Выбрать главу

— S’ils marchent sur mon cœur, ils marchent aussi sur le vôtre, mais leur excuse est qu’ils l’ignorent. Et puis, vous êtes la seule amie que je possède en ce palais. Dans ces conditions, que ne ferais-je pour vous aider ?

Un même élan les jeta dans les bras l’une de l’autre. Une étreinte sans phrases, sans mots inutiles, venue du cœur et qui scellait une sorte de pacte. Marie le contresigna en disant :

— Je prierai Dieu qu’il me donne de vous aider un jour… En attendant, la prochaine rencontre aura lieu au Val-de-Grâce ! Je serai plus tranquille.

— À l’abbaye ? Mais comment ferons-nous ? La supérieure a été changée, la porte murée…

— Mais le mur n’a pas été relevé. Avec une bonne corde, un garçon de vingt ans doit en venir à bout sans difficulté. Surtout s’il est aussi épris que l’est ce fou !

Trop heureuse pour ergoter, la Reine s’en remit à sa fidèle dame d’atour. Elle aussi aimait mieux le Val. Même avec une abbesse revêche ! On décida que le prochain revoir aurait lieu dès que le Roi annoncerait son intention d’aller passer quelques jours à Versailles. La Reine alors irait se recueillir dans son couvent favori. Elle n’y resterait qu’une seule nuit, afin de ne pas éveiller de nouveaux soupçons.

Le Roi étant parti le 1er décembre, ce fut le 2 que la Reine annonça son intention d’effectuer cette brève visite du jeudi 3 au vendredi 4, afin de se recueillir en un lieu qui lui était cher, au moment où l’on entrait dans le temps de l’Avent. Comme d’habitude, elle n’emmènerait que peu de monde.

À sa grande surprise, et à son grand soulagement, Sylvie ne fut pas du voyage. Au dernier moment, la Reine décida qu’elle serait accompagnée par sa dame d’honneur et sa dame d’atour. Ce qui fit ricaner les autres filles d’honneur. Elles y voyaient l’annonce d’une prochaine disgrâce, mais Marie de Hautefort fit taire tout cela en disant que, la Reine n’allant au Val que pour quelques heures, une aussi courte visite ne nécessitait pas la présence de sa chanteuse favorite : il n’y aurait à la chapelle que les offices ordinaires. Puis, elle prit Sylvie à part :

— Étant donné les derniers événements, une dame plus mûre était souhaitable. Ce qui ne changera rien à ce qui est décidé, ajouta-t-elle en riant. Mme de Senecey a besoin de beaucoup de sommeil et je puis vous assurer qu’elle dormira comme un ange. J’y veillerai !

Le bagage qu’elle emportait en ces circonstances étant prêt, Sylvie choisit d’aller passer la nuit chez son parrain. L’idée de rester au Louvre en la seule compagnie de ses pareilles, facilement jalouses et souvent en quête d’une méchanceté, ne lui souriait pas. Elle partit donc pour la rue des Tournelles, toujours flanquée de Jeannette…

Dame Nicole et Corentin les y reçurent à bras ouverts et essayèrent de compenser la déception qui l’y attendait : elle ne verrait M. le chevalier que le lendemain matin.

— M. Renaudot, qui est son ami, est venu le chercher il y a un moment, expliqua Corentin, comme cela lui arrive assez souvent. Ils soupent ensemble et ensuite je ne sais trop ce qu’ils font mais cela les mène toujours fort tard…

— Et vous ne savez pas où ils vont ? demanda Sylvie.

— Ma foi non. Cela me peine un peu, car j’ai dans l’idée qu’ils vont courir je ne sais quelles aventures et je n’aime pas beaucoup que M. Perceval me fasse des mystères…

— Des mystères ? À vous qui êtes son compagnon de toujours ?

— Eh oui ! Il dit qu’il ne veut pas que Nicole reste seule la nuit. Bien que le quartier soit élégant, il n’est pas toujours sûr. Mais c’est peut-être son ami qui ne veut pas de moi ?

