Il n’y avait plus qu’à vérifier si l’information des Hollandais était encore bonne. Ou si c’était un leurre.
Le hall duCarlton grouillait d’animation. Malko s’arrêta en face de la réception et regarda autour de lui. Depuis deux heures, il explorait systématiquement les restaurants, les bars et les couloirs duCarlton, s’imprégnant des lieux. Sans vraiment espérer tomber sur Gudrun Tindorf. Il eût fallu un miracle. Évidemment, un simple coup de fil à Ferdi aurait beaucoup facilité ses recherches. Seulement, excité comme il l’était, le colonel sud-africain était capable d’arriver avec des tanks… Si Malko échouait, il serait toujours temps de faire appel à ses homologues.
La porte à tambour donnant sur la rue s’ouvrit soudain sur une vision qui assécha la gorge de Malko. Une Noire sculpturale de plus de 1,80 m, tout de rouge vêtue : les escarpins, la mini en cuir, le chemisier et une immense capeline qui cachait en partie son visage. Elle se dirigea d’un pas décidé vers les ascenseurs, faisant onduler une croupe qui aurait fait abjurer le pasteur protestant le plus fanatique d’Apartheid. Automatiquement, Malko traversa le hall à son tour. Curieux d’en savoir plus sur cette créature insensée. Il la rejoignit en face des ascenseurs. De près, elle était encore plus impressionnante, avec une poitrine incroyable dont les pointes crevaient le tissu, un visage sensuel à la bouche énorme, et de grands yeux étirés à l’expression volontairement trouble.
Ils pénétrèrent dans la cabine et elle appuya sur le bouton du 22e étage. Tout l’ascenseur se mit à sentir le jasmin. Le regard dissimulé sous le rebord de sa capeline, elle s’absorbait dans la contemplation de ses ongles interminables, rouges eux aussi, bien entendu, sans prêter la moindre attention à Malko. Ils descendirent ensemble au 22e et elle s’engagea dans le couloir désert, balançant ironiquement ses hanches en amphore devant Malko. Ses jambes n’en finissaient pas.
Un peu plus loin, elle s’arrêta à la porte d’une chambre et frappa. Malko la dépassa, se sentant tout à coup un peu idiot. Il fit demi-tour et se trouvait derrière elle lorsque le battant s’ouvrit. Il s’arrêta net, n’en croyant pas ses yeux. Même sans ses Rayban, Johanna, la collaboratrice de Ferdi, était parfaitement reconnaissable. Leurs regards se croisèrent et la jeune femme devint en une fraction de seconde de la couleur d’une tomate bien mûre.
Chapitre III
L’étonnement de Malko était tel qu’il mit une bonne seconde à retrouver la parole. Entre-temps, la Noire s’était glissée dans la chambre, disparaissant à ses yeux. Johanna avala sa salive, toujours écarlate, et bredouilla :
— Je ne m’attendais… Qu’est-ce… Quelle surprise !
— Pour moi, c’en est une agréable, dit Malko revenu de sa stupéfaction. J’espère que vous allez me permettre de vous offrir un verre.
Johanna baissa la tête, muette, visiblement en proie à un horrible dilemme : si elle acceptait, Malko découvrirait probablement des choses intéressantes sur elle, et si elle refusait il en imaginerait de pires. Finalement, elle ouvrit un peu plus la porte et dit :
— Ici, alors, ce sera mieux…
Évidemment, une collaboratrice d’un service où l’on ne trouvait que de solides Afrikaaners en compagnie d’une Noire d’ébène, cela risquait de faire jaser.
Malko pénétra dans la petite entrée et aussitôt, de la tête, Johanna lui désigna la salle de bains. Ils y pénétrèrent et la jeune femme referma la porte. Elle aussi semblait avoir retrouvé ses moyens.
— Je croyais que vous étiez parti vous coucher ?
— Effectivement, fit Malko, mais je n’arrivais pas à dormir. J’ai pris ma voiture et j’ai roulé un peu au hasard. J’ai échoué auCarlton. Là, j’ai vu votre amie et je l’ai suivie. Elle a une allure exceptionnelle.
— C’est une de mes meilleures informatrices, trancha un peu sèchement Johanna. Je me dois de la voir avec le maximum de discrétion. Bien entendu, elle ignore ce que je fais réellement.
