du Comanche ? demanda-t-il.

Le Noir de service lui jeta un regard endormi.

— Vers les hangars. Pourquoi ?

— Il a foutu du kérosène à la place de l’essence !

— Ça, ce n’est pas bien du tout ! fit l’employé.

Les trois hommes étaient déjà ressortis. Cent mètres jusqu’au hangar d’entretien. Une demi-douzaine de Botswanais s’y affairaient mollement. Le major van Haag en interpella un dans sa langue et aussitôt changea d’expression. Il se retourna vers eux.

— Le salaud vient de partir, annonça-t-il, prétendant être malade. Il y a une heure ! Dès qu’on a appris que l’avion s’était écrasé.

— Au moins, nous savons à quoi nous en tenir, remarqua Malko.

Le major continuait à discourir en tswana. Il nota une adresse.

— Allons chez lui, dit-il. On va peut-être le piéger.

Nouvelle course sur Nyerere Drive.

Bifurcation dans la poussière. Les vieilles baraques en bois avec des vérandas où les Noirs les regardaient avec curiosité. Le mécanicien habitait au bout de Kwalata Close dans le sud de la ville. Une grosse Noire les accueillit. De nouveau, le tswana du major van Haag fit merveille. Hélas, ils arrivaient trop tard.

— Ce salaud est repassé par ici, expliqua-t-il. Il a dit à sa famille qu’il était obligé de repartir dans son village pour quelque temps. Il prend le bus jusqu’à Mahalapye. Je sais d’où partent les bus, il y a une chance de l’intercepter.

Nouvelle course jusqu’à Queen’s Road, au centre de la ville. Une des deux voies parallèles enfermant le Mail, rue piétonnière regroupant pratiquement tous les magasins de Gaborone. Devant une rangée de bâtiments modernes, des bus étaient en partance pour différentes directions. Chacun portait sa destination à l’avant. Certains étaient déjà bourrés à craquer, d’autres se remplissaient lentement, dans une pagaille très africaine, au milieu des couffins, des enfants, des marchands ambulants. Les trois Blancs se mirent à remonter la file des bus examinant chacun d’entre eux. Mafikeng, Molepolole, Kanye, Mochudi, Mahalapye !

Celui-là était pratiquement vide, assiégé par une meute bruyante. Malko s’arrêta, découragé par cette foule où tous les Noirs semblaient identiques. Se sentant incapable de reconnaître le mécanicien ! Bien sûr, il l’avait aperçu le matin, au décollage, mais sans y prêter la moindre attention… Malko regarda à l’intérieur du bus. Il n’y avait qu’un homme, très âgé et plusieurs femmes avec des ribambelles d’enfants. Sous les coups de gueule du conducteur, une queue s’était vaguement formée. Il commença à la remonter lentement, dévisageant chaque passager avec insistance.