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Sans le regarder, il tendit le bras vers son greffier qui lui remit aussitôt un papier préparé dont la Reine suivit des yeux le cheminement avec une angoisse qu’elle avait peine à contrôler.

— Qu’est-ce que cette lettre ?

— Un… billet plutôt, écrit par la Reine à l’ancien ambassadeur d’Espagne, le comte de Mirabel. Et ce qu’il contient n’est pas de… nature à… apaiser la colère du Roi…

Il faisait mine de relire le document. Poussée alors par une frayeur soudaine, Anne d’Autriche commit une faute grave. Se levant vivement, elle arracha le dangereux papier des mains de Séguier et le fourra dans son décolleté. Surpris par la rapidité de l’attaque, le chancelier resta les mains ouvertes mais, aussitôt, ses yeux se rétrécirent.

— Il faut me rendre ce papier, Madame. Il est d’une importance extrême.

La reine releva le menton avec insolence :

— Quel papier ? Je n’ai vu aucun papier. À présent, monsieur le chancelier, veuillez vous retirer.

Mais Séguier ne bougea pas d’une ligne. D’une voix que la colère enflait peu à peu, il gronda :

— Ne jouez pas ce jeu avec moi, Madame ! Le Roi m’a donné tout pouvoir pour trouver la vérité. Je dois fouiller cet appartement.

— Eh bien, fouillez ! lança dédaigneusement Anne. Vous ne trouverez rien.

— Sans doute, puisque vous vous êtes emparée de ma preuve. Un geste bien irréfléchi, Madame, qui est en lui-même une preuve… Vous allez devoir me la restituer. Sinon…

— Sinon, quoi ? Vous ne pensez pas, j’imagine, porter la main sur moi ?

— Ne m’y forcez pas, Madame ! Je vous l’ai dit : j’ai tous les pouvoirs !

De pâle, la Reine devint blême mais, d’un élan, Marie de Hautefort lui fit une barrière de son corps.

— Vous insultez votre reine ! C’est crime de lèse-majesté…

— Ôtez-vous de là si vous ne voulez pas que je vous fasse saisir par les gardes qui sont devant la porte !

— Ils ne vous obéiraient pas.

— C’est ce que nous allons voir ! Appelez, greffier !

— Non !

La Reine avait poussé ce cri. Elle repoussa doucement sa dame d’atour, ne tenant nullement à voir les gardes se mêler d’une scène si déshonorante, puis elle se tint droite en face de Séguier, le foudroyant de son regard vert :

— Je vous ai déjà ordonné de vous retirer !

— Et moi je vous ai dit de me rendre cette lettre !

Avant qu’elle ait pu faire un geste, il s’était jeté sur la Reine, arrachait le billet caché entre ses seins puis d’une main hâtive tâtait les poches dissimulées dans la robe, mais déjà Marie de Hautefort était sur lui, toutes griffes dehors, et cette fois Sylvie, d’abord pétrifiée de terreur, s’en mêla. À elles deux, elles lui arrachèrent leur maîtresse qui était en train de s’évanouir. D’un geste violent, Marie repoussa le chancelier si brutalement qu’il trébucha :

— Hors d’ici, misérable ! Vous avez fait assez de mal… mais vous en répondrez !

— Je n’ai fait que mon devoir, glapit Séguier qui avait perdu toute superbe et battait en retraite. J’ai obéi au Roi !

— Le Roi est gentilhomme et vous, vous êtes un maraud ! Dehors !

Cette fois, il disparut avec son greffier qui n’avait pas fait un mouvement tout le temps que dura la scène. Sylvie, penchée sur la Reine tombée à terre, s’efforçait de la ranimer.

— Il faudrait un médecin ! s’écria-t-elle. Une pareille injure ! Mon Dieu ! Elle peut en mourir !

— Allez chercher Mme de Senecey. Moi je vais chez le Roi et croyez-moi, il va m’entendre.

— Le Roi chasse. N’avez-vous pas entendu partir les chiens et les chevaux ?

— J’en ramènerai au moins le médecin Bouvard. Quant à lui, il ne perdra rien pour attendre !

