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Norman s’accroupit au niveau des traces de gomme tandis que Lucie sortait son calepin pour y gribouiller quelques notes.

— Le choc entre un véhicule roulant à cette allure et un humain n’aurait pas causé plus de dégâts au véhicule ? demanda-t-elle, stylo entre les doigts. Genre pare-brise qui explose ?

— Aucunement. Le piéton a été fauché comme un brin de blé. Pour quelqu’un de la taille et du poids de Cunar, l’impact se produit principalement sur le haut du capot. La tête percute la tôle qui absorbe la majeure partie du choc, le corps roule sur le pare-brise avant d’être éjecté vers l’arrière, parfois à plusieurs mètres de hauteur. Contrairement aux idées reçues, lors de ce type de frontal, les dommages occasionnés sur le véhicule sont minimes. Par contre, l’humain meurt sur le coup.

Norman opéra un tour complet sur lui-même et écarta les bras.

— Je ne comprends pas bien pourquoi Cunar n’a pas cherché à éviter le véhicule. Cette route est parfaitement droite. Comment manquer l’arrivée d’un bolide ?

Le technicien leva le doigt.

— Parce que la voiture roulait phares éteints, tout simplement. Et j’en ai la preuve !

Il se plaça au bord de la route, à l’endroit où luisaient encore d’infimes éclats de phare.

— La voiture de Cunar a été retrouvée de l’autre côté du champ d’éoliennes, dans le parfait alignement entre l’endroit où nous nous trouvons et l’entrepôt. Il a donc traversé par ce terrain pour gagner le lieu de rendez-vous et s’est fait percuter de profil, ici même.

— De profil ?

— La branche droite des lunettes était complètement pliée vers l’intérieur et la vis reliant la branche à la monture portait des fragments de peau. La tête a donc percuté la tôle de façon latérale, au niveau de la tempe droite. Cunar marchait vers son objectif, sans faire face au véhicule. Il ne l’a pas vu.

— Oui, mais le bruit du moteur ? demanda Lucie.

— Cette nuit, le vent soufflait fort. Les tracés audiométriques fournis par les exploitants des éoliennes indiquent des pointes de bruits jusqu’à soixante-dix décibels. Combinés avec le souffle du vent, ils se confondent parfaitement avec le ronflement d’un moteur qui tourne à très bon régime. L’ouïe et la vue ont trahi Cunar, ainsi qu’une sacrée part de malchance…

L’homme dont la jeunesse fleurissait au travers d’une acné tenace rangea délicatement les sachets dans sa mallette.

— Mon rapport détaillé et le bilan préliminaire de la bio arriveront sur le bureau de votre capitaine avant la fin de journée, mais sachez aussi que les quatre cinquièmes du phare ont disparu. J’ai fouiné partout sur vingt mètres, rien hormis ces débris ridicules.

— Possible que seule une partie du phare ait été brisée ! conclut hâtivement Lucie.

— Non ! Les dessins et la concavité des éclats indiquent qu’ils proviennent d’extrémités différentes d’un phare gauche. Ces morceaux ont bel et bien disparu ! Un chauffard qui prend la peine de gommer avec tant d’attention les traces de son passage et d’embarquer un cadavre, vous ne trouvez pas ça audacieux vous ?

Il jeta un coup d’œil à sa montre.

— Bon ! Excusez-moi mais je file ! J’ai encore quatre-vingts kilomètres à me farcir avant de rédiger le rapport. Et, comme tout le monde, j’aimerais pouvoir profiter de mon réveillon !

Vingt secondes plus tard, il disparaissait dans un crissement de pneus alors que le capitaine Raviez sortait de l’entrepôt. Moustache sombre sur visage fermé.

— Allons rejoindre le chef, proposa Norman. Lucie marqua un temps d’hésitation.

— Il risque de tiquer en me voyant. Tu ne crois pas que je devrais rester sagement dans la voiture ?

