Выбрать главу

Et Jeannette, les yeux au plafond comme si les phrases qu'elle allait dire s'y trouvaient écrites, se lança dans la suite de sa relation :

- Ne faites pas celle qui ne comprend pas. Je veux les lettres de la reine Marie de Médicis à la marquise de Verneuil. Une bien dangereuse correspondance pour la mère de notre roi actuel, puisqu'elle expose tout le complot qui a mené à l'assassinat d'Henri IV, complot où la Reine donnait la main. Ces lettres, les Concini les avaient achetées à prix d'or afin de renforcer leur influence sur la Médicis au cas où elle viendrait à faiblir.

- Un moment ! coupa Perceval effrayé de ce qu'il entendait. Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ?

- Non. J'ai entendu des mots, des noms, et ils restent dans ma tête mais il faut que je les répète comme ils sont venus...

- Que veut dire influence ?

Redescendus du plafond, les yeux bleus le contemplèrent d'un air de reproche :

- Je ne sais pas... Je vous ai dit...

- Vous n'auriez pas dû l'interrompre, monsieur le chevalier, intervint Corentin. Elle risque de perdre le fil.

En effet, la petite servante eut quelque peine à le retrouver. Perceval finit tout de même par apprendre que le jour où le jeune Louis XIII avait fait abattre Concini, la reine Marie avait envoyé Chiara fouiller chez sa femme, Leonora, qui devait détenir ces lettres dans son appartement du Louvre. Dès lors, la relation de Jeannette devint chaotique. Mme de Valaines jurait à son bourreau ne pas les avoir trouvées et celui-ci s'entêtait à les croire en sa possession. La suite fut terrible : du fond de sa cachette, Jeannette, à demi morte de peur, entendit les cris de sa maîtresse que l'homme torturait pour obtenir ce qu'il voulait. Il essaya tout, allant jusqu'à exécuter ses enfants devant elle. La malheureuse avait eu un cri :

- Croyez-vous que je permettrais que l'on fît le moindre mal à mes petits si j'avais ces maudites lettres ? Épargnez-les, par pitié...

Cela n'avait servi de rien. Claire et Bertrand avaient été tués. Leur mère les avait rejoints dans la mort après que l'assassin eut assouvi sur elle le monstrueux amour qu'il prétendait éprouver...

Lorsque Jeannette eut fini, elle se remit à pleurer, autant au souvenir de sa terreur qu'à celui du martyre dont elle avait été l'invisible témoin. Ensuite, ne sachant pas s'ils étaient encore là, elle était restée des heures sans oser bouger.

Les deux hommes la laissèrent pleurer à son aise, comprenant qu'il fallait lui permettre de se vider une bonne fois de tout ce qu'elle avait subi. Même lorsque Corentin voulut poser une question, Raguenel l'en empêcha du geste : il allait falloir essayer d'ôter de l'incroyable mémoire de cette petite paysanne ces images et ces sons, ces mots dont elle ne comprenait pas la moitié mais qui représentaient un danger réel. Inutile donc d'en rajouter. On causerait plus tard...

Au bout d'un moment, Jeannette se calma puis, laissant tomber ses bras et sa tête sur la table au milieu des reliefs de son petit repas, elle s'endormit d'un seul coup, vaincue par l'émotion et la fatigue de ces dernières vingt-quatre heures. Le chevalier la regarda dormir, caressa la tête blonde encore passablement sale :

- H y a un lit de repos dans le grand salon, dit-il à son valet. Va l'y étendre, puis reviens ! Bien entendu, nous l'emmènerons avec nous lorsque nous partirons mais, quand tu l'auras installée, va faire un tour dans la basse-cour pour voir si les poules n'auraient pas pondu. J'avoue que j'ai faim. Pas toi ?

- Oh ! si ! Et nous n'aimons ni l'un ni l'autre les sucreries !

Un moment plus tard, les deux hommes s'attablaient devant une grosse omelette au lard confectionnée par Perceval en personne. Il avait découvert un saloir auquel personne n'avait touché et, dans le cellier, un tonneau de clairet contenant un vin encore vert qui n'avait rien d'un nectar mais dont la fraîcheur les désaltéra. Ils mangèrent un moment en silence, puis le chevalier repoussa son écuelle et, tirant de son pourpoint une pipe qu'il bourra de " petun masle ", fit signe à Corentin d'en faire autant en poussant vers lui son sac à tabac.

