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Henri IV prit cela pour une mauvaise excuse mais, en fait, c'était vrai : Françoise qui se serait vue reine de France avec un certain plaisir ne voulait plus entendre parler de César de Vendôme, un gamin de quatorze ans (alors qu'elle en avait seize) que l'on disait turbulent, brutal et surtout préférant de beaucoup la compagnie des garçons à celle des jeunes filles. Cette période lui avait été pénible, pour la simple raison que l'orgueil de Françoise était entré en lutte avec son cour. Il était charmant, César, avec ses cheveux blonds, ses yeux bleus et ses traits déjà majestueux. Il promettait d'être un homme superbe et plus d'une femme le regardait fort doucement. Ce charme, Françoise l'avait subi, mais elle avait une juste conscience de ce qu'elle était elle-même : une princesse appartenant à l'une des plus nobles maisons d'Europe, nièce d'une reine de France [viii], jolie de surcroît, fort riche et surtout élevée dans les

[viii] Louise de Vaudémont, épouse d'Henri III.

principes rigoureux que l'on sait et qui ne toléraient pas le vice de Sodome...

Elle s'y fût résignée, peut-être, comme la douce et pieuse tante Louise s'était résignée aux mignons de son époux, mais la couronne et le manteau royal confèrent bien du courage à qui est digne de les porter et il ne pouvait plus être question que le fils de Gabrielle montât jamais sur le trône. Et pourtant, la rebelle fut obligée de s'incliner. Non devant un ordre du Roi - Henri IV savait qu'il n'avait aucun moyen de contraindre Mlle de Mercour à épouser son fils bâtard - mais devant la volonté du duc de Lorraine, le chef de famille. Celui-ci, Henri II le Bon, veuf en premières noces de Catherine de Bourbon, sour d'Henri IV, entendait garder de bonnes relations avec son beau-frère. Il fit entendre que le mariage lui convenait et il fallut bien que les deux rebelles, mère et fille, s'inclinassent. Et, pour un beau mariage, ce fut un beau mariage !

En l'évoquant, Françoise ne pouvait s'empêcher de sourire. Elle revoyait la chapelle du château de Fontainebleau, tout embaumée de fleurs, bra-sillante de cierges et scintillante de parures en cette nuit du 5 juillet 1609. Elle revoyait César, déjà plus grand qu'elle, rayonnant et magnifique dans son pourpoint de satin blanc lorsqu'à minuit il avait pris place auprès d'elle pour lui jurer amour et fidélité. Il lui avait souri en prenant sa main. Il est vrai qu'elle aussi était belle mais, à travers elle, c'était à la Bretagne qu'il souriait, la Bretagne qu'on lui avait présentée l'année précédente et qui avait pris une partie de son cour. Il était heureux, César, ce soir-là, et Françoise l'était aussi. Il y avait bien eu un moment d'affolement quand on avait mis le jeune couple au lit et que le Béarnais, sa grande bouche fendue d'une oreille à l'autre en un large sourire, avait saisi un siège pour s'installer au chevet. Pensait-il vraiment rester là ? La jeune épousée avait levé sur sa mère en larmes un regard épouvanté : elle ignorait tout de ce qui allait suivre, Mme de Mercour s'étant contentée de lui conseiller de se soumettre en tout à ce qu'on lui demanderait, si étrange que cela lui parût. Le Roi, lui, riait franchement.

- Séchez donc vos larmes, ma cousine ! dit-il à la duchesse, j'ai fait instruire mon fils de bonne main et nous devrions avoir toute satisfaction.

César aussi s'était mis à rire en se tournant vers sa jeune épouse plus morte que vive :

- Allons, madame, il faut faire plaisir au Roi... et à nous-mêmes ! dit-il gaiement. Et, sans plus se soucier de l'observateur, il l'avait prise dans ses bras. À sa grande surprise, Françoise elle aussi avait oublié l'indiscret qui, d'ailleurs, s'était retiré sur la pointe des pieds en fermant les rideaux du lit...

