— Qu’est-ce qui est arrivé ? Vous n’étiez pas avec lui ?
— Si, dit Malko, mais je suis allé me coucher le premier.
Vraisemblablement, Ferdi avait continué à boire au bar. Mais ensuite ?
— Vous croyez qu’il est parti avec une de ces filles ? demanda le major.
— Je ne pense pas, il semblait très amoureux de sa femme. Cependant, hier soir, il était perturbé par la mort de Johanna… Il a pu se laisser entraîner dans un piège.
— Ce crime ne restera pas impuni, je vous le jure… promit van Haag. Ferdi était un camarade merveilleux, un…
Il s’arrêta, des sanglots dans la gorge, détourna la tête et parvint à dire, d’une voix un peu plus ferme :
— Rejoignez-moi à la villa vers midi. Je dois envoyer un message à Pretoria.
Une ambulance venait d’emporter le corps de Ferdi. Malko alla au bar et se fit servir une vodka.
Ils étaient arrivés à trois à Gaborone et maintenant, il était le seul survivant. Ivre de rage, il réalisa combien leurs adversaires les avaient manipulés. Ferdi s’était trompé complètement sur Lyle qui n’était pas le Cafre abruti qu’il pensait. Il en était mort, Johanna aussi, et Lyle était perdu dans la nature comme Gudrun Tindorf. Chaque fois qu’ils semblaient toucher au but, l’objectif s’évanouissait. Leurs adversaires bétonnaient impitoyablement toute piste.
Seul, qu’allait-il pouvoir faire ?
Avant tout, il lui fallait un véhicule. Il se fit conduire en taxi au bureau de location de Budget, sur le minuscule aéroport. Il y loua en cinq minutes une Sierra bleue identique à celle de Pretoria, et tout aussi neuve.
Ensuite il gagna la villa du major van Haag.
Carl van Haag vint au-devant de Malko, la figure à l’envers. Ils se serrèrent longuement la main et l’officier Sud-Africain annonça :
— Je reviens du Criminal Department. Ils n’ont aucune piste. D’après l’enquête qu’ils ont effectuée, Ferdi est sorti seul vers deux heures du matin. Plusieurs témoins l’ont vu.
La table était dressée sous la véranda. Carl van Haag se recueillit un peu plus longtemps que d’habitude avant de s’asseoir.
— Et cette Wanda ? demanda Malko. Aucune trace ?
— Aucune, avoua le Sud-Af. J’ai parlé au lieutenant chargé du Vice Squad. Il connaît toutes les putes du Gaborone Sun. Aucune d’elles ne s’appelle Wanda.
— Envoyez un télex à Pretoria, demanda Malko. Qu’on réinterroge celle qui m’a mis sur cette piste.
— Je le fais immédiatement, répondit Carl van Haag. Qu’ils s’y mettent tout de suite.
Quand il revint ils mangèrent sans appétit un steak et burent un café.
— Et la planque de Joe Grodno ? demanda Malko.
— Rien de nouveau, dit Carl van Haag.
— Vous n’avez toujours aucune information sur Gudrun Tindorf ?
— Aucune, avoua Carl van Haag.
— À mon avis, fit Malko, c’est ici que nous allons la retrouver. Cela expliquerait la présence de Grodno. Il est venu l’exfiltrer et la ramener en Zambie ou ailleurs.
Carl van Haag regarda sa montre :
— Je vais voir s’ils ont reçu le télex, je reviens tout de suite.
Il sortit de table, laissant Malko, pensif, contemplant machinalement les massifs de fleurs. Le meurtre de Ferdi avait été planifié à partir duGaborone Sun. Son intuition lui disait que la mystérieuse Wanda y était pour quelque chose… Il repassa tous les événements depuis leur arrivée et parvint à une conclusion aveuglante. Basée, hélas, sur des suppositions. Carl van Haag réapparut :
— C’est fait. Ils nous télexent ce soir.
— En attendant j’ai une idée, dit Malko. Je crois savoir qui est responsable de la mort de Ferdi.
Chapitre XII
— Vous la connaissez ! fit Carl van Haag, médusé. Mais pourquoi ne pas l’avoir dit à la police ?
