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Le sergent Pretorius jura entre ses dents, incrédule. Avec ces Cafres, il fallait s’attendre à tout. De nouveau, il accéléra, attendit une section de route rectiligne pour se placer à la hauteur de la cabine, l’air si furibond que n’importe qui de sensé se serait immédiatement jeté à plat ventre.

Quelque chose avait changé : la glace du camion, de son côté, était baissée. Le passant entre le dossier et le dos du conducteur la jeune métisse braquait sur lui quelque chose qui ressemblait à un fusil !

Pretorius en fut si médusé qu’il ne réagit pas, ne cherchant même pas à saisir son Browning, ni même à se mettre hors d’atteinte en levant le pied. Ce qui lui coûta la vie. La Kalachnikov cracha une rafale à trois mètres, pulvérisant du même coup la glace latérale de la BMW et le crâne du sergent Pretorius. Dans un ultime réflexe, ce dernier braqua son volant sur la droite, traversa la route et s’envola vers un champ en contrebas, mort bien avant de toucher le sol.

* * *

— Tu es folle, tu es folle !

Le conducteur du camion tapait sur son volant, la bouche tordue de terreur ; Wanda posa la Kalachnikov sur le plancher de la voiture.

— Qu’est-ce que tu voulais ? lança-t-elle. Qu’il nous arrête et qu’il trouve ce qu’il y a derrière ?

— Il a dû nous signaler !

— Il est mort, ce salaud de Blanc ! cria la métisse. Il ne dénoncera plus personne et si tu conduis assez vite, nous serons en sécurité dans une heure…

Elle n’avait pas agi à la légère. Son but était d’atteindre un endroit dans la montagne entre Kosmos et Rustenburg où un ami sûr les cacherait aussi longtemps qu’ils le souhaiteraient. Ensuite, ils pourraient acheminer les charges explosives sur leurs objectifs.

Gris de peur, le conducteur ralentit : ils arrivaient à l’entrée d’une petite ville. Inutile de se faire remarquer. Tandis qu’ils se traînaient dans les rues calmes, ils avaient l’impression que chaque Blanc les dévisageait. Quelques kilomètres plus loin, il y avait un croisement avec quatre « stops » qu’on mettait toujours un temps fou à franchir. Une file de véhicules attendaient dans chaque sens, et ils durent patienter d’interminables minutes. Après le « stop », une petite route grimpait dans la montagne et au sommet, sur la gauche, se trouvait la propriété abandonnée où ils allaient se planquer.

Un policier réglait la circulation et Wanda mit la Kalachnikov sur ses genoux. Pourtant, rien ne se passa et ils démarrèrent sans le moindre problème.

* * *

Carl van Haag reposa le téléphone, les yeux brillants.

— Je crois qu’on les a localisés près de Thabazimbi. Je fais établir des barrages partout.

— On joue vraiment de malchance ! remarqua Malko.

Trente secondes plus tard, ils roulaient à tombeau ouvert dans une BMW bleue de la police, avec gyrophare et sirène. Toute la police du Transvaal était en état d’alerte. Pendant que la voiture dérapait sur les routes étroites, Malko se demandait si finalement, ils allaient gagner la partie. À l’arrière, deux policiers avaient emmené tout un arsenal, y compris des fusils à lunette. Pendant quarante-cinq minutes, ils roulèrent comme des fous, puis Carl van Haag après avoir reçu un message radio annonça :

— On va les coincer.

Il restait à peine une heure de jour… Encore vingt minutes, puis ils débouchèrent sur un grand carrefour protégé par quatre stops où stationnaient déjà plusieurs voitures de police. Le major van Haag alla se renseigner et revint.

— Ils ont pris la route de la montagne vers Rustenburg, annonça-t-il. Nous avons des gens de l’autre côté de la montagne. Ils ne peuvent plus nous échapper.

Ils s’engagèrent sur la route étroite et déserte qui grimpait en serpentant entre des collines arides. Cette partie du Transvaal était très accidentée. De temps à autre, un panneau accompagné d’une boîte aux lettres signalait la présence d’une ferme. Ils roulaient lentement, et mirent près de vingt minutes à arriver au carrefour suivant. Deux voitures de police barraient la route avec une demi-douzaine de policiers.