— Qu’allez-vous chercher là ? s’écria Sylvie en riant. La première raison me paraît de beaucoup la plus valable. Vous devez veiller sur la maison. Cette nuit, vous veillerez aussi sur Jeannette et moi… et puis vous direz à Nicole que je souperai avec vous. J’espère qu’elle nous cuisinera quelque chose de bon ?

— N’ayez crainte, fit Corentin, sa bonne humeur retrouvée, elle est déjà plongée jusqu’au cou dans la pâtisserie !

La maison embaumait le beurre et le caramel. Sylvie alla se reposer dans sa chambre en attendant l’heure de passer à table. Le temps gris, maussade et venteux n’attirait pas vers le jardin où les feuilles étaient à terre.

L’absence de Perceval l’inquiétait tout de même. Était-il toujours à la recherche de ce mystérieux criminel auquel il avait fait allusion quand ils s’étaient rencontrés au bord de la Seine, près de la porte de Nesle ? Ce fut la question qu’elle lui posa quand, le lendemain matin, elle le retrouva devant la table du petit déjeuner.

On parla de choses et d’autres, mais ce fut seulement lorsque Perceval regagna son cabinet où Corentin venait d’allumer un bon feu que Sylvie posa la question qui lui brûlait les lèvres :

— Je n’ai pas oublié notre rencontre à la porte de Nesle, mon parrain. Vous m’aviez dit que vous cherchiez un assassin. Est-ce toujours à ses trousses que vous courez la nuit, avec M. Renaudot, ou bien est-ce un autre ?

Le visage fatigué de Raguenel s’étira en un sourire las :

— C’est toujours le même, malheureusement. Un monstre qui semble posséder le pouvoir de disparaître dans les ténèbres une fois son forfait accompli. Ce misérable s’attaque aux filles de joie qui travaillent dans les rues. Il les viole, les égorge et les marque au front d’un cachet de cire rouge où il imprime une lettre grecque : un oméga.

— Quelle horreur ! Mais vous vous attaquez là à une tâche démesurée. Paris est grand ! Le guet ne vous aide pas ?

— Ils ne sont pas assez nombreux pour surveiller tous les endroits dangereux. Et puis ils sont souvent corrompus. Il nous faudrait une vraie police !

— Mais enfin, pourquoi vous intéressez-vous au sort de ces malheureuses femmes ? Est-ce pour aider Mme de Vendôme qui se voue de plus en plus à leur rédemption ?

— Non. Je lui en ai parlé mais elle ne peut rien. Nous songeons, Renaudot et moi, à nous rendre une nuit dans le quartier des Innocents, à la cour des Miracles, pour rencontrer le Grand Coesre, le chef des truands, et tenter d’obtenir son aide…

— Vous êtes fous ! Vous n’en sortirez pas vivants !

Il lui offrit un sourire qui ressemblait assez à une grimace.

— C’est ce qui nous fait hésiter. Si l’on nous assassine pour nous détrousser, les pauvres victimes n’y gagneront pas grand-chose. Nous avons remarqué cependant que les meurtres avaient lieu surtout les nuits de pleine lune. C’est assez étonnant, car ce sont les nuits les plus claires…

Sylvie se laissa glisser à ses pieds et prit ses mains dans les siennes :

— Je vous en supplie, cessez de mettre votre vie en danger de cette façon ! Je sais bien que c’est affreux mais ces femmes savent qu’elles courent des risques puisque le plus simple promeneur attardé en court la nuit dans Paris. Et s’il vous arrivait quelque chose… je n’aurais plus personne au monde. Et… je vous aime beaucoup !

Touché, il la fit asseoir sur ses genoux comme lorsqu’elle était toute petite et l’embrassa doucement :

— Ne vous tourmentez pas, mon cœur ! Nous savons nous défendre et nous sommes toujours bien armés. Le pire, c’est cette loi du silence que l’on rencontre dans les bas-fonds. Personne ne veut nous aider parce que tout le monde a peur…

— Alors, renoncez !

— Non. C’est impossible ! Je ne peux pas renoncer : je l’ai juré et…

Il se tut en comprenant qu’il s’engageait dans un chemin épineux, mais Sylvie avait très bien entendu :