— Bien entendu, renchérit Malko.
Leurs deux histoires étaient à peu près aussi vraisemblables l’une que l’autre. Il n’eut pas l’inélégance de demander à Johanna quelle couverture elle utilisait envers la Noire. La suite des événements le lui dirait probablement.
— Sortons d’ici, dit-il, elle va se douter de quelque chose.
La Noire attendait, enfoncée dans un profond fauteuil, les jambes croisées, l’air boudeur, animale et butée. Elle avait posé sa capeline sur le lit et regardait à travers la baie vitrée le building éclairé qui faisait face auCarlton. Elle jeta à Malko un regard dépourvu d’aménité.
— Shona, fit Johanna, je te présente un ami, Malko. Il t’a remarquée dans le hall et t’a trouvé très belle.
Shona eut une moue signifiant qu’elle s’en moquait comme de son premier boubou. Afin de détendre l’atmosphère, Malko alla au mini-bar, en sortit une bouteille de Moët et Chandon et des verres. Le bruit du bouchon fit à peine sursauter Shona, qui, en revanche, vida sa coupe d’un trait. Assise sur le lit, Johanna se demandait visiblement comment sortir de ce guêpier.
Malko continua à remplir les verres, tentant d’entretenir une conversation exsangue. Johanna ne répondait que par monosyllabes et Shona admirait la vue, d’ailleurs superbe des buildings illuminés dedowntown Johannesburg. Les deux femmes l’intriguaient. Sans ses lunettes, Johanna paraissait nettement moins sévère. Quant à Shona, c’était un animal sexuel comme il en avait rarement rencontré, charnelle et vénéneuse à souhait. Murée, hélas dans un mutisme à peu près total… Ce n’est qu’à la fin de la deuxième bouteille de Moët qu’elle bâilla, découvrant un palais corail qui évoqua pour Malko un sexe de femme, et laissa tomber :
— J’ai faim, Jo, on va bouffer ?
C’était la première phrase complète qu’elle articulait et Malko sauta sur l’occasion.
— Je crois qu’il y a un excellent restaurant au premier étage. Laissez-moi vous y inviter.
Johanna hésita puis se dit que c’était sûrement le meilleur moyen de le faire sortir de cette chambre.
— Très bien, dit-elle, mais rapidement, car j’ai beaucoup de choses à discuter avec Shona…
Celle-ci se leva et s’étira comme une lionne, déhanchée, boudeuse, les reins creusés, ses seins pointus sous le nez de Malko. Elle sortit la première et Johanna en profita pour glisser à Malko :
— Ferdi ne connaît pas ce « contact ». Nos services sont très compartimentés.
— Bien entendu, dit Malko.
Elle ne soutint pas son regard et il se dit que, maintenant, il avait barre sur elle.
Sans doute payé au pourcentage, le maître d’hôtel boutonneux et blanc ne cessait de remplir les trois verres. Un vin du Cap, léger et pétillant, qui se buvait comme de l’eau, mais n’en avait pas les mêmes effets. Depuis un bon moment, Malko ne pensait plus à Gudrun Tindorf, mais à la façon dont il pourrait mettre la succulente Shona dans son lit. Il en savait peu sur elle. Divorcée, un enfant, mannequin, née dans un petit village du Transvaal, irrémédiablement idiote et imbue d’elle-même. Totalement inculte et préoccupée d’une chose : elle. Comme il n’y avait pas de glace à proximité, elle passait son temps à contempler son reflet dans la lame des couteaux… Pourtant, le vin l’avait dégelée : elle bougeait et elle parlait !
Johanna, les pommettes roses et les yeux brillants, la couvait des yeux. Elle aussi avait largement profité du vin du Cap. Chaque fois que le regard de Malko tombait sur elle, le sien dérapait, gêné. Mais elle ne semblait plus décidée à s’en débarrasser. Lorsqu’il eut payé l’addition, c’est tout naturellement qu’il leur prit le bras et se dirigea vers les ascenseurs, suivi par les regards admiratifs et envieux de tous les mâles du restaurant. Pas un mot ne fut échangé dans l’ascenseur. Malko sentait contre son bras le poids d’un sein de Shona et, appuyée à sa hanche, celle de Johanna.