Выбрать главу

- Oh ! tout à fait ! Vous auriez pu le reconnaître vous-même, nous savions qu'il avait l'air d'un laquais de grande maison, mais nous ignorions laquelle. À présent, nous le savons...

- Mais pourquoi M. d'Autancourt me ferait-il suivre ? s'écria la jeune fille déjà prête à se fâcher. C'est un procédé...

La main de Perceval vint se poser sur la sienne, ferme et apaisante.

- Ne vous emballez pas ! Cela pourrait être un procédé d'amoureux ? De toute façon, je crois que nous ne tarderons pas à éclaircir ce petit mystère.

Cela ne tarda guère en effet. Le lendemain, alors que Sylvie aidait Nicole à préparer une grande bassine de confiture de fraises et que Jeannette, assise dans un coin de la cuisine, lui brodait une chemise, le portail s'ouvrit devant le bel équipage de la veille : Jean d'Autancourt priait le chevalier de Raguenel de bien vouloir lui accorder un moment d'entretien. Et, pour un garçon timide, il n'y alla pas par quatre chemins :

- Je suis venu demander, monsieur, si vous accueilleriez avec faveur une visite de M. le maréchal-duc de Fontsomme, mon père ?

Perceval se mit à rire en indiquant un siège au jeune homme :

- Faveur quand il s'agit d'un tel honneur ? Mon cher marquis, vous rêvez ! Et pourquoi donc monsieur votre père me viendrait-il voir ?

- Pour vous demander la main de Mlle de L'Isle. Vous êtes son parrain, son tuteur aussi, je crois, et le seul homme au monde qui détienne la clef de son bonheur...

Cette fois, Perceval cessa de sourire.

- Peste ! Vous ne perdez pas de temps ! Il se peut même que vous vous hâtiez un peu trop. Êtes-vous bien certain que le maréchal accepterait la démarche que vous prétendez lui imposer ? Ses vues sur votre avenir dépassent sûrement l'alliance avec une orpheline d'assez petite noblesse et dont...

- Vous ne connaissez pas mon père, monsieur, je le vois bien ! En ce cas, vous sauriez que c'est l'homme le meilleur qui soit au monde : dévoué au Roi, bon chrétien et père attentif - ce qui est rare dans nos familles, je vous le concède - il a, depuis la mort de ma mère, reporté sur moi toute sa tendresse. Il ne veut que mon bonheur et quand il aura vu Sylvie... je veux dire Mlle de L'Isle, il sera conquis comme je l'ai été moi-même au premier regard.

- Je veux bien le croire mais, tant qu'il ne me l'aura pas appris lui-même, je n'en serai pas absolument certain...

- Est-ce à dire... que vous refusez ma demande ?

- Nullement. Cependant, je ne l'accepte pas non plus. Je serais très heureux d'une union entre vous et ma petite Sylvie, mais tant qu'une demande officielle, c'est-à-dire venue de votre père, ne m'aura pas été présentée, je ne pourrai envisager une réponse ferme. En outre, vous n'ignorez pas que Sylvie a été élevée par et chez Mme la duchesse de Vendôme dont l'opinion doit compter aussi...

Jean fit la grimace !

- La duchesse ou le duc ? Je ne vous cache pas qu'on ne l'aime guère chez nous. C'est un trublion, un personnage dangereux...

- J'ai fait allusion à la duchesse. Seule son approbation compte pour moi. Enfin, si tous ces éléments se trouvent réunis, il restera le plus important : Sylvie elle-même. C'est elle et elle seule qui acceptera ou refusera. Je l'aime trop pour lui imposer un mariage sans amour...

- C'est fort naturel mais, en ce cas, laissez-moi une chance de me faire aimer en attendant que mon père revienne de guerre.

- Comment l'entendez-vous ?

- Permettez-moi de venir la voir. À la Cour cela n'est guère facile, et j'y vais rarement. À ce propos... s'il vous paraît que je mets trop de hâte à vous présenter ma prière, c'est aussi à cause de son poste de fille d'honneur.

- Ne me dites pas que vous partagez les idées de ce La Perrière sur les filles d'honneur ?

- Dieu m'en garde ! Mais le palais bourdonne d'intrigues. Elle y est seule... et elle est si jeune !

