— Tu n’as pas été content de ta putain, murmura-t-elle. Tu n’as pas envie de te servir de moi encore. Qu’est-ce que tu veux ? Ma bouche, mon ventre, mes fesses ?
Sa voix contrôlée était tout aussi sensuelle que la musique. Elle l’embrassa longuement, puis une main se faufila entre leurs deux corps, elle prit son pistolet entre deux doigts et le jeta sur le fauteuil.
Il se retrouva sur le lit, collé à elle, sans trop savoir comment. Comme la veille, elle avait écarté sa chemise et lui agaçait la poitrine avec une habileté diabolique. Il la caressa, laissant filer ses doigts sur le nylon des bas, trouvant son sexe. Elle se tortilla pour se dégager de sa jupe, et l’attira sur elle.
— Baise-moi, murmura-t-elle. Viens jouir au fond de mon ventre.
Elle était offerte et il la pénétra d’une seule poussée qui l’engloutit tout entier. Ses reins se soulevaient, elle tressaillait, haletait. Quand il lui prit un sein à pleine main, elle gémit et le mordit. Elle était merveilleusement lascive, offerte, onctueuse, remuant sans cesse. C’est elle qui supplia Malko de se dépêcher de jouir.
Il cria et ils demeurèrent ensuite foudroyés. En dépit du plaisir qu’il venait d’éprouver, Malko ressentait un malaise bizarre. Trop de choses ne collaient pas dans cette histoire. Il n’arrivait pas à sonder le regard de la jeune métisse. Cette passion brusque pour lui aussi, lui semblait un peu étrange, artificielle. Et pourtant, elle semblait si amoureuse, si ouverte…
Wanda étendit la main vers son sac, pour prendre des cigarettes, mais d’un coup de coude involontaire le fit tomber. Son contenu se répandit sur le tapis. Malko aperçut un tube jaune et lut son nom « Hyalo-miel[34] ». Il n’y aurait peut-être pas prêté attention si ce n’avait été le premier objet qu’elle remit dans son sac. À cette seconde, il sut avec certitude qui avait entraîné Ferdi vers la mort. Il se redressa, glacé intérieurement.
Wanda lui glissa un regard bizarre.
— Tu n’aimes pas faire l’amour avec moi ? Tu es déjà fatigué ?
— Oui, dit Malko.
Son cœur battait à cent vingt pulsations-minute. Il n’avait plus qu’une idée. Se retrouver hors de cette maison. Il fit un pas vers le fauteuil où se trouvait son pistolet.
Wanda, plus proche, y arriva une fraction de seconde avant lui, saisit l’arme par le canon et la jeta sous le lit. Puis, mettant deux doigts entre ses dents, elle poussa un violent coup de sifflet strident. Sa belle bouche était maintenant déformée par un rictus haineux qui l’enlaidissait.
— Vous les salauds de Blancs, vous êtes tous aussi cons ! laissa-t-elle tomber.
Malko entendit un piétinement à l’extérieur et une clef tourna dans la serrure de la porte d’entrée. Wanda l’observait, les mains sur les hanches, superbe.
— Tu es foutu ! dit-elle. Tous mes amis sont là. Ils vont te découper à la machette et te jeter aux chiens. Comme vous faites chez vous…
La porte s’ouvrit brusquement, Malko eut le temps d’apercevoir une face noire et une mitraillette. À toute volée il rabattit la porte de la chambre et la coinça avec une chaise. Wanda ricana dans son dos.
— Cela ne sert à rien. Tu vas crever comme ton copain.
Il y eut des bruissements à l’extérieur et une voix masculine demanda quelque chose à travers le battant. Wanda lança un appel. Aussitôt, la porte commença à trembler sous les coups. Malko n’hésita pas. D’une violente manchette, il frappa Wanda à la gorge. Elle tomba sur le lit. Il plongea aussitôt à plat ventre, récupérant son arme. Lorsqu’il sentit la crosse dans sa main, les battements de son cœur se calmèrent un peu. Wanda était en train de se relever. D’un bond, il fut sur elle, noua son bras gauche autour de son cou et enfonça le canon du Browning sous son oreille, cran de sûreté, relevé.
— Dis-leur que s’ils entrent je te tue.
Elle tourna vers lui un visage crispé de haine :
— Imbécile ! S’il le faut, je mourrai.
