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Obéissant à un sentiment de pitié, il alla, comme elle l’avait fait plusieurs fois lorsqu’elle venait chanter pour lui, verser dans un verre un peu de malvoisie :

— Tenez… Buvez, mon enfant, vous vous sentirez mieux ! Il faut vous ressaisir.

Elle leva sur lui ses yeux inondés de larmes mais, en prenant ce qu’on lui offrait, rougit brusquement. Elle pensait soudain à la petite fiole de poison remise par le duc César et dont elle ne s’était pas débarrassée avec l’idée qu’un jour, cette porte ouverte sur la mort pourrait lui être secourable si elle en venait à trop souffrir. Ce soir, elle n’avait pas songé à l’emporter. Pour quoi faire, d’ailleurs ? Elle-même devait rester bien en vie pour veiller sur Perceval et la mort du Cardinal n’aboutirait qu’à précipiter son trépas. On le ferait disparaître sans la moindre hésitation !

Chassant ces pensées débilitantes, elle but un peu de vin et, en effet, se sentit mieux :

— Que de bonté, monseigneur ! Je prie Votre Éminence de me pardonner mon mouvement de colère ! Il tient tout entier dans la tendresse que je porte à mon parrain…

— C’est bien ainsi que je l’ai compris. Restez assise, à présent, et causons !… Tout d’abord, comment s’appelle le château de votre enfance ?

— La Ferrière, monseigneur ! Il appartient maintenant au baron du même nom qui, voici peu, souhaitait obtenir ma main. Il estimait, paraît-il, que les Valaines n’y étaient que des intrus et il a réussi à obtenir de… du Roi qu’on le lui donne.

En dépit de son désarroi, Sylvie avait eu assez de présence d’esprit pour attribuer à Louis XIII un cadeau dont elle savait pertinemment qu’il venait du Cardinal. Les yeux de celui-ci parurent se rétrécir :

— Connaissiez-vous cela quand vous avez refusé M. de La Ferrière ?

— Nullement, monseigneur. Je n’ai su la vérité qu’il y a quelques semaines seulement. Je l’ai refusé parce que je ne l’aimais pas et que, même, il me faisait un peu peur. Non sans raison, car il n’a pas renoncé à me poursuivre. Cet été, à la place Royale, M. de Cinq-Mars s’est interposé entre lui et moi…

— Et il a bien fait ! Ce ne sont pas des procédés ! Autre chose, à présent ! À propos de la mort tragique de votre mère, vous parliez de lettres que l’on voulait lui reprendre. Savez-vous ce qu’étaient ces lettres ?

— Je ne sais pas grand-chose, monseigneur. Simplement qu’elles étaient de la main de la reine mère. C’était un peu normal, me semble-t-il, puisque ma mère lui était cousine, mais j’ignore ce qu’elles contenaient et à qui elles étaient adressées. Peut-être à ma mère ?

Le Cardinal eut une moue dubitative :

— Il faudrait qu’elles eussent contenu des confidences graves. Ce que j’ai peine à croire. Ne disiez-vous pas qu’elles étaient importantes pour un haut personnage ? De celui-ci, que savez-vous ?

— Rien du tout ! J’ai seulement pensé que c’était peut-être Sa Majesté le Roi, puisqu’il s’agissait de sa mère ?

— Le Roi eût envoyé des soldats commandés par l’un de ses grands serviteurs. Or, non seulement les gardes royaux n’ont pas vocation de massacrer les femmes et les enfants, mais vous avez mentionné des… inconnus masqués ?

— Oui, monseigneur. On a parlé d’une douzaine de cavaliers masqués et habillés de noir et…

— … et mes gens à moi sont vêtus de rouge et je n’emploie pas de spadassins ! fit sèchement Richelieu.

