Vryburg s’approcha de Malko, une note de service à la main.
— Vous avez de la chance ! dit-il. C’est à cause de ça qu’on est allés vous chercher.
Malko déchiffra tant bien que mal la note écrite en hollandais. Elle signalait des passages clandestins de frontière autour de Gaborone dans les deux sens et recommandait aux policiers d’être vigilants.
— Quand nous avons entendu les échanges de coups de feu, nous avons pensé qu’il s’agissait d’éléments incontrôlés se heurtant à la police botswanaise. Ce qui nous a donné un prétexte pour aller voir… Sinon, c’est une violation de frontière et ces Noirs sont très à cheval sur les principes… Ils nous ont tiré dessus et j’ai décidé de ratisser le terrain.
— Et celui que j’ai tué ?
— ANC. Son uniforme et son arme étaient neufs. Ils étaient une douzaine au moins. Nous avons vu les véhicules repartir vers Gaborone.
Une Range-Rover couleur sable s’arrêta devant le poste. Le major van Haag pénétra dans le bureau, salué par le lieutenant au garde-à-vous, toujours tiré à quatre épingles et serra chaleureusement la main de Malko. Les deux hommes eurent ensuite une conversation animée en afrikaans. Enfin, le major se tourna vers Malko et dit laconiquement :
— Venez, nous repartons.
Malko se retrouva dans la Range-Rover de l’officier. Ce dernier avait posé un PM sur la banquette. Ils franchirent la frontière sans aucun contrôle. Un kilomètre plus loin, Malko demanda à s’arrêter près de l’épave de la Sierra. Seul signe tangible de l’embuscade. Un silence minéral régnait de nouveau sur le bush.
— Les salauds ! murmura van Haag. Ils avaient bien monté leur coup.
— Qu’allons-nous faire maintenant ? demanda Malko. Nous n’avons plus aucun moyen d’obtenir des informations.
— Dès que je vous ai déposé à l’hôtel, j’envoie un télex au NSC[37], dit le major. Que Pretoria vous envoie du renfort. Et je vais aller dire deux mots aux Botswaniens : ils se sont foutus de moi en m’assurant que cette Wanda n’avait rien à voir avec les terroristes.
— Qu’ils nous aident à la retrouver, dit Malko. C’est tout ce qu’il faut. Lyle, Grodno s’il est là, Wanda, sont comme des poissons dans l’eau ici. Il faudrait fouiller Gaborone, maison par maison, pour les retrouver.
Une fois de plus, la piste ultime s’était évanouie. Et cette fois, il n’y avait plus rien. Pas un fil à tirer.
Dix minutes plus tard, ils étaient auGaborone Sun.
Il faisait grand jour quand Malko se réveilla. Onze heures du matin. Le téléphone sonna. C’était Carl van Haag.
— Ça va mieux ?
— Oui, dit Malko, quelles sont les nouvelles ?
— Pas brillantes. Mes contacts botswaniens se confondent en excuses, en me jurant qu’ils ne connaissent pas les structures clandestines de l’ANC.
— Ils mentent.
— Évidemment, mais je ne peux pas le prouver. Pretoria va nous envoyer du monde. Ils sont très sensibilisés.
— Ce sont des informations dont nous avons besoin, fit remarquer Malko, pas d’une division blindée !
Il se jeta sous la douche, se prépara rapidement et, avant de sortir de la chambre, regarda longuement la photo panoramique représentant son château de Liezen dont il ne se séparait jamais. Il y avait invité Ferdi…
Par moments, il se demandait s’il aurait jamais le temps d’en profiter réellement. Seul, Elko Krisantem, son maître d’hôtel garde du corps, y vivait en permanence, avec Ilse, la vieille cuisinière, et son mari, les rois du chocolat chaud et des gâteaux viennois. Parfois, Alexandra l’y attendait et ils s’y retrouvaient avec volupté entre deux missions… Longtemps, Malko avait cru qu’il y aurait une fin.
C’était un leurre : le château était un gouffre. Toujours quelque chose à faire ! Sous le soleil brûlant, comme tout cela semblait loin ! La chaleur lui tomba sur les épaules lorsqu’il sortit dans le jardin, comme dans un décor de western. Son sparadrap sur la joue lui donnait l’air d’un voyou. Il s’installa près de la piscine. Pour l’instant, il n’avait rien d’autre à faire.
En ce moment même, on enterrait Ferdi. Malko revit les grands yeux de biche de Wanda. Même lui avait failli s’y faire prendre. Un garçon comme Ferdi allait au massacre. C’était une tueuse, motivée, et pleine de haine. Un fauve que sa beauté rendait particulièrement dangereuse. Son visage convulsé de rage lorsqu’elle l’avait mordu dans la voiture avait révélé sa véritable nature. La gorge de Malko portait encore la trace de ses dents.
La journée s’était écoulée lentement. Carl van Haag avait appelé trois fois. Toujours au point mort. Malko allait se résoudre à dîner seul lorsqu’une voix dit derrière lui :
— Bonsoir !
Il se retourna. C’était la rousse superbe qu’il avait rencontrée à la piscine, un tas de dossiers à la main.
— Bonsoir Carol, dit-il.
Elle rit.
— Vous vous souvenez de mon prénom ?
Son jean moulait des reins cambrés et le T-shirt bleu échancré porté à même la peau ne laissait rien ignorer du haut de son corps. Un peu déhanchée, elle contemplait Malko avec un regard amusé.
— Je me souviens toujours du nom d’une femme ravissante, dit-il. Je n’ose même pas vous demander si vous êtes libre à dîner. Il doit y avoir une liste d’attente d’un kilomètre…
— Il n’y a pas de liste d’attente, je vous ai dit qu’ici les hommes préfèrent les Noires… Je me préparais à manger un sandwich dans ma chambre.
— Eh bien, moi aussi, dit Malko. Dans ce cas, je vous donne dix minutes pour vous changer. Nous pouvons dîner dans le night-club.
Elle fit la grimace.
— Pas ici. J’y suis vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais je connais un endroit sur Kaunda Road. À tout de suite.
Elle partit presque en courant dans le couloir et Malko décida d’aller se mettre un peu d’eau de toilette… Il avait vraiment besoin de se changer les idées.
Lorsqu’il revint, Carol l’attendait dans un fauteuil et il eut un choc. Elle s’était métamorphosée : les cheveux roux relevés en un élégant chignon, et surtout une étrange robe super-moulante en fausse peau de panthère incrustée de strass, la taille serrée dans une énorme ceinture noire. Pas vraiment discrète, mais carrément affolante. Elle sortit la première : la ceinture tirait le tissu de la robe sur ses reins, en accentuant les courbes d’une façon encore plus provocante. À côté de cela, les escarpins rouges étaient presque discrets…
— Nous allons auMogambo, dit-elle.
Dans la voiture, Malko put vérifier qu’elle s’était arrosée de parfum. LeMogambo avait un cadre faussement africain, avec des peaux de bête, des meubles en pied d’éléphant et des lumières tamisées. Carol s’assit avec un soupir d’aise.
— Cela fait des mois que je n’ai pas été dans un endroit civilisé ! Cet hôtel me sort par les yeux.
— Vous connaissez Louisa lapit-girl, demanda Malko, pris d’une inspiration subite.