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Durant quelques instants, il resta là à tisonner quand, soudain, il entendit tousser. Pas un petit raclement de gorge, mais la toux frénétique de quelqu'un qui étouffe. Il cherchait d'où cela pouvait venir quand une voix faible se fit entendre :

- S'il vous plaît... éteignez !... Je... je vais brûler...

En même temps, la plaque de cheminée s'abattait sur les bûches et Perceval, comprenant qu'il y avait quelqu'un là derrière, se hâta, à coups de bottes, d'éparpiller le feu puis jeta dessus l'eau des fleurs. Un instant plus tard, une forme indistincte rampait hors de la cheminée, toussant à fendre l'âme. Il l'aida à se relever pour distinguer enfin une gamine de treize ou quatorze ans, une jeune servante sans doute si l'on en jugeait à son costume roussi et couvert de suie. Il n'était même pas possible de se rendre compte de la couleur de ses cheveux. À peine relevée, elle se jeta à genoux pour supplier que l'on voulût bien l'épargner... De nouveau, Raguenel la releva :

- Je ne suis pas un bandit mais l'écuyer de Mme la duchesse de Vendôme ! Et toi, qui es-tu ? Tu as compris ce que je viens de dire ?

- Oui... oui, monseigneur

- On ne m'appelle pas monseigneur. Monsieur suffit ! Alors tu es qui ?

- Jeannette, monsieur, Jeannette Dean. Ma mère c'est Richarde, la nourrice de nos demoiselles. On m'avait donnée comme suivante à Mlle Claire et puis...

Elle éclata en sanglots convulsifs. Sans doute le souvenir de ce qu'elle avait vécu joint au soulagement de se voir sauvée par miracle. Et, en vérité, miracle était bien le mot qui convenait. Enfermée dans sa cachette - l'une de celles pratiquées dans les châteaux au siècle précédent, quand les guerres de religion faisaient rage, cachettes que, selon l'endroit où ils se trouvaient, catholiques et protestants aménageaient pour échapper aux reîtres du parti adverse - Jeannette avait dû entendre pas mal de choses, à défaut de voir.

Mais d'abord la calmer, la rassurer...

Avec patience, Raguenel attendit que l'orage passe. Petit à petit les sanglots s'espacèrent, le souffle s'apaisa. Quand on en fut aux reniflements, il tapota doucement l'épaule de la fillette :

- Tu dois avoir faim et soif. Allons à la cuisine ! Nous y trouverons bien quelque chose.

C'était faire preuve d'un grand optimisme : les assassins étaient aussi des voleurs et des pillards. Ce qu'ils n'avaient pas consommé sur place, ils l'avaient emporté : plus de pain dans la maie, plus de jambons aux solives où demeuraient tristement un ou .deux chapelets d'oignons. Cependant, Jeannette, affamée, furetait partout :

- Il faudrait demander à ma mère, dit-elle enfin. Elle garde toujours sur elle la clef de l'armoire aux douceurs...

- C'est laquelle ?

- Celle-ci, fit Jeannette en désignant une sorte de placard dans un renfoncement sombre et qui, à cause de cela sans doute, semblait épargné. Mais il faut appeler ma mère...

Le chevalier prit l'enfant aux épaules et la fit asseoir sur un escabeau :

- Petite, je dois t'apprendre une chose horrible, affreuse : tu es la seule, de toute la maisonnée, à être encore vivante à l'exception de la petite Sylvie qui a pu s'enfuir. Tu la rejoindras plus tard mais pour l'instant...

Il s'interrompit : Jeannette recommençait à pleurer. À cet instant, Corentin Bellec, occupé depuis un moment à tenter de trouver quelque indice dans la librairie [ix] du baron de Valaines installée en haut d'une tour et que les envahisseurs avaient mise au pillage, rejoignit son maître.

- Prends ton couteau et ouvre ça ! ordonna celui-ci. Il y aura peut-être dedans quelque chose à manger pour cette pauvre fille !

- D'où la sortez-vous, monsieur, pour être aussi noire ? Du pays d'Afrique ? demanda Corentin en s'exécutant.