— Pardonnez-moi, monseigneur, mais le Roi et Votre Éminence ne sont pas les seuls que de telles lettres pouvaient intéresser et les hauts hommes sont assez nombreux qui disposent de troupes plus ou moins régulières, ajouta Sylvie qui, sachant ce que lui avait appris Perceval, ne doutait pas que les meurtriers eussent agi pour le compte du ministre. Elle admettait cependant volontiers que leur chef, agissant en même temps pour son compte personnel, eût outrepassé ses ordres. Le malheur voulait qu’il soit impossible de donner le fond de sa pensée et d’interroger le Cardinal. Savoir le nom de celui qu’il avait chargé de récupérer la dangereuse correspondance, c’était savoir celui de l’assassin au cachet de cire !

Sa réponse d’ailleurs avait l’air de convenir. Le dur visage se détendait un peu. Richelieu réfléchissait. Soudain, il demanda :

— Jureriez-vous sur l’Évangile qu’en cela vous m’avez dit la vérité ?

— Sans hésiter une seule seconde, monseigneur. Mettez-moi à l’épreuve !

Le regard sombre fouilla les prunelles claires au fond desquelles il ne réussit à déceler aucune ombre. Richelieu n’en avait pas encore fini pourtant avec l’affaire de La Ferrière.

— Ces cavaliers masqués, qui donc les a vus pour si bien les décrire ?

— Le village tout entier qu’ils ont terrifié. Ils sont venus en plein jour…

— C’est stupide ! Pour ce genre d’expédition, la nuit n’est-elle pas préférable ?

— Sans doute mais, dans la journée, surtout en été, portes et fenêtres sont ouvertes. En outre et pour ce que j’en sais, La Ferrière garde des défenses médiévales, des douves, un pont-levis…

— Pour ce que vous en savez ? N’y êtes-vous jamais retournée ?

— Jamais. Mme la duchesse de Vendôme tenait beaucoup à ce que j’oublie tout de ma petite enfance. Nous avions défense de diriger nos promenades de ce côté lorsque nous séjournions au château d’Anet.

— Et dans vos souvenirs, il n’y a rien ?

— C’est très vague. Depuis que je connais la vérité sur moi, je me suis efforcée de me rappeler, mais ce sont surtout des visages qui sont restés au fond de ma mémoire. Pour le reste, j’ai vu depuis tant de jardins et d’appartements qu’il m’est difficile de démêler tout cela…

— N’essayez pas ! Quand il s’agit de mauvais souvenirs, mieux vaut les laisser dormir !

— Pourtant, j’aimerais retrouver mon nom véritable, tout raconter à Sa Majesté la Reine. J’ai l’impression de porter un masque moi aussi !

— Outre que Mme de Vendôme ne donnerait sans doute pas son accord, je pense qu’il vaut mieux rester Mlle de L’Isle comme devant. Trop de questions se poseraient. Il faudrait expliquer trop de choses et, bien que vous n’y soyez pas depuis très longtemps, vous avez appris ce qu’est la Cour. Les secrets y sont difficiles à garder. Une excellente raison pour les préserver au mieux.

— Ne puis-je au moins me confier à la Reine ? Il m’est pénible de lui mentir…

— C’est tout de même préférable. Mais venons-en à Sa Majesté, puisque vous l’évoquez. Vous lui êtes dévouée, n’est-ce pas ?

— Tout à fait, monseigneur.

— Autant que Mlle de Hautefort dont vous êtes d’ailleurs l’amie ? Ce dont je vous félicite : ce n’est pas facile mais c’est un vrai privilège. Cela vous a valu de partager les secrets de votre maîtresse.

Le cœur de Sylvie manqua un battement devant le chemin dangereux que le Cardinal ouvrait à présent devant elle. Pourtant, l’attitude de celui-ci était bénigne, aimable même. Il la regardait avec l’un de ses rares sourires dont, en homme habitué à compter ses armes, il connaissait le charme. Mais ce charme, Sylvie n’y fut pas sensible. La peur lui revenant, elle ne vit qu’une chose : Son Éminence avait les dents jaunes !

— Encore faudrait-il que la Reine ait des secrets, répondit-elle. Ou, si c’est le cas, qu’elle juge à propos de les partager avec une fille de quinze ans. À cet âge… on n’est pas très fiable, peut-être ?