— Ce n’est qu’une hypothèse, expliqua calmement Malko. Il y a auGaborone Sun une fille pour laquelle Ferdi éprouvait une certaine attirance. S’il a suivi quelqu’un, c’est celle-là.
— Qui est-ce ? Il faut la faire arrêter tout de suite !
— C’est Wanda.
— Wanda ? Mais je croyais que nous ne l’avions pas identifiée ?
— C’est vrai, mais j’ai des soupçons. Si on l’arrête, elle niera. Nous n’avons aucune preuve. Je préfère essayer de la coincer d’une autre façon.
— Dites-moi son nom.
— Louisa. Lapit-girl. Une splendide métisse.
— Ne faites pas comme Ferdi, fit avec tristesse l’officier sud-af. Voyez où cela l’a mené…
Malko décida de vaincre la réticence de son compagnon.
— Vous allez me déposer auGaborone Sun. S’il y a du nouveau par Pretoria, vous me tenez au courant. Sinon, je vais tenter quelque chose. S’il m’arrivait la même chose qu’à Ferdi, vous savez au moins de qui il s’agit… Et si j’ai raison, nous avons une chance de remonter jusqu’à Joseph Grodno et Gudrun Tindorf.
Malko avait très envie d’avoir raison et en même temps il savait qu’il allait affronter de nouvelles horreurs. Celle qui avait entraîné Ferdi dans son guet-apens mortel était dangereuse comme un cobra. Elle aussi pouvait se méfier.
Une foule dense évoluait autour des machines à sous. Malko se fraya un chemin jusqu’à la balustrade dominant la salle de jeux proprement dite et s’y accouda. Toutes les tables de roulette et de black-jack fonctionnaient. Il chercha des yeux celle qui l’intéressait et la repéra entre les deux dernières tables de roulette, surveillant la boule. Toujours aussi sculpturale, grâce à un bustier lacé dans le dos, qui offrait ses seins café au lait comme sur un plateau, et sa stricte jupe noire droite d’où émergeaient des jambes au galbe splendide… Louisa, lapit-girl. Tous les hommes cherchaient à s’en approcher et elle leur souriait parfois, altière et hautaine.
Il plongea au milieu des joueurs et se faufila vers une table particulièrement animée, non loin de l’endroit où se trouvait lapit-girl. Puis, il attendit, noyé dans la foule, caché derrière un énorme Boer. L’occasion se présenta quelques minutes plus tard. Lapit-girl s’était approchée pour un changement de croupières. Sans se montrer, Malko lança :
— Wanda !
Du coin de l’œil, il vit lapit-girl tourner brusquement la tête, puis reprendre une attitude indifférente.
Dans le brouhaha, c’était impossible de savoir qui l’avait appelée. Malko attendit qu’elle se soit éloignée pour disparaître à son tour et regagner sa chambre.
Carl van Haag devait être couché sur le téléphone car il décrocha instantanément.
— J’avais raison, annonça Malko. C’est bien celle que je pensais.
— Bravo, fit van Haag. Parce que j’ai eu tout à l’heure la réponse de Pretoria. Cette Shona a disparu. Que comptez-vous faire ?
Malko le lui expliqua. Préférant agir seul.
Il s’allongea ensuite sur son lit, après avoir mis son réveil à une heure et demie. Il n’eut pas à s’en servir, car il ne put fermer l’œil. Un peu avant l’heure, il prit le gros Browning, le glissa sous sa chemise à la hauteur de la ceinture, mit un chargeur de rechange dans sa poche avec sa clef et fit coulisser la porte-fenêtre donnant sur le parking.
Celui-ci était désert. Malko referma la baie vitrée, la verrouillant. De cette façon, personne ne pouvait vérifier s’il se trouvait dans sa chambre ou non. Il partit à pied, traversant le parking et franchit la haie le séparant du bas-côté de Nyerere Drive. Ensuite, il traversa l’avenue, parcourut une centaine de mètres, retraversa et rentra dans le parking duGaborone Sun par la sortie pour gagner la Sierra louée chez Budget le matin même, garée en vue de l’entrée et s’y installa. Ainsi, personne ne l’avait vu sortir du motel.