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Il n’y avait plus qu’à attendre.

Glaces ouvertes, il surveillait l’entrée. Une brise fraîche aurait pu faire croire qu’on se trouvait en Europe. Il était deux heures moins dix, et il attendait peut-être pour rien. Lapit-girl pouvait très bien ne pas partir seule. Dans ce cas, son plan ne fonctionnerait pas.

* * *

Des grappes de filles sortaient sans cesse du motel. Des putes. Enfin, il vit apparaître celle qu’il attendait. Sa Seiko-quartz lumineuse indiquait deux heures et demie.

Lapit-girl était seule. Elle monta dans un taxi qui démarra, filant vers la sortie. Malko mit en route et prit le même chemin, sans allumer ses phares. Il vit le taxi tourner à gauche dans Nyerere Drive, lui laissa prendre un peu d’avance et s’engagea à son tour sur le grand périphérique, allumant alors ses phares. Ils franchirent deuxsequel et au troisième, le taxi tourna dans Kaunda Road. Puis, tout de suite à droite dans une petite voie mal éclairée. Il parcourut cinq cents mètres et stoppa. Malko, qui avait de nouveau éteint ses phares, en fit autant, cinquante mètres derrière, et s’élança en courant vers le taxi. Ce dernier était en train de faire demi-tour. Malko aperçut lapit-girl qui se dirigeait vers une maison. Malko arriva derrière elle juste quand elle allait pousser la porte. Il appela doucement :

— Wanda !

Lapit-girl se retourna brusquement. Malko leva le bras et la torche électrique qu’il tenait dans la main gauche, inonda le visage de la métisse d’une lumière crue. Elle semblait paralysée… Il avança d’un pas.

— Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle d’une voix altérée par la peur.

Brièvement, Malko éclaira son propre visage, et sa main droite tenant le gros pistolet noir.

— Ce n’est que moi, dit-il.

Aussitôt, il rebraqua le faisceau de lumière sur elle.

Pendant quelques secondes, la métisse demeura strictement immobile. Puis, la vie revint dans son corps. Lentement, sa main droite glissa d’un geste naturel vers son sac et elle demanda d’une voix étonnée :

— Que faites-vous ici ? Pourquoi cette arme ?

Malko s’approcha encore, le Browning braqué sur la jeune femme.

— Ne faites pas l’idiote, Wanda, dit-il, je ne suis pas Ferdi. D’abord, jetez votre sac par terre.

Comme elle ne bougeait pas, il allongea le bras tenant la torche et lui fit lâcher son sac.

— Reculez.

Elle obéit. Il se pencha, retourna le sac. Avec un bruit mat, un petit revolver en tomba. Malko le ramassa et le mit dans sa poche. Puis de son pistolet, il désigna la porte où pendait le trousseau de clefs.

— Entrez. Je crois que nous avons à bavarder. Il y a quelqu’un à l’intérieur ?

— Non, fit-elle d’une voix étranglée… Mais…

— Entrez !

Il la poussa légèrement et elle obéit enfin, allumant une minuscule entrée. Dès qu’elle fut à l’intérieur, il referma tenant sous son feu l’entrée et les deux portes qui y donnaient.

— Vous allez ouvrir ces deux portes, ordonna-t-il.

— Vous êtes fou !

Ils s’affrontèrent du regard pendant quelques instants, puis elle finit par céder. Malko se sentait infiniment triste. Louisa était superbe, féminine, sensuelle. Comment avait-elle pu être mêlée au meurtre sauvage de Ferdi ?

— Allumez, dit-il, une fois qu’elle eut ouvert les portes.

Elle s’exécuta. Les deux pièces étaient vides. Une cuisine et une chambre pauvrement meublées. Seul luxe : une télé couplée à un vieux magnétoscope Akaï avec une pile de cassettes. Malko verrouilla la porte d’entrée, laissa la clef dans la serrure et fit entrer la jeune femme dans la chambre. Elle s’assit sur le lit, tandis qu’il restait debout. Lapit-girl semblait avoir retrouvé tout son sang-froid. Elle alluma une cigarette et fixa Malko de ses grands yeux en amande.

— Alors, que voulez-vous ?