- De la cheminée de la chambre où nous

[ix] On appelait ainsi la bibliothèque.

avons trouvé Mme de Valaines. Il y a là une cache que cette petite futée a réussi à utiliser. Elle y est enfermée depuis hier sans boire ni manger, bien sûr...

Le placard révéla des pots de confitures, des pains d'épice et des flacons de sirops variés. À l'aide d'un torchon mouillé, Raguenel débarbouilla Jeannette qui, un peu calmée par sa sollicitude et surtout rassurée, dévora à belles dents, ne s'interrompant que pour boire de grands coups d'eau. Rassassiée et suffisamment récurée pour que l'on pût constater qu'elle était blonde avec des yeux bleu faïence, la petite consentit enfin à répondre aux questions de son sauveur et, à force de patience, on parvint à reconstituer ce qui s'était passé à La Perrière par un beau jour d'été.

Assise dans sa chambre devant un petit secrétaire, Mme de Valaines écrivait une lettre tandis que Jeannette achevait de disposer les fleurs dans le grand pot en cuivre quand, précédés du vacarme d'une lourde cavalcade, éclatèrent les premiers cris... Tout de suite, la baronne fut debout, courut à la fenêtre.

- On nous attaque ! Mais qui sont ces gens ? Mon Dieu, mes enfants !

Elle se précipita alors pour descendre, mais Jeannette, après avoir jeté elle aussi un coup d'oil au-dehors et vu tomber les premières victimes, ne la suivit pas. Elle connaissait bien la cachette de la cheminée que les jeunes maîtres lui avaient montrée, un jour, en s'amusant. Poussée par une folle terreur, elle n'hésita pas, fit jouer le mécanisme et s'introduisit dans l'étroit espace prenant air par une dérivation de conduit de cheminée, s'y assit, referma le tout et se tint coite. Il était temps : quelques secondes plus tard, elle entendit que l'on revenait dans la chambre : un ou plusieurs hommes ramenaient la châtelaine, très brutalement sans doute car elle l'entendit gémir. Et il y eut ensuite un bruit comme si on la jetait sur son lit. Aussitôt, une voix dure, sèche, métallique, lançait :

- Inutile de vous défendre ! Personne ne viendra à votre secours. Et sachez que je ne sortirai d'ici qu'après avoir obtenu ce que je veux.

- Et que voulez-vous donc ? Ce n'est plus moi, j'imagine ? Le temps en est passé...

L'homme s'était mis à rire, mais ce n'était pas plus agréable à entendre : " Le diable devait rire comme ça ", précisa Jeannette.

- Pour vous peut-être. Pas pour moi et vous êtes plus belle encore qu'autrefois. En outre, vous êtes veuve, donc libre et telle que je vous voulais. Pourquoi ne seriez-vous pas à moi ?

- Jamais ! Si le temps n'a pas compté pour vous, en cette circonstance, il n'a pas compté davantage pour moi. Vous me faisiez peur... et horreur. Rien n'a changé...

Un instant, Raguenel interrompit le récit de Jeannette, stupéfait de sa facilité à restituer un dialogue, et cela en dépit de la terreur qu'elle devait éprouver :

- Ma parole, on dirait que vous n'avez pas oublié un mot ?

- J'ai une très bonne mémoire, monsieur. Il suffit que l'on me fasse lire quelque chose une seule fois pour que je m'en souvienne et que je le répète sans rien changer. Même si c'est difficile et si je ne comprends pas bien...

Certes, le phénomène pouvait surprendre à première vue ou plutôt à première audition, d'autant plus que Jeannette mettait toutes les phrases bout à bout, sans intonations et presque sans respirer, comme elle eût récité, sans doute, une page de latin. À titre d'encouragement, Perceval offrit à la fillette un nouveau verre de sirop étendu d'eau :

- Le Ciel t'a fait là un don précieux, remarqua-t-il. J'espère que tu le garderas en vieillissant. Reprenons, à présent. Madame a dit à cet homme qu'il lui faisait horreur et que rien n'avait changé.

- Il a dit alors que ça pouvait attendre et que ce qu'il voulait, c'étaient les lettres. " Quelles lettres ?" a dit madame.