À peine furent-ils dans la chambre que Shona se précipita vers la radio et la tripota jusqu’à ce qu’elle trouve de la musique pop. D’un geste vif, elle se débarrassa de ses escarpins rouges et annonça :
— J’ai envie de danser.
Et soudain, elle se métamorphosa. Toute sa froideur, sa raideur fondirent en trois ondulations. Elle dansait comme un cobra ondule : avec une grâce féline, coupée de brusques détentes, les bras levés, pivotant, virevoltant, sans s’occuper de Malko et de Johanna. Chacun dans un fauteuil, ils la regardaient. Un spectacle hors du commun, extraordinairement sensuel. Johanna avait les yeux fixes, croisant et décroisant ses jambes nerveusement, glissant parfois un regard inquiet vers Malko. Ce dernier dénicha une ultime bouteille de Moët dans le mini-bar et fit le service. Johanna se remit à boire.
Sans cesser de danser, Shona vida sa coupe puis la jeta sur la moquette. Son expression avait changé. Ses yeux se posaient sans cesse sur Johanna avec un sourire ambigu et même parfois sur Malko.
La musique s’arrêta. Shona se laissa tomber à genoux sur la moquette, riant nerveusement. Puis, d’un geste fluide, elle fit passer son chemisier par dessus sa tête, révélant son impressionnante poitrine. Sa peau était couverte de gouttelettes de transpiration. Elle tourna lentement la tête vers Johanna et lança de sa voix de petite fille :
— Essuie-moi !
Comme un zombi, Johanna se leva, fila dans la salle de bains, revint avec une serviette et la passa sur le torse de Shona. Celle-ci se balançait les yeux clos à la façon d’un cobra endormi par un charmeur de serpents. Elle se remit soudain debout, ouvrit son zip et fit glisser sa jupe à ses pieds, révélant le buisson de son ventre un peu plus foncé que sa peau. Bien campée sur ses jambes écartées, elle lança à Johanna :
— Continue !
Johanna ne bougea pas, clouée par le regard de Malko. Ce dernier, sans perdre une seconde, s’empara de la serviette et commença à la passer lentement sur les cuisses de la Noire. Elles avaient la consistance du marbre. Il continua, le sang tapant dans ses artères, suivant le contour des reins creusés, du ventre et du sexe. Shona l’écarta sèchement :
— Je n’aime pas qu’on me touche là.
Il n’insista pas, s’attardant sur les jambes. Shona se laissa faire, les mains sur les hanches, ses lèvres épaisses retroussées sur ses crocs blancs. Puis, d’un geste elle repoussa Malko. Sans changer de position, elle dit :
— Viens maintenant.
Son regard semblait hypnotiser Johanna. Celle-ci plissa son visage, comme si elle luttait contre elle-même. Malgré l’alcool, elle n’avait pas oublié la présence de Malko.
Comme elle ne bougeait pas, Shona lança méchamment :
— Tu préfères que ce soit lui ?
Cette fois, Johanna se décida. À la stupéfaction de Malko, elle se laissa glisser de son fauteuil directement sur la moquette, à quatre pattes et rejoignit Shona. Sa tête se trouvait exactement à l’aplomb de l’arche de ses cuisses. Lentement, Johanna leva la tête, jusqu’à ce que sa bouche atteigne la fourrure sombre et s’y enfouisse. Shona eut un bref frémissement et ses mains se posèrent sur les épaules de la Sud-Africaine.
Peu à peu, celle-ci s’anima, les mains crispées sur les splendides fesses d’ébène. Les traits de Shona s’amollissaient. On n’entendait plus que leurs respirations saccadées, courtes, coupées parfois d’un bref gémissement. Malko avait l’impression qu’il allait exploser mais n’osait pas interrompre cette scène magique. Soudain, Shona poussa un feulement rauque, ses genoux plièrent, sa bouche resta ouverte et elle s’abattit lentement en arrière, retenant contre elle la tête de Johanna toujours enfouie dans son ventre. Les deux femmes demeurèrent foudroyées. Isolées dans leur plaisir. Jusqu’à ce que Shona rouvre les yeux. Elle les posa sur Malko avec une expression tellement chargée d’érotisme qu’il eut l’impression que ses vêtements tombaient d’eux-mêmes de son corps.
