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Lucie secoua sa chevelure dans une serviette-éponge, les sourcils froncés.

— Des wallabies ? Ces espèces de kangourous nains ?

— Exactement ! Un taré cherche peut-être à recréer une arche de Noé chez lui !

Lucie se massa les tempes. Un lourd sommeil l’avait éloignée de l’enquête mais à présent le fil de l’investigation lui revenait violemment au visage. Des souvenirs affluaient par bribes floues. Le corps assis de Mélodie Cunar, les mains entre les cuisses. La Beauty Eaton. Le poil de loup dans la gorge. Elle demanda :

— Du nouveau pour les fibres de résineux retrouvées sous les semelles de la petite ?

— Ah ! Oui ! Ils n’ont pas chômé au labo ! Pin des Landes !

— Des Landes ? Ce qui signifie que…

— Non, on ne croit pas que l’assassin se soit rendu là-bas avec l’enfant ! On pense plutôt qu’il s’agit de ces écorces de pins que l’on répand dans les jardins pour éviter les mauvaises herbes ! On en trouve dans toutes les jardineries ! On suppose que la petite Cunar en a foulé avant de se retrouver à l’entrepôt !

— Mais… je pensais… que Norman devait venir ? Il…

Raviez songeait encore au contenu de la boîte en carton.

L’encens, la chandelle noire, la poupée de tissu bourrée de mousse de lichen, perforée d’aiguilles de couturière. Et cette mèche bouclée, dans une enveloppe.

— Tu dis ?

— Je pensais que Norman devait venir !

— Une réunion m’attend à dix heures trente aux bureaux de la PS de Lille, pour essayer de dénouer ce sac de nœuds ! Donc c’est moi qui t’emmène ! Heureuse ?

Une fois moulée dans un jean et un pull à col roulé, les cheveux lissés d’un baume démêlant, Lucie se jeta dans la cuisine à l’assaut d’un paquet de biscuits.

— Je meurs de faim ! « Qui dort dîne », une belle arnaque !

Il ne me regarde pas comme d’habitude… Il a vu la tarte aux poils !

Le brigadier frémit lorsqu’une main se posa sur son épaule.

— Joyeux Noël avec un peu de retard, Henebelle…

— Vous aussi capitaine…

Il se racla la voix.

— Tu… tu as pas mal travaillé jusqu’à présent, du vrai boulot d’enquêtrice ! Je t’ai fourré assez souvent des bâtons dans les roues mais tu sais, au commissariat, on ne peut pas…

— Ne vous justifiez pas. C’est inutile.

— Très bien. Notre chef a rapatrié des effectifs de congés, mais tu restes sur le coup. Loin des tâches pénibles de l’enquête de proximité. Une chance pour toi, non ? En tout cas, je ne regrette pas de te savoir dans mon équipe…

Son ton prenait la douceur du miel, ses gestes appuyés la dangerosité d’un dard. Lucie fit volte-face, un biscuit aux lèvres.

— Ah ! J’allais oublier bon sang ! J’ai tellement dormi ! Il faut appeler Norman ! Je pense avoir un début de piste pour l’identification du chauffard !

Raviez fit frémir sa moustache au-dessus du café brûlant. Son alliance claqua sur la porcelaine.

— Tu plaisantes ou quoi ? On est carrément secs là-dessus, et toi tu…

Elle lui expliqua les conclusions jaillies lors de son délire nocturne au commissariat. L’entreprise tagguée par deux plaisantins, le graffiti effacé, la quasi coïncidence temporelle et spatiale avec l’accident de Cunar, la volonté et l’intelligence d’effacer les traces.

Raviez liquida son café d’une gorgée bruyante. Des sillons lui barrèrent le front. Une maîtresse par ride, rapportaient les ragots.

— Combien de suspects sur cette liste ? demanda-t-il, soudain intéressé.

— Une centaine…

— Wouah ! À supposer que tu aies raison, autant chercher une aiguille dans une botte de foin — il cacha sa brosse sous un bonnet de rappeur. Je te conseille de m’imiter si tu ne veux pas te transformer en iceberg…

Il tapota sur les touches de son portable.