— D’abord, dit-il, vous m’avez dit vous appeler Louisa. Vous avez répondu quand je vous ai appelée Wanda. L’autre soir, je vous ai demandée si vous connaissiez quelqu’un de ce nom, et vous avez dit « non ».

— C’est un nom que j’ai porté, mais que je préfère oublier, répondit-elle. C’est vous qui m’avez appelée aussi tout à l’heure dans la salle de jeux ?

— Oui, dit Malko.

Il prit l’arme qu’il avait trouvée dans le sac, la tenant par le canon.

— Pourquoi avez-vous cela ?

Louisa eut un sourire triste.

— Si vous étiez une jolie femme et que vous vous promeniez la nuit dans Gaborone, vous ne poseriez pas cette question. Vos amis sud-africains se montrent parfois très pressants quand ils ont bu. La semaine dernière, ils m’attendaient à cinq dans le parking du Gaborone Sun pour me violer. Si je n’avais pas eu ce revolver… Mais d’abord, pourquoi me posez-vous toutes ces questions ?

Malko remit l’arme dans sa poche. Louisa-Wanda allait être difficile à faire craquer.

— Bien, dit-il, laissons cela. Vous plaisiez beaucoup à mon ami Ferdi. Quand je l’ai laissé au bar, vous étiez au casino. À mon avis, vous êtes la seule femme qu’il ait eu envie de suivre.

Elle le fixa, avec un regard étonné.

— La police a interrogé tout le monde. Votre ami est sorti seul. Tous les gens de l’hôtel ne parlent que de ce meurtre. Et pourquoi aurais-je voulu tuer votre ami, il était très sympathique.

Elle ne semblait même pas émue.

— Parce que vous avez des contacts avec des gens qui voulaient la peau de Ferdi.

— Qui ?

— Ceux qui vous connaissent sous le nom de Wanda.

Elle hocha la tête, ses yeux marron soudain empreints de tristesse.

— Wanda… je suis surprise que vous connaissiez ce nom.

— Pourquoi ?

— C’est un nom que je n’utilise plus depuis un certain temps. Comment le connaissiez-vous ?

— Quelqu’un me l’a donné à Jo’Burg, dit-il, en me disant que vous étiez une call-girl.

— C’est parfaitement vrai, dit-elle calmement. J’ai été une prostituée. Vous voulez connaître mon histoire ?

— Allez-y, dit Malko.

— Vous savez qui est mon père ?

— Non.

— Un pasteur de l’Église Réformée Hollandaise. Un de ces salauds qui prêchent que Dieu aime les Blancs et qu’il ne faut pas se mélanger avec les Noirs. Eh bien, il s’est mélangé avec une Basuto, une domestique qui faisait aussi la cuisine… C’était ma mère. Quand il s’est aperçu qu’elle était enceinte, il l’a flanquée à la porte.

À cette époque, l’apartheid, c’était encore très strict. Alors ma mère est allée vivre sur un des plateaux qui entourent Capetown dans un pondokkie…

— Qu’est-ce que c’est ?

Elle tira un peu sur sa cigarette, avant de répondre :

— Une sorte de hutte en tôle ondulée et en planches, le tout tenant avec des fils de fer. C’est là que j’ai grandi. Il y fait très chaud et très sec, il n’y a pas d’eau et il y avait des ronces jusque devant la porte. En juin et juillet, il y a les pluies et l’eau rentre partout, emportant le toit et les murs. Quand c’était fini, on allait les chercher et on essayait de les remettre debout. L’été, c’était pire. Avec la tôle ondulée, notre seule pièce était un four. Ma mère est morte quand j’avais quinze ans, piquée par un serpent. On l’a enterrée dans un trou creusé dans le sable avec des bouts de fer par dessus pour que les chiens ne viennent pas la manger et j’ai été recueillie par la famille du pondokkie voisin. Un gros type qui se fabriquait de la liqueur avec des myrtilles et de l’alcool de méthyl. Le premier soir, il m’a mise sur une paillasse à l’écart et il m’a violée dès que sa femme s’est endormie. Je n’ai rien osé dire, sinon il me jetait dehors. Ça a duré deux ans et je suis partie au Cap.