Cependant, elle cria quelque chose et le tumulte s’apaisa. Poussant Wanda devant lui, Malko ouvrit la fenêtre qui donnait sur le jardinet sombre. Serré contre la jeune femme, il enjamba le rebord, le pistolet menaçant toujours la tête de Wanda.
Ils atterrirent dans le jardinet. Il devina des silhouettes tout autour de lui, mais personne ne bougea. Traînant Wanda, il traversa le jardin, ressortant dans un chemin qu’il suivit jusqu’à l’endroit où se trouvait sa voiture. Wanda ne disait plus rien, mais Malko sentait tous ses muscles raidis contre lui. La Sierra n’était plus qu’à dix mètres. Il les parcourut, collé à elle, suivi par plusieurs ombres menaçantes. Wanda lui lança d’une voix vibrante de haine :
— Ils vont t’avoir et je t’arracherai moi-même les couilles.
Malko ne répondit pas. Elle était enfin sincère… Heureusement, il avait laissé les clefs de la voiture sur le plancher. Il ouvrit la portière et poussa la métisse dans la voiture, sur le siège avant, gardant le pistolet contre sa tête. Maintenant la ruelle sombre grouillait d’hommes. Il se glissa au volant, ramassa de sa main gauche les clefs et mit en route. Son plan était simple.
Passer la frontière à dix minutes de Gaborone et livrer Wanda à la police sud-africaine. Ensuite il aurait le temps de respirer.
Soudain, Wanda lui sauta à la gorge ! Comme un fauve. Il sentit les dents s’enfoncer dans son cou, cherchant la carotide. Il la repoussa d’un coup de crosse brutal et elle s’effondra sur le plancher avec un cri. Il passa la première vitesse et la Sierra bondit en avant. Une gerbe d’étincelles jaillit devant lui et une partie du pare-brise devint soudainement opaque. À l’aveuglette, il fonça, faillit percuter dans un poteau, tourna à gauche, puis à droite et retrouva une grande avenue. Il accéléra.
Un kilomètre plus loin, il dut se rendre à l’évidence, il s’était trompé de direction : l’embranchement pour la frontière était derrière lui. Il fit demi-tour, sur Nyerere Drive, déserte à cette heure, et repartit sur les chapeaux de roue. Quelques instants plus tard, il passait devant leGaborone Sun à tombeau ouvert.
Deux voitures surgirent soudain du bas-côté, à la hauteur de l’hôtel. Les amis de Wanda avaient pensé qu’il irait s’y réfugier. C’étaient deux Land-Rover qui le prirent en chasse aussitôt. Heureusement, la Sierra était beaucoup plus rapide. En arrivant au second rond-point, Malko avait déjà plusieurs centaines de mètres d’avance. Ses pneus hurlèrent et à cause de son pare-brise pratiquement opaque, il faillit manquer la route. Alors, à coups de crosse, il fit sauter ce qui restait de verre. Un vent violent s’engouffra dans la voiture.
Wanda gémit. Malko accéléra, un œil sur elle, l’autre sur la route, heureusement rectiligne. Dans le rétroviseur, il aperçut les phares de ses poursuivants, beaucoup plus loin et pour la première fois depuis qu’il avait deviné le subterfuge de Wanda, il se détendit un peu. Enfin, il avait mis la main sur quelqu’un. À l’allure où il allait, il parviendrait à la frontière dans sept ou huit minutes. Il évita de justesse un âne errant, passa devant la silhouette aplatie d’un motel éteint, puis les dernières constructions laissèrent la place au bush. Il se retourna : ses poursuivants ne se rapprochaient pas. Ils avaient sûrement compris son plan, mais n’y pouvaient pas grand-chose.
C’est à ce moment qu’un voyant rouge s’alluma brusquement sur le tableau de bord. Malko eut l’impression de recevoir un coup de poing dans l’estomac. C’était le voyant « température moteur ». L’aiguille du thermomètre se trouvait complètement à droite dans le rouge. Le radiateur avait dû être touché par la rafale tirée sur lui. Quatre secondes plus tard, le voyant d’huile s’alluma à son tour ! Puis, il sentit une légère réticence sous l’accélérateur : le moteur était en train de le lâcher ! Ses phares éclairèrent un panneau annonçant :