Ils avaient fait l'amour à trois reprises sur un ton de gaieté qui lui donnait l'apparence d'un jeu. Françoise, alors très mince et peu fournie en avantages féminins, découvrit que son jeune mari ne souhaitait pas qu'elle fût autrement. Il détestait les femmes plantureuses plus encore que les autres et il valait mieux, pour lui plaire, posséder son corps légèrement garçonnier. De cette nuit de noces célébrée par plusieurs semaines de réjouissances et de fêtes, sortit un couple uni par une complicité, une estime et une affection qui ne devaient jamais se démentir. Françoise, soutenue par sa foi profonde, eut la sagesse de s'en contenter. Le cour de son époux, elle le découvrit, ne pourrait jamais battre pour une autre femme : César avait trop aimé sa mère, l'éclatante Gabrielle, et en demeurait à jamais ébloui. Quant aux jeunes hommes dont il aimait à s'entourer, il ne permit pas que sa femme eût seulement à s'en inquiéter. Il l'aimait à sa manière, et surtout il adorait les trois superbes enfants qu'elle lui avait donnés et qui consolidèrent une union plus réussie que l'on pouvait s'y attendre. La gaieté de César, son goût du faste, sa folle bravoure en faisaient un compagnon d'autant plus attachant qu'il était capable d'apprécier le caractère plus grave d'une femme qu'il appelait " ma chère Sagesse ".

L'idée de son arrestation bouleversait Françoise. Il était l'homme des grands espaces, des tempêtes, des courses dans le vent, des batailles aussi et des grandes frairies entre bons compagnons au retour de la chasse. S'il aimait tant la Bretagne, c'est parce qu'il y avait découvert un terroir selon son cour : sauvage, fier et grandiose. Comment imaginer un tel homme entre les quatre murs d'un cachot, attendant Dieu sait quel jugement inspiré par la haine et la partialité, car jamais - Françoise l'eût juré sur la mémoire de sa mère - César n'avait seulement songé à s'attaquer au Roi son frère dans sa vie ou seulement sa santé. L'homme qu'il haïssait c'était Richelieu, et Richelieu le lui rendait avec usure. Malheureusement, le Cardinal-ministre était le plus fort.

- Il faut que je le sorte de ce mauvais pas, se répétait la duchesse. Mais comment ? Par quel moyen ? Encore qu'elle n'imaginât pas l'homme à la simarre pourpre pourvu d'assez d'audace pour demander la tête d'un prince du sang, elle n'était pas loin de se voir, elle et ses enfants, tout de noir vêtus, allant s'agenouiller dans le cabinet du ministre pour implorer sa clémence. Une image contre laquelle son orgueil de race et sa fierté de femme se révoltaient. Elle savait pourtant que pour sauver son César, elle serait capable d'aller jusque-là.

L'entrée d'une de ses femmes annonçant le retour de son écuyer la tira d'une rêverie qui s'en allait vers le morbide et la rendit à elle-même. À elle aussi, il fallait de l'action...

- Eh bien ? dit-elle quand Raguenel, encore sous le coup de l'émotion, s'inclina devant elle.

- Ah ! madame, c'est pire encore que nous pouvions l'imaginer. Mme de Valaines, ses enfants et ses serviteurs ont été massacrés.

- Massacrés ?

- C'est le mot qui convient. Il y a des cadavres et du sang partout. Et je n'arrive pas à comprendre par quel miracle la petite Sylvie a pu échapper aux assassins. Sa nourrice qui tentait de fuir en l'emportant a été frappée au milieu de la cour. Elle a dû tomber sur l'enfant qu'elle tenait et que son corps a protégée. La petite a dû réussir à se dégager plus tard.

- Mais enfin qui a pu faire cela ? Et pourquoi ?

- C'est ce qu'avec votre permission j'essaierai de savoir dès demain. Pour l'heure présente, il conviendrait de procéder à l'ensevelissement chrétien de tous ces malheureux sans attendre que les bêtes s'en chargent ou que la chaleur du jour les attaque...

- Certes, certes... et je vais vous en donner les moyens, mais songez-vous que demain... oh ! Dieu, c'est vrai : vous étiez en route lorsque j'ai arrêté ma décision. Au lever du jour, nous devons partir pour Blois avec Mgr de Cospéan, cependant que M. d'Estrades et le père Gilles conduiront les enfants à Vendôme où ils seront en sûreté. Il faudrait charger notre bailli d'Anet d'enquêter sur cette terrible aventure...