— Bon… J’appelle Norman pour qu’il jette un œil à cette liste. Ça peut valoir le coup d’aller interroger les patrons de cette entreprise, passer avec eux les noms au crible, dénicher les ouvriers syndicalement les plus impliqués et ceux susceptibles de commettre ce genre de délit. Après nous aviserons suivant les effectifs disponibles et le nombre de personnes à interroger. Mais je reste un peu sceptique.

Lucie acquiesça, les mâchoires contractées. Après qu’il eut raccroché, elle demanda :

— Et la petite Éléonore, des nouvelles ?

— Aucune. Son portable doit être détruit car il n’émet plus de signal, ce qui appuie la thèse de l’enlèvement. Soixante-dix gendarmes ratissent les environs depuis hier. Le gros problème vient du diabète de la petite, de type I, le plus contraignant. D’après la mère, l’insuline dont elle dispose, en comptant sa pompe et ses seringues de secours, ne lui autorise qu’une cinquantaine d’heures d’autonomie. Or voilà plus de trente-six heures qu’elle a disparu. Nous surveillons hôpitaux et pharmacies du coin. Pour le moment, aucun cas suspect signalé. Le commissaire est sur les dents. La presse s’est jetée sur l’affaire. Ces abrutis présentent l’enquête comme une série macabre à suspense. Tout juste s’ils n’affichent pas un décompte horaire au bas de l’écran à chaque journal télévisé. Tu sais, un truc du genre H-20 !

Lucie imaginait les gens, blottis derrière leur écran à attendre chaque édition du journal comme s’ils s’abreuvaient d’une émission de télé-réalité. Des reflux nerveux glissaient le long de sa colonne vertébrale. Au-delà de l’ultimatum, une nouvelle victime les attendrait peut-être au détour d’un entrepôt, parée d’un sourire post mortem.

Ça te plairait, n’est-ce pas ? Avoue ! Tu en aurais enfin un face à toi, sorti tout droit de tes livres ! Un vrai de vrai !

Non !

Elle se prit la tête dans les mains et demanda :

— Les ravisseurs de Mélodie Cunar et de la diabétique ne font qu’un, n’est-ce pas ?

Raviez perdit de sa bonne humeur apparente.

— On n’écarte pas la possibilité. Un point commun troublant existe entre ces filles. Toutes deux étaient atteintes d’une maladie grave et côtoyaient les hôpitaux. L’une à Dunkerque, l’autre au Touquet. Peut-être une coïncidence, vas-tu me dire, mais on baigne dedans depuis le début, alors pourquoi pas ? Sans oublier l’aspect temporel des événements. Malgré la différence d’âge et de statut social, avoue que deux rapts d’enfants réalisés dans le même coin, à des intervalles très rapprochés, explosent les statistiques.

Lucie engloutit son deuxième biscuit et se nettoya le palais d’un claquement de langue avant de demander :

— À votre avis, pourquoi enlever une enfant atteinte d’une maladie qui, sans soins, la conduit irrémédiablement vers une issue fatale ?

— C’est effectivement la question qui nous taraude… Tu as complètement retourné le commissaire avec tes histoires de poupées et de rituel. Il se met à penser comme toi et prie pour que ce soit juste une fugue, un délire de la puberté. Sais-tu pourquoi ?

Lucie rassembla sa crinière blonde sous un bonnet de laine noire.

— Je crois… Il craint que le ravisseur de Mélodie Cunar ait pris goût à son délire et que… Il pourrait se sentir obligé de recommencer, pour atteindre un but, matérialiser un fantasme en rapport avec des poupées… On peut considérer le rapprochement entre les deux enlèvements comme une montée en puissance de ses pulsions. Le choix d’une victime peut prendre des semaines, voire des mois chez certains psychopathes, or notre intéressé a agi quasi instantanément. Donc deux possibilités : cette jeune fille faisait partie de son environnement quotidien ou alors il a frappé complètement au hasard… Je… — elle se tapota la tempe de l’index — je ne vais pas vous ressortir tout le tintouin sur les milliers de cas psychiatriques dressés par les experts comportementaux. Il faut d’abord que son profil mûrisse dans ma tête.