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— C’était courir un gros risque. Les Sud-Africains auraient mis une pression terrible sur les Botswanais pour la récupérer. Ces derniers pouvaient nous forcer à la libérer. Devant cette alternative, j’ai préféré utiliser cette femme pour dégoûter les agents sud-africains de rester ici.

— J’espère que vous avez eu raison, soupira le Soviétique. Et que vous n’arriverez pas au résultat inverse.

Joe Grodno ôta ses lunettes dans un geste familier et laissa tomber :

— Dans ce cas, je mettrai en œuvre d’autres moyens. La présence de ces gens ici représente un grave danger.

— Faites attention aux Botswanais, souligna le Soviétique. Ils sont très nerveux. Déjà, ils m’ont posé beaucoup de questions au sujet du camarade Oustinov. Ils se doutent de quelque chose. Je ne pourrais plus vous apporter la même aide dans un cas similaire…

Il avait dans sa poche un télex de Moscou l’engueulant vertement pour avoir participé au meurtre du mécanicien-saboteur. Seulement, Joe Grodno avait lui aussi rang de colonel du KGB et n’appelait pas au secours pour rien. Il avait agi pour protéger une importante opération de déstabilisation dont bénéficierait à long terme l’Union Soviétique. Certes, ce n’était pas une raison pour jouer les cow-boys. À force de vivre dans la clandestinité, le vieux Lituanien ne se rendait plus compte de certaines choses. Une ambassade, c’était sacré. Trop de diplomates soviétiques avaient été expulsés à travers le monde. Au Botswana, il fallait garder un profil bas.

Les deux hommes discutèrent encore d’un certain nombre de problèmes techniques. Le rezident réitéra une invitation à Moscou à laquelle Joe Grodno n’avait pas le temps de se rendre, puis ils se séparèrent. Baiser sur la bouche.

Grodno, en remontant dans la Mercedes, était un peu amer. Les Soviétiques le lâchaient dans un moment crucial. C’était à lui d’assurer sa propre sécurité. Or, il n’avait aucune confiance dans les Botswanais. Les Sud-Afs avaient sûrement des informateurs dans la police. S’ils découvraient ce qui se tramait : adieu le vieux Joe Grodno…

Il agita le bras en direction de Viktor Gorbatchev qui lui disait au revoir à partir du perron. À peine la voiture eut-elle disparu que le rezident se hâta vers son bureau afin d’envoyer un télex à Moscou. Joe Grodno était, certes, un élément précieux, mais sa soif de vengeance à l’égard des Sud-Afs risquait de le mener trop loin.

* * *

Ferdi avait retrouvé Malko au bar et, avant même de lui dire un mot, s’était fait servir un double J & B. Le tumulte était toujours aussi fort, entre les discussions des soiffards et la musique.

— Carl n’avait rien pu apprendre, laissa tomber Ferdi, découragé. Je commence à en avoir marre de ce pays de merde… Il va venir nous rejoindre tout à l’heure. J’ai l’impression que ses contacts botswanais le mènent en bateau.

Malko qui avait faim eut beaucoup de mal à l’arracher du bar, pour le traîner dans le restaurant où les deux fantaisistes faisaient toujours leur numéro débile. Il était aussi choqué que le Sud-Africain par la mort horrible de Johanna, mais tentait de rester lucide. Ils étaient en train de dîner lorsque le major van Haag fit son apparition, toujours aussi sévère, visiblement perturbé, et s’attabla avec eux. Lui avait déjà dîné.

— J’ai reçu un coup de fil étrange, annonça-t-il.

— Qui ?

— Le rezident Viktor Gorbatchev que j’avais déjà rencontré. Il voulait me présenter ses condoléances pour la mort de Johanna. Avec insistance. Comme pour me persuader qu’il n’y était pour rien.

— C’est probablement vrai, remarqua Malko, même s’il sait qui l’a tuée. Ils n’aiment pas beaucoup ce genre d’affaires. Et pourtant, cette fois, ils y sont mouillés jusqu’au cou…

— Si on pouvait se payer ces salauds, soupira Ferdi.

— Ne rêvez pas, dit Malko.

