— Et les informations ?
— Je vous les communique ensuite, par téléphone.
Silence. C’était un deal exorbitant.
— Et qui me dit que vous tiendrez parole ? demanda Malko.
— Personne, laissa tomber Gudrun Tindorf. Je veux me venger de ces imbéciles qui pensent me manipuler, parce que je suis une femme. Ils vont apprendre à me connaître…
— Vous ne craignez pas leur vengeance ?
— Ils seront morts si vous faites bien votre travail, dit-elle calmement. À propos, si vous aviez de mauvaises idées comme de me faire suivre par un hélicoptère, renoncez-y. Au cas où je ne donnerais pas signe de vie avant le soir, une autre voiture piégée exploserait quelque part au Transvaal dans un endroit particulièrement sensible. Un hôpital ou une école, vous voyez…
— Vous êtes monstrueuse…
— Mais non. Prudente. Puisque nous sommes d’accord, nous n’avons plus rien à nous dire.
— Mais le réseau des poseurs de bombes ?
— Les informations seront avec les explosifs. Au revoir.
La petite gare de Gaborone voyait peu de trains passer. Cependant, elle était envahie par des familles entières de Noirs, assis à même le sol, en train d’attendre, au milieu des enfants et des vieillards. Malko et Carl van Haag se frayèrent un chemin jusqu’au quai. Un coup de sifflet strident annonça l’express à destination de Lobatse et Zeerust. De vieux wagons de bois, tirés par une superbe locomotive à vapeur. Zimbabwe Railways… Un flot de Noirs se dirigea vers la douane. Malko gagna l’unique wagon de première, coquettement décoré avec des rideaux, des lampes de chevet et des banquettes moelleuses. Carl van Haag lui tendit la mallette métallique contenant la rançon.
— Bonne chance !
— Je ne risque pas grand-chose, remarqua Malko.
Depuis la veille les deux hommes remâchaient la même humiliation. La remise de cette rançon était une capitulation en rase campagne. Après tant de morts, Malko partageait l’amertume du major sud-africain. L’argent était arrivé par un Falcon 50 du NSC et remis au major van Haag.
Le train siffla. Le compartiment de Malko était vide. Les Blancs utilisaient peu le train, en Afrique. Il regarda van Haag, immobile sur le quai, les mains derrière le dos, le visage fermé. Une légère secousse et le train démarra. Très vite les dernières maisons de Gaborone disparurent, faisant place au bush plat, monotone, brûlé de soleil. Sur la droite, la ligne des hauteurs pelées s’estompait dans une brume de chaleur. La voie filait tout droit à travers le désert, avec un seul arrêt à Ootse.
Il baissa la glace de son compartiment et se pencha à l’extérieur, recevant aussitôt une bouffée d’air brûlant. Quelques ânes paissaient le long de la voie, grignotant des épineux. À perte de vue, on ne voyait que de la caillasse grisâtre. Bercé par les tressautements des boggies, Malko avait du mal à se concentrer. Il aperçut soudain, environ trente minutes après le départ, quelque chose en bordure du ballast. Le train roulait avec une sage lenteur et il lui fallut un certain temps pour distinguer une voiture. Quelqu’un était debout à côté. Une femme. La locomotive arriva à sa hauteur et elle se mit à agiter lentement un long foulard blanc.
C’était Gudrun Tindorf.
Malko empoigna la valise métallique, la maintint quelques instants en équilibre, puis, juste avant la jeune femme, la jeta sur le ballast. Il la vit rouler dans la poussière et l’Allemande courut vers sa rançon. Sa silhouette diminua, jusqu’à n’être plus qu’un point. Malko se rassit, tordu par l’anxiété. Allait-elle tenir sa promesse ?
Il n’avait plus qu’à ronger son frein jusqu’à Lobatse où l’attendait un des adjoints du major van Haag.
La nuit était tombée depuis longtemps quand le téléphone sonna dans la chambre de Malko. Le major van Haag, assis dans un fauteuil, broyait du noir, le regard dans le vide.
— Bonsoir, fit la voix posée de Gudrun Tindorf. Vous avez tenu votre engagement. Je vais tenir le mien. Allez à l’hôtelPrésident, sur le Mail. Il y a une lettre à votre nom, Mister Linge. Vous y trouverez les renseignements promis. Faites-en bon usage. Adieu.
Elle avait raccroché. Malko répéta aussitôt le message au Sud-Africain.
— Pourvu que cette horrible garce ne se soit pas moquée de nous ! grommela Carl.
Cinq minutes pour arriver à l’hôtelPrésident. Le réceptionniste regarda son courrier, puis sortit une grosse enveloppe blanche.
— Ceci est pour Mister Linge.
Malko lui donna cinq pulas et prit l’enveloppe qui valait un million de dollars. À l’intérieur, il n’y avait que quelques lignes non signées tapées à la machine.
« Joe Grodno et ses hommes rencontreront les gens venus du sud, près de la rivière Molopo, à un kilomètre au sud du village de Werda, en territoire sud-africain, dam une ferme abandonnée, entre Werda et Vorster-shoop. Demain soir, dès la nuit tombée. Ils leur apportent des explosifs et la liste des gens que j’ai formés. »
Le poste de police de Zeerust, situé sur une éminence à la sortie nord de la ville, grouillait d’une activité inhabituelle. Dans la cour intérieure, un gros hélicoptère Puma, portes ouvertes, attendait de charger les seize hommes du commando. En plus d’eux, l’appareil emmenait Malko, le major van Haag et trois officiers des Services spéciaux. Un des pilotes en combinaison orange grimpa sur une échelle afin de vérifier les attaches des rotors. Malko l’observait, inquiet.
— Quelque chose ne Va pas ?
— Non, dit le pilote, mais ces pièces auraient dû être changées depuis dix-huit mois ! Nous ne les avons pas : l’embargo.
Encourageant.
Le major van Haag apparut à la porte d’un bureau et fit signe à Malko de le rejoindre.
— Un téléphone pour vous, annonça-t-il, de Gaborone.
Malko avait laissé auGaborone Sun le numéro de Zeerust, sans préciser de quoi il s’agissait. Il prit la communication, troublée par de nombreux parasites et reconnut quand même la voix du chef de station de la CIA à Gaborone. Son cœur se mit à battre plus vite.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il.
— J’ai des nouvelles pour vous, annonça Richard Francis. À propos de Joe Grodno.
— Quoi ?
— Il a quitté l’ambassade d’URSS ce matin, c’est mon correspondant à l’aéroport qui m’a prévenu. Il est parti dans un appareil charté. Je n’ai pu encore vérifier la destination.
— Vous êtes sûr ?
— Certain, j’ai vérifié à l’aéroport. Ils ne l’ont pas lâché jusqu’au décollage.
Cela confirmait l’information de Gudrun Tindorf. Avec un avion privé, on pouvait se poser n’importe où.
— Vous n’avez pas pu avoir leur plan de vol ?
— Pas encore. Demain.
— Ce sera moins utile, dit Malko. Merci quand même.
Il raccrocha et communiqua l’information à Carl van Haag. L’officier sud-africain exultait :
— Ce salaud ne sait pas ce qui l’attend. Il va avoir une sacrée surprise.
— Vous croyez que nous sommes assez nombreux ? demanda Malko.
Van Haag eut un sourire supérieur :
— Tous ces gars sont super-entraînés. Habitués à des coups semblables contre la SWAPO, en Namibie. Et vous, vous êtes prêt ?