Norman haussa les épaules avant de fondre dans sa veste de cuir. Des tourbillons invisibles frappèrent les éoliennes, leur arrachant des hurlements sinistres…

9.

Le capitaine Raviez arborait une moustache gigantesque. La proéminence poilue d’un brun terreux mangeait la totalité de sa lèvre supérieure et s’étirait en pointes de fouet entretenues avec une laque spéciale. L’élégance d’Hercule Poirot sur la carcasse de Clint Eastwood.

Raviez se revendiquait Dunkerquois pur et dur, friand de bière et de carnaval. Mais une fois ses cent kilos comprimés sous son uniforme de flic, il dégageait la froideur d’une falaise. Le genre de type à éviter, si possible…

Il grillait une roulée à l’entrée du confinement qui abritait la Mort. Comme à son habitude, il brilla d’éloquence.

— Je vous ai vu interroger le Lillois. Qu’est-ce que tu fiches ici, Henebelle ?

— C’est moi qui l’ai amenée, capitaine. Une entreprise a été tagguée à une dizaine de kilomètres d’ici, alors on a fait un petit détour… Vous êtes seul ?

— J’attends les collègues de la brigade canine. Le commissaire est parti pour l’autopsie de la fillette et Colin interroge la mère. On a lancé l’enquête de proximité. Sale affaire pour une veille de Noël !

Il écrasa sa cigarette à peine entamée sous sa botte de cuir. Ses doigts tremblaient. De froid ou de nervosité ?

— Qu’est-ce qu’on a ? osa Norman. D’après le technicien de la scientifique, Cunar aurait été renversé ?

Le capitaine hésita, releva le col de sa veste polaire et lança :

— Reste dehors Henebelle ! Norman et moi allons…

— Capitaine ! Je ne l’ai pas amenée ici pour qu’elle fasse le piquet ! Elle va travailler sur l’affaire.

Raviez déshabilla Lucie d’une onde visuelle.

— Tu sais pertinemment que l’accès aux scènes de crime est réservé aux officiers de police judiciaire, n’est-ce pas, Henebelle ?

— Oui, mais je sais aussi que trois cerveaux carburent mieux que deux…

Raviez agita la bouche de droite à gauche comme pour un rinçage de dents.

— Une chance pour toi qu’il n’y ait plus grand monde. Bon, suivez-moi ! Les Lillois ont terminé la cartographie et leurs relevés depuis l’aube, mais marchez quand même sur les planches.

Henebelle et Norman échangèrent un regard crispé au moment où l’attaque d’halogènes à batterie leur écorcha les rétines. Des diamants de poussière vibraient dans l’air en une pluie désordonnée. Le bâtiment résonnait comme une carcasse meurtrie, une tombe muette abandonnée aux ravages du temps. Norman frissonnait, à l’opposé de Lucie qui bouillait intérieurement.

— On a retrouvé le corps de la petite ici, sous cette fenêtre, commenta le capitaine.

Il se posta à proximité d’une silhouette en craie. L’esquisse d’une vie arrachée.

— Marques quasi invisibles de strangulation. Aucune trace de pénétration ou de sévices particuliers. Avec les variations de températures nocturnes, le légiste a peiné pour estimer l’heure de la mort. Entre minuit et trois heures du matin, selon lui. La porte d’entrée n’était pas verrouillée. Ce bâtiment doit être abattu, il servait à stocker des bobines de câbles. La mère a appelé au commissariat à trois heures du matin, inquiétée par l’absence de nouvelles de son mari. Le couple devait remettre une rançon deux heures plus tôt, à cet endroit précis.

Raviez se pencha vers la fenêtre. Ses traits se crispèrent sous les aplats de lumière.

— La femme de Cunar achète et vend des entreprises dans le textile, elle a licencié plus de cent-dix employés en moins d’un an. On la prétend froide comme la mort, sans pitié pour l’emploi. Elle et son mari reçoivent sans cesse des lettres de menaces, des appels à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit. Hommes, femmes, même des enfants ! Un bon point, ça nous oriente vers des premières pistes de recherche.