Carl van Haag semblait perdu dans ses pensées. Il sortit de son mutisme pour lâcher :

— J’ai quand même obtenu une information. Par un haut fonctionnaire de la police qui est sur mon payroll : Grodno serait à Gaborone…

— Où ? rugit Ferdi.

— Ça, il ne me l’a pas dit… Par contre, il m’a laissé entendre que le gouvernement botswanais verrait d’un très mauvais œil une action violente contre lui.

Ferdi s’étrangla de rage :

— Alors, en plus, ils le protègent. Si je le trouve, je lui vide mon chargeur dans le ventre.

Toujours froid, Carl van Haag lui jeta un regard réprobateur :

— J’ai autant envie que vous de venger Johanna et d’arrêter ce qui se trame, dit-il. Mais nous devons y aller sur la pointe des pieds. Je me demande pourquoi Grodno prend le risque de rester ici, si mon informateur a dit vrai.

— Il attend quelque chose, dit Ferdi.

— Ou quelqu’un, souligna Malko. Comme Gudrun Tindorf.

Joe Grodno donnait ses ordres à Lyle de sa voix un peu cassée, très lentement pour que le Cafre comprenne bien. Ce dernier avait prouvé avec Johanna qu’il ne reculait devant rien. Ce qu’il avait à faire maintenant était un peu plus dangereux, mais plus utile.

— Tu as compris ? demanda le Lituanien.

— Oui, fit Lyle. J’y vais.

— Fais attention.

Lyle, mû par la haine, était un élément précieux. Et Grodno était sûr qu’il remplirait bien sa mission. Ce qui l’inquiétait c’était de n’avoir aucune nouvelle de Gudrun. Car il était en train de brûler ses dernières cartouches. Il ne pouvait pas quitter Gaborone sans avoir récupéré l’Allemande et les informations précieuses qu’elle ramenait. La clef de sa campagne de terreur.

Chapitre XI

Depuis un bon moment, Ferdi s’était muré dans un silence abattu, fixant d’un œil torve son verre de Gaston de Lagrange. La rumeur du bar bourré à craquer résonnait douloureusement dans les oreilles de Malko, ivre de fatigue. L’incident de Pretoria, le crash du Comanche et les émotions qui avaient suivi finissaient par venir à bout de sa résistance. Après deux Stolichnaya, il n’avait plus qu’une envie : se coucher et cesser de penser. Le major van Haag rapporterait peut-être des informations fraîches le lendemain qui leur permettrait d’agir, mais pour ce soir, ils ne pouvaient plus rien tenter. Il leva les yeux et croisa le regard insistant d’une pute encore libre, appuyée au comptoir.

— On va se coucher, Ferdi ? demanda Malko.

Le Sud-Africain secoua la tête, accroché à son cognac comme un naufragé à sa bouée.

— Je reste encore un peu. Je n’ai pas sommeil.

Malko n’insista pas. Il sentait son homologue bouleversé par la mort de Johanna. Comme lui, d’ailleurs, mais Ferdi encaissait moins bien le choc. Il lui donna une tape amicale sur l’épaule et sortit du bar, suivi à distance par trois ou quatre putes. Le long couloir verdâtre lui donna la nausée.

Avant de se coucher, il posa près de son lit, par terre, un Browning donné par van Haag, une balle dans le canon. On ne savait jamais. L’image de Johanna flottait devant ses yeux, obsédante, horrible ! L’inhumation aurait lieu le lendemain, à Pretoria. Il revoyait sa joie lorsque Ferdi lui avait annoncé qu’elle venait avec eux à Gaborone.

Gaborone, petite ville pimpante et plate en plein désert, s’était révélée un nid de vipères ! Grodno, Lyle, les Soviétiques du KGB ne risquaient pas grand-chose, étant donné la neutralité du pays. Il repensa soudain à la mystérieuse Wanda. C’était la dernière piste qu’il restait à explorer. Si elle existait… Il se promit d’en parler à van Haag le lendemain. Par la police bostwanaise, ils apprendraient peut-être quelque chose. Sur cette dernière pensée, il sombra dans un sommeil profond.