Mais ni ce soir-là ni le lendemain, Marie ne put accomplir son devoir de vengeance. D’ailleurs, sous le poids de l’inquiétude, elle l’oublia un peu : durant les deux jours qui suivirent, la Reine fut quasi inconsciente. Prostrée au fond de son lit, les yeux grands ouverts, elle refusait toute nourriture, n’avalant, avec peine, qu’un peu d’eau sucrée. Bouvard diagnostiqua un violent ébranlement nerveux, la saigna par deux fois sans obtenir, et pour cause, d’autre résultat que de l’affaiblir un peu plus. Pendant ce temps, les gens de justice fouillaient ses appartements, hormis sa chambre où veillaient les femmes fidèles. Et personne à l’exception de M. de Guitaut, son capitaine des gardes, et de M. de Brienne qui avait été jadis un bon conseiller pour elle, ne vint seulement prendre de ses nouvelles. Elle vécut enfermée dans sa chambre comme une pestiférée tandis que ses anciens courtisans se livraient, à deux pas d’elle, à l’agréable jeu des pronostics : qui donc deviendrait reine de France lorsque le Roi l’aurait répudiée ? Il fallait bien, n’est-ce pas, un héritier au royaume ? Quelqu’un osa même lancer – Dieu sait pourquoi – le nom de Mlle de Chémerault et reçut pour sa peine une gifle magistrale de la belle main de l’Aurore :

— On ne remplace pas une infante par une putain quand on est roi de France ! ajouta-t-elle aimablement avant de disparaître dans un grand envol de taffetas gorge-de-pigeon, laissant tout le monde sur place et inquiet.

Pendant ce temps, le garde des Sceaux se faisait tancer d’importance par le Cardinal dans le silence ouaté de son cabinet :

— Vous avez osé porter la main sur la reine de France ? Mais vous êtes devenu fou ! Pour cette insulte dont l’Espagne pourrait nous demander un compte sanglant, je devrais vous faire tirer à quatre chevaux ! D’autant que vous saviez très bien que votre billet n’était qu’un faux imitant son écriture.

— Je devais la faire avouer. C’étaient vos ordres, monseigneur !

— Je ne vous ai jamais rien ordonné de semblable. Il y a d’autres moyens pour faire avouer, mais qui demandent de la subtilité. À présent, je vais devoir me rendre à Chantilly un jour prochain, quand ce maudit La Porte se sera décidé à parler, pour essayer d’effacer l’effet de votre inqualifiable maladresse !

Il était rare que le Cardinal s’emportât à ce point, surtout envers un des maîtres du Parlement, mais il détestait la force brutale et les bévues incontrôlables qu’il lui arrivait de susciter. La Reine, il la haïssait mais il ne voulait pas sa perte. Ce qu’il voulait, c’était lui inspirer une sainte terreur, une peur suffisante pour la ramener à sa main, enfin disciplinée dans l’attelage que, de gré ou de force à présent, elle devait former avec le Roi. Il voulait la soumettre enfin, cette fière Espagnole qui le bravait depuis si longtemps et ne cessait de conspirer contre lui, donc contre le Roi, mais, l’alerte passée, il voulait qu’elle donne un héritier au trône. Or le Roi n’approchait plus sa femme…

Richelieu se sentait vieux, tout à coup, mais il n’était pas homme à se lamenter longtemps sur ses innombrables soucis. Il alla se verser quelques gouttes de ce vin d’Alicante qu’il appréciait, prit son chat favori et s’assit près d’une fenêtre ouverte sur les beaux jardins. Oui, il se rendrait bientôt à Chantilly ! Après tout, la stupidité de Séguier lui permettait à présent de jouer les pacificateurs auprès de la belle Espagnole dont il savait que tous ou presque l’abandonnaient. Cette fois, en caressant son chat, le Cardinal souriait…

À Chantilly, cependant, la ronde des faux bruits continuait. On disait que la Reine allait être non seulement répudiée mais aussi arrêtée et conduite à la forteresse du Havre pour y attendre un jugement solennel.

Le jour où ce courant d’air commençait à circuler, Marie de Hautefort trouva dans son livre d’heures un billet fort pittoresque, puisque ainsi rédigé :