Le souci se peignait sur le visage régulier, un peu sévère même, du jeune homme, ce qui toucha Perceval mais il voulut en savoir plus. Avec une soudaine brutalité, il demanda :

- Est-ce pour cela que vous la faites suivre ? S'il avait cru décontenancer d'Autancourt, il se trompait. Le jeune homme rougit mais sa réponse fut sans hésitation :

- Oui. Que vous l'ayez remarqué ne m'étonne pas. Mes gens n'avaient pas reçu l'ordre de se cacher. Et votre terme est impropre : je ne la fais pas suivre : je la fais protéger. Depuis que je l'ai rencontrée dans le parc de Fontainebleau, elle m'est infiniment précieuse... et elle paraît si fragile ! En outre, elle ne dispose ni d'un carrosse ni de serviteurs mâles. Seulement d'une jeune servante qui l'accompagne dans un Paris presque aussi dangereux que le Louvre. Je voulais qu'il y ait toujours auprès d'elle quelqu'un prêt à la secourir. Alors j'ai loué une petite maison rue d'Autriche et j'y ai installé mes plus fidèles serviteurs : deux frères, Séverin et Saturnin, qui se ressemblent assez et qui me sont tout dévoués. Ils se relaient pour assurer, avec carte blanche, la sécurité de Mlle de L'Isle, surtout lorsque je suis aux armées. Cela vous paraît-il offensant ?

Admirant en son for intérieur la puissance de la fortune placée au service de l'amour, Raguenel pensa qu'il lui faudrait remercier Dieu d'avoir mis sur le chemin de sa petite Sylvie ce garçon de vingt ans qui faisait preuve d'une telle maturité. Il serait, à coup sûr, un époux idéal, mais Sylvie l'accepterait-elle tant que son cher François ne serait pas lui-même marié ? À moins que... Après tout, un cour de quinze ans, même épris, ne pouvait-il être sujet à changement ?

- Pas le moins du monde, soupira-t-il enfin. Bien au contraire même, car vous me prouvez ainsi la profondeur de votre amour. Dans ces conditions, je crois honnête de confier à cet amour comme à votre honneur de gentilhomme la vérité concernant ma pupille, car cette vérité confortera certainement en vous ce besoin de la protéger qui est le mien.

Instinctivement, Jean rapprocha son siège de celui de Perceval qui alla prendre dans une armoire un flacon de vin d'Espagne et deux verres qu'il remplit. Il en offrit un et revint s'asseoir.

- Le nom et le fief de L'Isle ont été conférés à Sylvie par les Vendôme lorsqu'elle avait quatre ans, à la suite du drame dont elle venait d'être l'inconsciente victime. Elle s'appelle en réalité Sylvie de Valaines. Elle est la fille...

- ... du baron de Valaines dont la famille a été si mystérieusement décimée il y a... une dizaine d'années ?

- On a en effet laissé planer le mystère pour couvrir le plus affreux des meurtres. Moi seul et les Vendôme connaissons la vérité. Une vérité que je partagerai avec vous dès que vous m'aurez donné votre parole de ne la révéler à quiconque, même au duc votre père, jusqu'à nouvel ordre.

- Vous l'avez ! Parlez, je vous en prie ! Vous ne le regretterez pas.

- Voici : le jour même où leur suzerain légitime, le duc César, était arrêté à Angers, en 1626, la baronne de Valaines qui m'était une amie chère, et toute sa famille, étaient assassinés. Seule la petite Sylvie put échapper et fut recueillie par celui qui est aujourd'hui le duc de Beaufort...

Longtemps, Perceval parla, suivi avec une attention passionnée par Jean d'Autancourt. Il dit tout : le vol des lettres de Marie de Médicis, le martyre de Chiara et la flétrissure imposée par son bourreau, sa propre quête de la vérité et, enfin, les liens de tendresse unissant Sylvie à François depuis qu'il l'avait ramenée à Anet.

- C'est trop naturel ! commenta Jean sans broncher.

- J'ajoute qu'elle a oublié ce drame de sa petite enfance. Ou, tout au moins, les souvenirs qu'elle en garde sont aussi flous que ceux d'un cauchemar.

- Et les assassins ? Les connaissez-vous ?

- J'en connais un : ce La Perrière qui s'intéresse si fort à ma petite. Il s'est fait donner le château sous prétexte qu'il en portait le nom et qu'il aurait dû lui appartenir depuis des années. Quant à l'autre, l'assassin au cachet de cire, je peux vous dire que si j'ignore toujours qui il est, j'ai la certitude qu'il se trouve à Paris et qu'il continue à tuer, de la même façon. La seule différence est qu'il s'attaque à présent aux ribaudes. Tout cela vous explique pourquoi je ne tenais pas à ce que Sylvie devienne fille d'honneur aussi jeune. À l'hôtel de Vendôme ou dans les châteaux de la famille, elle était beaucoup mieux protégée parce que rien ne l'y mettait en lumière. J'aurais cent fois préféré qu'elle vive auprès de moi.