Il s’agenouilla près du visage de Shona. La Noire allongea lentement la main et saisit son sexe, l’approchant de sa bouche. Il était si excité qu’il manqua hurler quand elle l’engloutit doucement. Johanna avait relevé la tête et observait la scène avec un mélange de stupéfaction et de dégoût. Shona s’interrompit et attirant la tête de sa partenaire vers son visage, murmura quelques mots à son oreille. Puis elle reprit sa fellation. Presque aussitôt, Malko sentit la bouche de Johanna effleurer sa poitrine, s’attardant au mamelon, avec une habileté que n’aurait pas reniée une grande hétaïre. En peu de temps, les deux femmes, sans un mot, l’eurent amené à l’extrême limite du plaisir. Pour Shona, cela ressemblait à un jeu, mais Johanna paraissait plus réticente. Pourtant leurs bouches se retrouvèrent à plusieurs reprises autour de son sexe. Il n’en pouvait plus. Johanna était la plus proche, mais quand il l’approcha elle le repoussa doucement.
— Pas moi, murmura-t-elle.
Shona avait roulé sur le dos. Il s’empara d’elle sans aucun mal et aussitôt, ses jambes remontèrent pour se nouer dans son dos. Apparemment elle n’était pas sensible seulement aux caresses de son amie.
— Doucement, dit-elle.
Malko se contrôla. À genoux près d’eux, Johanna lui caressait le dos, les reins, embrassait Shona. Celle-ci commençait à onduler sous Malko de plus en plus vite. Il sentit une main se glisser entre eux et la Noire eut un sursaut. Il ne pouvait plus se retenir. Shona vint au-devant de lui, arc-boutée, et, brutalement, hurla. Sa bouche chercha la sienne. Il crut que c’était pour un baiser ; ses dents se refermèrent sur la lèvre inférieure de Malko et le mordirent au sang !
Coupant net son orgasme.
Il s’arracha à elle, roula sur la moquette. Aussitôt, Johanna prit sa place, se frottant à la Noire comme une chatte en chaleur. Les deux femmes ne s’occupaient plus du tout de lui. Il les vit s’enrouler, s’emmêler dans des étreintes bicolores, se donnant mutuellement du plaisir. Il n’en pouvait plus et peu à peu s’assoupit à même la moquette.
Lorsqu’il se réveilla, Johanna avait disparu, Shona était toujours sur la moquette, à plat ventre, le visage dans un oreiller, les reins cambrés, les jambes légèrement ouvertes. Instantanément, Malko fut la proie d’une formidable érection. Doucement, il la rejoignit. Elle frémit à peine lorsque Malko la pénétra. Elle était brûlante, pleine de miel. Il la prit longtemps et finit par exploser. Poliment, elle se cambra puis se retourna vers lui, le visage gonflé de plaisir :
— On va dormir maintenant, non ?
— Où est Johanna ?
Elle eut un geste vague.
— Partie, elle ne reste jamais.
Avec des gestes de noyée, elle se hissa sur le lit et s’y laissa tomber. Malko la contempla longuement, ne parvenant pas à trouver le sommeil. Quelle étrange rencontre. Ainsi, la pulpeuse Johanna était lesbienne et amoureuse d’une Noire. Sans sa quête de Gudrun Tindorf, il ne l’aurait jamais deviné.
À son tour, il bascula dans le sommeil.
Le soleil entrait à flots dans la chambre. Shona émergea de la salle de bains torse nu, vêtue de sa jupe rouge et de ses escarpins. Hiératique. Elle vint s’asseoir sur le lit :
— Bien dormi ?
Comme s’ils s’étaient toujours connus. Il allongea la main pour lui caresser la poitrine, mais elle se déroba avec un sourire trouble.
— Fini. Tu as eu de la chance de connaître Johanna. Je ne fais jamais cela comme ça, pour m’amuser.
— Ah bon, fit Malko, un peu déçu. Et si j’ai envie de te revoir ?
— Tu lui demandes. Ou tu viens ici le soir. J’y suis souvent. Si tu as des amis que ça intéresse.
Ainsi, la maîtresse de l’assistante de Ferdi était pute ! C’était complet. Malko pensa tout à coup à quelque chose. Se levant, il alla prendre dans sa veste la photo de Gudrun Tindorf.
— Tu connais ?
Shona examina le document d’un œil distrait et hocha la tête :
— Oui, je crois.
Malko crut que son cœur allait s’arrêter.
— Où l’as-tu vue ?
Le visage de la Noire se ferma aussitôt.
— Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
— C’est une copine.
— Une copine. (Elle eut un ricanement d’une vulgarité étudiée.) Unehoer[7] oui, elle tapine tout le temps au bar du premier. Allez, faut que je m’en aille. Tu n’as pas cent rands que je prenne un taxi…
Avec ça, elle pouvait faire le tour du Transvaal. Malko lui en tendit deux cents et du coup, elle redevint chatte, lui offrant sa bouche.
— Alors, peut-être à un de ces jours.
Elle remit son chapeau, son chemisier et disparut. L’excitation de Malko n’était pas retombée. Ainsi, le tuyau des Services hollandais était bon. Il était bien sur la piste de Gudrun Tindorf.