- Mais vous n'étiez pas le maître ?
- Non. Surtout dès l'instant où la Reine souhaitait l'avoir auprès d'elle.
- Il faut faire avec ce que nous avons ! soupira le jeune homme. Pour commencer, mes gens ne relâcheront pas leur surveillance.
- C'est une petite personne très vive et très obstinée.
- Dites plutôt qu'elle est adorable...
- Et que vous l'adorez ? J'en suis bien certain, mais vous devez savoir qu'elle n'est pas prête pour le mariage, avec qui que ce soit, et qu'il sera peut-être difficile de détacher son cour de l'ami d'enfance qu'il pare de toutes les qualités...
- Vous essayez de me dire que je devrai être patient ? Je le serai, soyez-en sûr... mais laissez-moi quand même tenter ma chance !
- Pourquoi pas ? Peut-être arriverez-vous à l'amener doucement à... partager vos projets d'avenir. Ce soir, je lui dirai seulement que vous m'avez rendu visite et que je vous ai autorisé à venir la distraire chaque fois que vous le désirerez.
Le jeune marquis rougit de nouveau mais ses yeux gris s'illuminèrent :
- Vous croyez qu'elle acceptera ma présence ?
- Le contraire m'étonnerait. Elle vous trouve charmant. Et puis vous êtes un peu son héros, à présent ?
En effet, Sylvie, flattée au fond d'inspirer un sentiment sincère, découvrit avec plaisir un compagnon agréable dans le futur duc de Fontsomme. Il ne manquait ni d'esprit, ni de culture, ni de gaieté. Il aimait la musique, toutes les musiques comme celle des vers, et se révélait un admirateur passionné de M. Corneille. Sylvie passa auprès de lui des moments charmants, à la maison ou à l'ex térieur. Chaperonnés par Perceval de Raguenel et Jeannette, on les vit ensemble à la comédie, chez les libraires de la rue Saint-Jacques, dans les boutiques de curiosités du Marais, à la place Royale ou, en carrosse, à la promenade du Cours-la-Reine... On alla un peu partout, sauf dans les salons, en dépit de quelques invitations suscitées surtout par la curiosité, afin de ne pas officialiser une relation qui se voulait de pure amitié. . D'ailleurs Jean sut, avec une sagesse au-dessus de son âge, s'interdire la moindre allusion à ses sentiments profonds envers sa jeune compagne : il était là pour la distraire durant les vacances qu'on lui avait accordées...
Mais qui, au bout d'un mois, prirent fin par l'arrivée d'un billet de Mlle de Hautefort suppliant Sylvie de revenir au plus tôt. " J'ai grand besoin de vous, écrivait l'Aurore, et vous manquez à Sa Majesté. "
Que faire après cela, sinon ses bagages ? Sylvie et Jeannette quittèrent la rue des Tournelles en soupirant et retournèrent au Louvre.
CHAPITRE 9
ÉCHEC À LA REINE
Mlle de Hautefort s’était fait une entorse en descendant le Grand-Degré sans considération pour ses mules neuves à hauts talons mais, indomptable à son habitude, elle n’en avait pas abandonné pour autant ses fonctions de dame d’atour. Assise, par dérogation spéciale du Roi, sur un tabouret[22], son pied bandé posé sur un coussin, elle menait à un train d’enfer le ballet des femmes de chambre qui n’avaient pas trop à se louer de son humeur. Elle accueillit Sylvie avec la grâce d’un chien à qui l’on a retiré son os :
— Vous voilà tout de même ? Ma parole, je commençais à croire que l’on ne vous reverrait plus !
— Vous aviez tort. Je suis revenue dès que vous m’avez appelée.
— C’est bien ce que je vous reproche : il a fallu vous appeler ! Apparemment, l’idée que l’on pouvait avoir besoin de vous ne vous a pas effleurée. Il est vrai que vous étiez trop occupée à vous assurer un brillant avenir !
