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— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Gluckenhaus. Où sont les deux types ?

— Ces salauds sont morts, grommela le colonel sud-africain. Il y avait quelqu’un d’autre en dehors d’eux. Une femme. Qui a déclenché l’explosion de la charge par télécommande. Je l’ai vue.

Ferdi s’arrêta. Toute sa vie, il regretterait sa décision. Peut-être que s’il avait sauté sur la femme blonde, elle n’aurait pas eu le temps d’agir. Il ne le saurait jamais. Son premier réflexe avait été de sauver ses deux copains. La terroriste aurait attendu quelques secondes de plus, les deux Américains ne seraient pas morts…

Un Noir à moitié déshabillé se mit à hurler quand un médecin tenta de colmater les brèches de sa poitrine. Son pantalon arraché laissait voir ses mollets brûlés jusqu’à l’os. Il y avait des dizaines de blessés légers, déjà emmenés, à cause des éclats de mosaïque et de verre, projetés dans toutes les directions.

— Vous êtes sûr ? demanda Gluckenhaus.

— Presque, fit Ferdi.

Il aurait pu dire à cent pour cent. À cause de son instinct.

— Vous pourriez la reconnaître ? C’était une Noire ?

— Une Blanche, fit tristement le colonel. Et je me souviendrai de son visage sur mon lit de mort.

Une nouvelle ambulance stoppa non loin d’eux et plusieurs infirmières s’approchèrent avec une civière. On allait évacuer Burt Gluckenhaus.

— Vous avez prévenu chez moi ? demanda l’Américain.

— N’ayez pas peur, je vais le faire, assura Ferdi. Votre femme va venir vous voir à l’hôpital.

— Pas tout de suite. Je ne suis pas présentable…

Un médecin avait écarté le drap et l’examinait. On lui fit une nouvelle piqûre et avec d’infinies précautions, on le chargea sur la civière. Un peu plus loin, on était en train d’opérer une femme sur un comptoir du Woolworth dont la vitrine n’existait plus. Un gradé des pompiers s’approcha de Ferdi qu’il avait reconnu.

— Vous avez une idée des dégâts ? demanda ce dernier.

— On a déjà emporté dix-huit cadavres. Surtout des Noirs, annonça le fonctionnaire. Et des dizaines et des dizaines de blessés. Certains très gravement.

Il parlait à voix basse, choqué. Ferdi rejoignit l’ambulance où se trouvait Burt, stationnée à côté d’une 504 qui semblait avoir été mitraillée. Il attira le médecin à part et lui mit sous le nez son accréditif militaire.

— Cet homme travaille avec nous, dit-il et c’est un officiel de l’ambassade des États-Unis. Quel est votre pronostic ?

Le médecin le regarda longuement, avant de répondre :

— Il est perdu. Sa peau est brûlée à quatre-vingts pour cent. Nous pouvons peut-être le prolonger quelques heures, mais il risque de beaucoup souffrir. Si le cœur tient…

— Où l’emmenez-vous ?

— À l’hôpital militaire. C’est le meilleur endroit pour soigner les grands brûlés.

— Je viens avec vous.

Il monta dans l’ambulance qui démarra aussitôt dans un hululement sinistre, coupant les barrières de police. Deux motards l’attendaient et entreprirent de lui ouvrir la route. Burt Gluckenhaus était toujours conscient. Ferdi se pencha sur lui.

— It’s going to be all right[3] dit-il, la voix étranglée.It’s going to be all right.

L’Américain esquissa un vague sourire, trop choqué pour remarquer son émotion. Ferdi n’arrivait pas à croire qu’il allait mourir, il semblait si calme, si peu atteint, Burt Gluckenhaus fixa avec anxiété son homologue sud-africain et dit :

— Cette femme, il faut la retrouver.

— Vous m’aiderez, fit Ferdi. Dès que vous serez sur pied. Vous vous en êtes bien sorti.

