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Harriet Beecher Stowe

La Case De L’oncle Tom

1851

Traduction de Madame L. Sw. Belloc

AVANT-PROPOS DE L’ÉDITEUR

Madame Weston Chapman, qui embrassa des premières aux États-Unis la cause de l’abolition, et qui l’a si activement servie de sa fortune, de son cœur et de son talent d’écrivain, avait engagé madame L. Sw. Belloc, au nom de madame Beecher Stowe, à traduire la Case de l’oncle Tom, lorsque nous eûmes la même pensée. Cette double circonstance décida madame L. Sw. Belloc à entreprendre cette traduction de concert avec mademoiselle Adélaïde de Montgolfier, qui, depuis vingt ans, a partagé ses travaux sur la littérature anglaise.

En apprenant cette détermination, madame Beecher Stowe a adressé à ces deux dames une lettre de laquelle nous transcrivons le passage suivant:

«Je suis très-flattée, mesdames, que mon humble ami, Oncle Tom, ait des interprètes tels que vous pour le présenter aux lecteurs français. J’ai lu une traduction de mon livre en votre langue, et quoique assez peu familiarisée avec le français, j’ai pu voir qu’elle laissait beaucoup à désirer; mais j’ai remarqué aussi dans la gracieuse et sociable flexibilité de la langue française une aptitude toute particulière à exprimer les sentiments variés de l’ouvrage, et je suis de plus convaincue qu’un esprit féminin prendra plus aisément l’empreinte du mien.»

Ces quelques lignes expliquent cette nouvelle traduction de la Case de l’oncle Tom. Les gens de goût ont depuis longtemps apprécié le mérite des différentes traductions de mesdames L. Sw. Belloc et A. de Montgolfier. Nous espérons que la scrupuleuse fidélité de celle-ci, et le bonheur avec lequel les nuances les plus délicates de l’original y ont été rendues, seront appréciés des lecteurs.

Nous avons ajouté à cette traduction un portrait de madame Beecher Stowe, gravé par M. Fr. Girard, d’après un original très-ressemblant.

NOTICE SUR MADAME H. BEECHER STOWE

La Case de l’Oncle Tom est moins un livre qu’un acte de foi, d’amour, d’ardente charité. Comme l’apôtre, l’auteur a dit à l’âme atrophiée: «Au nom de Jésus le Nazaréen, lève-toi et marche!» Et l’âme engourdie s’est redressée, a secoué sa torpeur, et s’est sentie revivre. Tout ce qu’il y a en nous d’instincts nobles, bons, généreux, s’est réveillé à cette voix. Tous nous avons pleuré, aimé, admiré avec madame Beecher Stowe. C’est un des magnifiques attributs de notre nature que cette communion d’émotions pures et saintes, et c’est le plus glorieux privilège du vrai génie, du génie du bien, que d’éveiller cette sympathie universelle et féconde. Honneur donc, à la femme forte qui, malgré la pression d’un égoïsme effréné, au milieu de l’ardent conflit d’intérêts passionnés et aveugles, a obéi à l’élan instinctif et irrésistible de son cœur: honneur aussi aux multitudes qui ont adopté son œuvre, et qui en ont fait le succès!

Ce qui distingue madame Beecher Stowe entre tous les écrivains, c’est qu’elle est appelée, et qu’elle a sa mission. «Lorsque Dieu commande de prendre la trompette, dit Milton, et d’envoyer un souffle au loin, il n’est pas donné à la volonté de l’homme de choisir ce qui se doit dire, ce qui se doit taire.»

Profondément pénétrée de l’esprit du christianisme, le regardant comme la source de toute vérité, de toute liberté, de toute justice, l’auteur de l’Oncle Tom ne s’est pas crue libre de «cacher la lumière sous le boisseau,» et de garder plus longtemps le silence sur les souffrances des opprimés, et l’iniquité des oppresseurs.

«Jésus-Christ, nous écrivait madame Beecher Stowe en son langage biblique, réunissant en une même personne Dieu et l’homme, a relevé l’humanité de la poussière, et l’a faite vénérable: quiconque pèche contre l’homme, pèche donc aussi contre Dieu.»

