— Chaque chose en son temps ! Il nous faut voir d’abord si le Roi se décide à reprendre le chemin de la chambre de la Reine…
— Et s’il le reprend, moi vous me jetez dehors ? s’écria le jeune duc furieux. Que suis-je pour vous, un étalon ?
Elle lui offrit le plus impertinent des sourires :
— C’est un peu ça. Avec vous, nous serions sûres d’avoir un enfant magnifique. Mais comprenez donc, jeune étourdi, que si le Roi se remet à honorer sa femme, nous aurons besoin de vous plus que jamais ! Les rares moments où il la rejoignait, il n’a réussi que des fausses couches. Et là, si je sais m’y prendre, vous pourrez être heureux sans danger. Vous avez compris ?
— Je crois. Mais par pitié ne me faites pas trop attendre ! J’en meurs !
— La résurrection n’en sera que plus douce !
Et François regagna Chenonceau où l’on avait beaucoup vu cet été Monsieur et la petite Mademoiselle, une fillette intelligente et futée qui amusait tout le monde. La duchesse Françoise ayant rejoint son époux avec sa fille, les relations se faisaient plus intimes entre les deux familles et Beaufort, privé de son ami Soissons passé à l’ennemi, d’humeur mélancolique, entama une sorte d’amitié avec Monsieur dont il savait cependant qu’il ne valait pas grand-chose. Mais Gaston d’Orléans savait, quand il le voulait, déployer beaucoup de charme.
Cependant, cet automne réservait de grandes joies au Roi comme au Cardinal. Les bonnes nouvelles militaires se succédaient. Le duc de Savoie, beau-frère du Roi, avait remporté une victoire sur les Espagnols, les Français en remportèrent une autre à La Capelle, dans le Nord. Enfin, au sud, le duc d’Halluin sortait vainqueur de la bataille de Leucate, en Roussillon.
Transporté de joie, Louis XIII fit chanter un Te Deum à Notre-Dame, au milieu d’un faste propre à réjouir le cœur de son peuple qui ne ménagea pas ses acclamations. Malheureusement, la Reine arriva fort en retard, alléguant comme excuse qu’elle ne savait pas qu’il lui fallait venir…
Entendant cela, Mlle de Hautefort soupira, en levant bien haut ses beaux sourcils. Par moment, elle se demandait si celle à la cause de qui elle se dévouait corps et âme était aussi intelligente qu’elle l’aurait voulu croire… Une question que la petite Mlle de L’Isle se posait déjà depuis un moment…
Troisième partie
L’HEURE DU DÉMON
CHAPITRE 10
LES SECRETS DE MARIE DE HAUTEFORT
François rongea son frein à Chenonceau jusqu’à la mi-novembre. Sourde aux soupirs de la Reine, aveugle aux billets délirants que l’amoureux désespéré lui faisait passer, Mlle de Hautefort entendait laisser la place libre au Roi dans l’espoir qu’il se déciderait à passer avec sa femme cette nuit que la Cour guettait depuis trois ans avec une avide curiosité. Malheureusement, il n’en était rien. Louis XIII faisait bon visage à son épouse, lui montrait tout le respect désirable mais ne se décidait plus à se comporter en mari. Et cela en dépit des objurgations dont l’accablait Marie dont le regain de faveur ne se démentait pas.
En revanche, au moins deux fois la semaine, il se rendait au couvent de la Visitation, rue Saint-Antoine, pour y causer avec sœur Louise-Angélique, naguère Louise de La Fayette. Il était seul admis à s’approcher de la grille dans l’obscur parloir. Elle lui apparaissait, ombre blanche derrière les barreaux où parfois il s’accrochait dans l’espoir insensé de la ramener auprès de lui.
En dépit des victoires qui se succédaient, l’atmosphère de la Cour redevenait irrespirable. D’abord, on était de nouveau en deuil : cette fois, il s’agissait du beau-frère du Roi, le duc Victor-Amédée de Savoie qu’il aimait beaucoup. Cette mort allait fort compliquer les affaires d’Italie, car le duc laissait pour héritier un enfant de cinq ans dont il faudrait défendre les droits.