— Moi ? Un brillant avenir ? fit Sylvie un peu surprise de l’algarade.
— Et quoi d’autre ? On vous voit en tous lieux avec le futur duc de Fontsomme…
— Ce qui ne veut rien dire du tout ! M. d’Autancourt m’a secourue dans une pénible circonstance ; je lui en suis des plus reconnaissante et nous sommes devenus amis. Rien de plus !
Une flamme de gaieté brilla enfin dans l’œil bleu de l’Aurore.
— Je sais cela aussi… et ne prenez pas l’air guindé, Sylvie, cela ne vous va pas du tout ! J’ajoute, afin d’éviter tout malentendu, que je ne vous souhaite rien de mieux que de devenir l’épouse de ce gentil garçon. À présent, parlons d’autre chose ! La Reine désire se rendre demain au Val-de-Grâce. Je m’y ferai porter avec elle mais vous devez bien vous douter que nous aurons besoin de quelqu’un de plus ingambe.
— La Reine a une trentaine de filles d’honneur. Avez-vous tellement besoin de moi pour… faire oraison dans un couvent ? dit mi-figue mi-raisin Sylvie que la perspective n’enchantait pas. Mais, du coup, Marie changea de couleur :
— Qu’est-ce que ce langage ? Auriez-vous laissé votre fidélité sous les arbres de la place Royale ? Les Fontsomme sont dévoués au Roi et…
— Ils sont soldats ! coupa Sylvie. Il ferait beau voir que des officiers ne lui fussent pas dévoués. Autant d’ailleurs qu’à la Reine et ce n’est pas auprès d’eux que je prendrai des leçons de trahison. Nous devons aller au Val ? Eh bien, allons au Val ! J’ai seulement voulu vous taquiner un peu. Mon côté « petit chat », sans doute ? Je suis très espiègle ! conclut-elle avec un sourire ironique.
— Ce n’est pourtant pas le moment, je vous l’assure. Lors de notre dernière visite là-bas, pendant votre absence, La Porte qui avait rendez-vous avec Auger a failli se faire prendre par un détachement du guet à la poursuite d’un voleur qui avait franchi les murs de Paris par un éboulis…
Sylvie brûlait de savoir si François était revenu mais, à la mine de sa compagne, elle comprit qu’elle risquait de se faire rembarrer. D’ailleurs, Mlle de Pons venait d’entrer et, bien que ce fût quelqu’un de tout à fait anodin, ce n’était vraiment pas le moment. D’autant qu’on l’invitait à se rendre dans la chambre de la Reine qui venait de se lever et qui l’accueillit avec beaucoup de bonté :
— Savez-vous que vous me manquiez, mon enfant ? dit-elle en lui tendant une main sur laquelle Sylvie s’inclina. Votre voix possède le miraculeux pouvoir de chasser le souci et d’apaiser le chagrin. Ne me quittez plus !
— Votre Majesté sait à quel point je désire lui plaire. Je serais revenue plus tôt si j’avais osé penser que la Reine pouvait avoir besoin de moi.
— Plus que vous ne croyez ! Ce soir vous chanterez pour moi et demain vous m’accompagnerez à l’abbaye où vous chanterez les louanges de la Reine du Ciel. Nous avons grand besoin de son aide…
Anne d’Autriche semblait nerveuse et Sylvie constata que l’atmosphère du Louvre avait changé durant ce mois. Il y avait moins de monde autour de la Reine. L’été étant revenu, Paris se vidait sans doute au bénéfice des châteaux, mais il était bizarre que le cercle de Sa Majesté se limitât à une demi-douzaine de personnes. Sylvie ne put s’empêcher d’en faire la remarque à Marie. Celle-ci haussa les épaules :
— Vous oubliez que nous devrions, nous aussi, être à Fontainebleau ou à Chantilly que le Roi a désigné comme séjour d’été cette année, et où il désire que nous nous rendions au plus vite.