— Vous n’avez rien vu ? demanda le major.

— Rien.

Stupéfaction. Le camion vert ne s’était pourtant pas envolé. Or, entre les deux ponts, il n’y avait aucun embranchement. Ils repartirent, examinant tous les sentiers, les culs-de-sac, sans rien voir et se retrouvèrent à leur point de départ. Interloqués. Dans le coin, il n’y avait que des exploitations appartenant à des Blancs, sûrement pas sympathisants de l’ANC. Ils firent demi-tour et pour la seconde fois, remontèrent à l’assaut de la colline, explorant cette fois systématiquement chaque ferme. Personne n’avait vu de camion. Ils arrivèrent au sommet. Là, un peu à l’écart à gauche, ils aperçurent un grand portail d’où partait un sentier s’enfonçant dans la montagne.

— C’est une ferme abandonnée, dit un des policiers.

— Allons voir, suggéra Malko.

Ils franchirent le portail. Près de l’entrée, un Noir était en train d’éplucher des pommes de terre à côté d’une cabane misérable. Quand il vit la voiture de police, il se leva brusquement et détala.

Les policiers le rattrapèrent facilement pour le ramener vers le major van Haag. Il ne parlait pas anglais, à peine afrikaans. L’officier l’interrogea en zoulou, n’en sortant que des monosyllabes.

— Il n’a rien vu, prétend-il. Il s’est enfui, comme ça, parce qu’il a peur de la police.

Malko, descendu de la BMW, visitait les lieux. Il fit le tour de la cabane et revint vers le petit groupe en train d’interroger le Noir.

— Demandez-lui depuis quand il a vu passer des véhicules ici.

Le major traduisit.

— Plusieurs mois, répondit le Noir.

— Il ment, dit Malko. Il y a des traces fraîches, derrière ce bâtiment.

Conduit devant les marques de pneus, le Noir commença à trembler, puis se réfugia dans un mutisme terrifié. Les traces descendaient dans l’herbe, à flanc de colline, bien en contrebas de la route. Malko, Carl van Haag et le policier partirent à pied, éparpillés comme des tirailleurs. La nuit tombait à toute vitesse et on commençait à ne plus y voir dans les sous-bois. Ils progressaient lentement, un peu à l’aveuglette car les traces avaient disparu, le sol étant beaucoup plus ferme.

— Ces salauds ont dû trouver un chemin de traverse, dit le major.

Ils avaient encore un pré à traverser avant d’arriver à la corne d’un petit bois clairsemé. Le policier s’avança le premier, son shot-gun à bout de bras. Il n’avait pas parcouru dix mètres que plusieurs détonations sèches claquèrent. Il tomba en avant et se roula par terre hurlant de douleur. Carl van Haag et Malko étaient déjà à plat ventre.

— Ils sont dans le bois ! dit Malko.

Le crépuscule tombait. Encore dix minutes de lumière. Malko voulut se lever, mais aussitôt, une rafale le cloua au sol. Les balles faisaient jaillir des mottes de terre tout autour de lui.

Fébrilement, le major vociférait dans son Motorola. Cela prendrait un certain temps aux autres policiers avant qu’ils puissent les rejoindre. Centimètre par centimètre, ils commencèrent à avancer. Chaque fois, un feu nourri les arrêtait. Les autres ne manquaient pas de munitions… Malko réalisa qu’il voyait à peine le sous-bois. Au même moment il entendit un bruit de moteur devant lui : le camion démarrait.

Ils se lancèrent à sa poursuite, cette fois sans être rafalés. Ils atteignirent le petit bois et distinguèrent vaguement la silhouette d’un véhicule qui avançait péniblement dans les ornières, fuyant en s’éloignant d’eux. Effectivement, il y avait un sentier qui devait aboutir sur une route de l’autre côté de la colline. La piste était si mauvaise que le camion avançait pratiquement au pas. Ils étaient sûrs de le rattraper. Soudain une silhouette jaillit du camion et sauta à terre. Malko entendit une voix connue qui hurlait :