Maître et valet fumèrent un moment en silence. Cette scène intimiste qui eût choqué plus d'un haut seigneur était naturelle entre le gentilhomme sans fortune et ce compagnon fidèle qui partageait avec lui depuis une dizaine d'années le bon et le mauvais de la vie quotidienne. C'était le plus souvent à la fin du jour qu'on allumait les pipes en passant en revue les événements de la journée. Raguenel appréciait l'esprit vif, l'intelligence et le dévouement de ce compatriote de trois ans plus âgé que lui, et Corentin de son côté n'eût pas échangé un maître qu'il aimait contre le plus riche et le plus fastueux des princes.

Comme souvent, ce fut Perceval qui ouvrit le feu :

- Nous savons à présent pourquoi et comment Mme de Valaines a été tuée, mais nous ignorons toujours par qui. Du fond de sa cheminée, Jeannette a entendu mais elle n'a rien vu.

- De toute façon, si l'homme était masqué cela ne nous aurait pas avancés...

- Masqué ou pas, la malheureuse Chiara savait qui était en face d'elle. Le dommage est qu'elle n'ait pas prononcé une seule fois son nom. Il va falloir se pencher sur le temps où elle était fille d'honneur de Marie de Médicis, essayer de savoir qui tournait autour d'elle à l'époque, qui était amoureux d'elle en dehors de Valaines.

- Vous êtes souvent venu ici, monsieur, et vous étiez de ses amis : ne vous a-t-elle jamais rien confié qui puisse nous mettre sur la voie ?

- Rien, sinon qu'elle a été mariée au Louvre par le chapelain de la reine mère, deux jours après la mort de Concini, et que son époux l'a emmenée aussitôt. Jusqu'à aujourd'hui, je n'avais pas compris les raisons de cette hâte, mais cette histoire de lettres apporte un éclairage nouveau : Valaines a voulu mettre celle qu'il aimait à l'abri.

- De quoi, si elle n'a pas trouvé les lettres ?

- De la colère de la reine mère, peut-être ?

- C'est elle qui l'a mariée. Moi j'y verrais plutôt de la prudence. Récapitulons ! Le 24 avril 1617, Louis XIII fait abattre Concini, le favori de sa mère, de plusieurs coups de pistolet, devant le Louvre. La femme de l'aventurier, Leonora, est arrachée à son appartement, conduite à la Bastille d'où elle ne sortira que pour l'échafaud. De ce moment, Louis XIII est vraiment roi et sa mère, grâce à qui les deux Florentins ont pu confisquer le pouvoir, n'est plus en sécurité. Plus ou moins prisonnière dans ses appartements, elle peut craindre l'exil, peut-être même la prison si les fameuses lettres où se trouve la preuve de sa complicité dans le meurtre du feu Roi sont découvertes. Elle envoie donc Chiara fouiller les chambres de Leonora. Or, Chiara ne trouve rien et on peut la croire : que n'aurait-elle pas fait pour sauver la vie de ses enfants ?

- On sait aussi par Jeannette que son bourreau avait fouillé lui aussi chez la Galigaï. Est-ce que cela ne fait pas beaucoup de monde au courant d'une correspondance si dangereuse ?

- Quand on sait quel ramassis de truands et d'aventuriers composaient l'entourage des Concini, ce n'est pas très étonnant. Mais revenons à la reine mère. Elle n'a pas retrouvé ses lettres mais, si peu intelligente qu'elle soit, elle doit connaître suffisamment Chiara pour lui accorder toute confiance et ne pas imaginer qu'elle ait pu les conserver par-devers elle. En revanche, la jeune fille doit être écartée de la cour : elle en sait trop. D'où le mariage expéditif avec Valaines et le départ pour la province. La suite, nous la connaissons : Marie de Médicis était plus ou moins en disgrâce ainsi que Richelieu, alors évêque de Luçon et son conseiller le plus intime. Que le Roi détestait. Aujourd'hui, les choses ont changé : Richelieu est ministre et la reine mère semble avoir repris toute son influence.