Lasse de prier sans obtenir satisfaction, Marie de Hautefort décida qu’il était temps de faire plaisir à la Reine et rappela Beaufort qui accourut de toute la vitesse de son cheval. En même temps, elle se rendit au couvent de l’ancienne fille d’honneur, demanda à lui parler et resta avec elle de longues minutes. Elle en revint satisfaite et entreprit de préparer pour François un exploit périlleux : rejoindre la Reine la nuit et en plein Louvre.
Il s’y était déjà introduit une fois, déguisé en médecin, à propos du prétendu malaise de Stéfanille, mais il n’était resté qu’un moment, le temps d’un bref entretien et de prendre quelques lettres. À présent, il s’agissait de procurer aux deux amants un peu de vrai bonheur en priant Dieu qu’il soit fructueux. Par chance, le Roi continuait à galoper d’un château à l’autre aux alentours de Paris. Sa dernière fantaisie l’entraînait à se rendre fréquemment au petit château de Saint-Maur qui avait appartenu jadis à Catherine de Médicis. C’était, sur une boucle de la Marne, un endroit charmant où regrets et rêveries s’épanouissaient en une douce mélancolie. À deux ou trois reprises, déjà, il s’y était rendu depuis Versailles, sans oublier de faire une halte rue Saint-Antoine.
Les craintes de Marie se révélèrent vaines. La nuit où François vint, tout se déroula sans la moindre anicroche. Entré le matin au palais sous l’aspect terreux d’un garçon de maraîcher apportant des choux à la cuisine, il réussit de là – grâce à un cuisinier acheté ! – à gagner un réduit où un habit de laquais et une perruque brune l’attendaient. Il y resta tout le jour, jusqu’à ce que ce vieux Louvre truffé de cachettes et de passages secrets s’endorme enfin. Marie vint l’y chercher et assura qu’elle le ramènerait avant le jour levé. Ce qui se produisit point par point.
Le lendemain, la Reine était épanouie, s’efforçant toutefois de ne pas trop montrer sa joie intérieure à ces centaines d’yeux – filles d’honneur ou autres – qui ne cessaient de l’épier. Elle s’était réchauffée à la flamme de ce garçon, jeune et si amoureux qu’elle en retrouvait ses vingt ans et oubliait les quinze années qui les séparaient. Cependant, Marie n’était pas entièrement satisfaite :
— Je me demande si les choses ne se sont pas trop bien passées ! confia-t-elle à Sylvie qui l’interrogeait sur sa mine soucieuse.
— Mais qu’auriez-vous voulu qu’il se produise ?
— Je ne sais pas, mais dans une demeure comme celle-ci, la nuit, il y a toujours de menus incidents… des rencontres ! Or, aussi bien à l’aller qu’au retour, il n’a rencontré personne sinon des gens endormis, des gardes appuyés à leurs hallebardes aussi peu curieux que possible…
— Est-ce que vous n’exagérez pas ? Il était habillé en valet et accompagné par vous. Qui vouliez-vous qui s’intéresse à lui ?
L’Aurore passa sur son front pur une main blanche… qui tremblait.
— Il se peut que vous ayez raison, mais, Sylvie, l’aventure de cette nuit sera la seule à se dérouler ici. J’ai eu trop peur !
— Moi aussi, confessa la jeune fille, mais croyez-vous que tous deux se contenteront de ces quelques moments ? Je l’ai guetté, lui… et elle je l’ai vue au matin, quand je suis entrée dans sa chambre pour le lever. Le même bonheur était inscrit sur leurs visages…
Elle retenait ses larmes en achevant sa phrase. Marie, alors, eut pour elle un geste inattendu : chaleureux, plein d’affection. Elle emprisonna dans ses mains celles de sa jeune compagne.
— Pauvre chaton ! Je suis tellement attachée à sa gloire, à vouloir pour elle le plus grand triomphe d’une reine : donner un héritier à ce royaume contre vents et marées, que j’en oublie votre pauvre petit cœur qu’en amants égoïstes ils ne cessent de piétiner ! Et vous ne m’en voulez pas ? Et vous continuez de m’aider ?