Le médecin l’écarta, posant un stéthoscope sur la poitrine du blessé, et le silence retomba, troublé par les hurlements de la sirène. L’ambulance filait vers le nord, à 130 à l’heure, à travers les rues déjà désertes de Pretoria. Ferdi ferma les yeux et se mit à prier. Il avait toujours été profondément religieux.

Il y eut des virages, encore des virages, des ralentissements, puis le médecin releva la tête et son regard croisa celui de Ferdi. Burt Gluckenhaus semblait juste un tout petit peu plus calme.

Chapitre II

La voiture tourna dans Schubartstraat, puis s’engagea au fond d’un étroit passage entre deux buildings et plongea dans une rampe de ciment menant à une entrée en contrebas. Malko aperçut au bas de la rampe deux soldats en kaki. Uzi à l’épaule, insolites dans ce quartier commercial du centre de Pretoria. L’officier qui était venu le chercher à Jan Smuts, l’aéroport de Johannesburg, exhiba une carte et un des soldats fit aussitôt coulisser une grille métallique. D’autres soldats traînaient dans le parking, réservé aux usagers du 32e étage, siège du Contre-espionnage sud-africain. Le reste de l’immeuble avait des occupants « normaux », banques et sociétés privées. Au 32e, une énorme grille défendait l’accès du service. Son mentor introduisit une carte magnétique dans un boîtier et la porte s’ouvrit sans bruit. Quelques affiches en anglais et en afrikaans incitaient à la prudence, dans un style plutôt naïf. Un planton les amena dans une grande pièce où étaient installés un écran et un projecteur de diapositives. Deux hommes s’y trouvaient déjà.

Malko identifia aussitôt l’un d’eux, à la pomme d’Adam proéminente : John Barter, le nouveau chef de station de la CIA à Pretoria. L’Américain lui broya les phalanges dans une poignée de main presque trop amicale :

— Bon voyage ?

— Parfait, dit Malko.

Venu par le South Afrikan Airways, il avait un peu regretté Air France et ses repas fins. Que ce soit en Première ou en Club, la nourriture et les vins étaient largement à la hauteur de la réputation de la compagnie française. Même fourvoyé en Éco, pour une cause imprévue, il avait trouvé des repas décents.

Malko posa son attaché-case Vuitton et se tourna vers l’autre occupant de la pièce. Un homme à la carrure solide avec des yeux gris et une plaque rougeâtre sur le menton.

— Voici le colonel Ferdinand Koster, annonça John Barter, un de nos homologues. On le connaît surtout sous le nom de Ferdi… Il a mené l’affaire qui vous a conduit ici…

Ferdi serra la main de Malko et hocha la tête, tandis qu’un planton apportait du thé qui se révéla absolument infâme. La porte s’ouvrit alors sur une jeune femme aux cheveux noirs et courts, avec un coquin nez retroussé et des jambes somptueuses moulées de gris. Le pull en cachemire soulignait une poitrine qui avait sa place dansPlayboy Magazine. Pourtant, à cause de ses Rayban et de ses mocassins, elle dégageait une impression de sérieux et même de sévérité. Ferdi se fendit d’un sourire et annonça :

— Miss Johanna Pieterdorf est ma meilleure collaboratrice, elle suit tous les dossiers de l’ANC.

Johanna Pieterdorf s’assit et croisa ses longues jambes, ses yeux sombres détaillant Malko avec l’air froid d’un entomologiste. Ferdi se tourna vers lui :

— Vous avez les photos ?

— Les voilà, dit Malko.

Il sortit de son attaché-case plusieurs diapositives que le colonel sud-africain tendit aussitôt à sa collaboratrice. Celle-ci alluma le projecteur. La photo d’une jeune femme de face, plutôt jolie apparut dans un silence de mort qui se prolongea très longtemps. Enfin, Ferdi laissa tomber, d’une voix déçue :

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3

Ça va aller.