Son livre est d’un bout à l’autre le saisissant commentaire de cette pensée et de l’admirable précepte évangélique: «Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces et de tout votre esprit, et votre prochain comme vous-même.»

Juger cette œuvre au point de vue littéraire serait, selon nous, une sorte de profanation. C’est le souffle d’une âme pieuse, «porté sur le courant puissant de l’inspiration divine [1];» c’est le sanglot d’une immense pitié pleurant sur les douleurs d’une race asservie; c’est un cri d’amour, de régénération, d’espérance, retentissant du nouveau monde à l’ancien, et y éveillant des millions d’échos. Devant des accents d’une telle portée la question de talent prend de bien petites proportions.

Mais sous quelles influences se sont développés les sentiments de cette âme généreuse? par quelles épreuves ce cœur a-t-il passé pour être a la fois si tendre et si vaillant? où cette observation profonde et vraie a-t-elle recueilli les faits dramatiques et la couleur pittoresque de tant d’émouvants récits? Voilà ce qu’il importe au public de savoir, et ce que nous apprendront quelques particularités de la vie de madame Stowe, d’ailleurs si pure, si chaste, si bien remplie.

Harriet Beecher naquit en 1812, à Litchfield, dans le Connecticut, au milieu d’une famille nombreuse, vouée presque toute à l’active propagation des saintes Écritures. Élevée à Boston où son père était ministre presbytérien, elle y reçut une de ces excellentes éducations, dont la conscience est l’inébranlable base, et le devoir, l’inflexible pivot autour duquel s’accomplissent les obligations de chaque jour. Des talents variés, joints à une instruction solide beaucoup plus étendue que celle que reçoivent d’ordinaire les femmes, lui permirent d’aider de bonne heure sa sœur aînée, Catherine Beecher, à diriger une maison d’éducation de jeunes filles. Là, sans doute, commencèrent à son insu ses études sur les grâces mystérieuses de l’enfance, sur les généreux élans de jeunes âmes, à peine échappées du sein de Dieu et qui aspirent à y rentrer.

L’institution prospérait, lorsqu’en 1832 le docteur Beecher fut appelé à la direction d’un collège de théologie et de littérature, fondé dans l’Ouest par ses coreligionnaires, et où l’instruction devait marcher de pair avec l’apprentissage de métiers, qui permettraient plus tard aux étudiants de gagner le pain du corps, en même temps qu’ils distribueraient le pain de l’âme; car c’était dans cette espèce de séminaire que devaient se recruter les missions domestiques et étrangères. On comptait aussi sur le produit des travaux des élèves pour couvrir une partie des frais. L’acceptation du docteur entraîna pour toute sa famille une émigration complète de l’Est à l’Ouest. Il fallut quitter la haute civilisation de Boston pour aller s’enterrer dans l’Ohio, aux environs de Cincinnati; cette ville, peuplée aujourd’hui de cent vingt mille âmes, n’avait alors que quarante mille habitants à peine; située sur l’extrême limite des États à esclaves, elle pouvait, d’un moment à l’autre, devenir le théâtre de la lutte, déjà engagée par l’éloquent Garrisson entre les partisans de l’abolition et les défenseurs de l’esclavage: lutte toute morale et toute pacifique de la part des premiers, mais que l’inique violence des seconds ne tarda pas à rendre agressive.

Cincinnati est assise sur la rive nord de l’Ohio, dans une vallée demi-circulaire; les collines, qui semblent s’être reculées pour lui faire place, s’avancent de nouveau au bord du fleuve, se recourbent au-dessus et forment le croissant. Sur la plus haute, dominant la ville, était bâti Lane Seminary. De modestes habitations, semées alentour, et à demi enfouies sous des bouquets d’acacias, de chèvrefeuille, de clématite, étaient destinées au docteur Beecher et à sa famille, ainsi qu’aux professeurs du nouveau collège. Elles faisaient partie d’un joli village nommé Walnut-Hills.

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[1] Paroles de madame Stowe dans sa lettre au docteur Wardlaw.