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—    Dois-je comprendre qu’il s’agit de Mme de Saint-Forgeat ?

—    Exactement... Elle semble s’être volatilisée depuis la mort de la Reine sans que quiconque s’en inquiète... À la seule exception de Madame la duchesse d’Orléans. Je souligne, la seule, car l’époux de cette pauvre petite s’en soucie comme d’une guigne...

—    Puis-je vous demander ce que Madame vous en a dit?

—    C’est moi d’abord qui lui ai appris quelque chose. Je n’étais pas à Versailles quand la Reine s’est éteinte mais toujours surintendante de sa maison tant que son corps se trouvait encore au palais, je me suis rendue au logis de ma protégée afin d’interroger les servantes. Sa camériste m’a appris qu’après avoir passé la nuit du 29 juillet au chevet de Sa Majesté, la comtesse était venue faire toilette et changer de vêtements avant d’y retourner. La fille a fait alors le ménage, rangé et refermé la porte à clef mais elle n’a pas revu Mme de Saint-Forgeat. En revanche, elle a constaté que manquaient plusieurs objets, un manteau, du linge, un sac de voyage...

—    Mais vous ne savez pas si Mme de Saint-Forgeat est revenue les chercher elle-même ?

—    Non. Personne ne l’a vue et vous ne vous étonnerez pas quand vous saurez ce que j’ai encore à vous dire. Elle est entrée chez le Roi avec M. de Louvois et personne ne l’a vue en sortir. Je n’aime pas ce genre d’énigme et j’ai cru, un instant, à une... issue galante. Nul ne connaît mieux le Roi que moi !

—    C’était possible en effet !

—    L’illusion s’est vite dissipée. Je suis allée demander au Roi ce qu’il en avait fait...

—    Vous avez...

—    J’étais la seule qui pût se le permettre !

—    Et... qu’a-t-il répondu ?

—    La réponse n’est pas venue de lui mais de la Maintenon qui est apparue comme par magie. Elle m’a dit que Charlotte avait gravement offensé Sa Majesté. En quoi, je n’ai pas pu le savoir... même quand notre Sire est venu me rejoindre ce soir-là ! Après l’amour il n’a rien voulu me confier, déplora-t-elle, un pli d’amertume au coin des lèvres. C’est pourquoi j’ai songé à vous, l’homme le mieux renseigné du royaume ! Cependant, j’avoue avoir peur de ce que je pourrais entendre ! Si la Maintenon est là-dessous...

—    Offensé le Roi ? répéta La Reynie, abasourdi. Dans ce cas elle serait... Mon Dieu ! ... ce n’est pas possible ?...

Cet homme habituellement si froid semblait si bouleversé tout à coup que la marquise s’inquiéta :

—    A quoi pensez-vous ?... Tout de même pas... à la Bastille ?

—    Ou à Vincennes ! Et d’autant plus qu’à la tombée de la nuit, ce soir-là, les gardes de la Prévôté ont escorté une voiture fermée sortant du palais. L’ordre venait de M. de Louvois...

—    Je gagerais que Charlotte était dedans ! ... Oh, c’est infâme ! Cette Maintenon est un monstre... Mais, dans un sens, je préfère une prison d’État où tout est répertorié à je ne sais quel couvent perdu au fond des provinces où faire disparaître quelqu'un est ce qu’il y a de plus facile à réaliser. Au poste que vous occupez, Monsieur de La Reynie, il doit vous être aisé d’apprendre si elle est dans l’une ou l’autre de ces prisons.

—    Aisé, non, mais possible... Cependant, je me demande si vous n’auriez pas plus de succès que moi. M. de Louvois est fort de vos amis...

—    Etait ! Rectifia-t-elle avec un sourire ironique. Je vais peut-être vous surprendre mais il l’est diantrement moins depuis que la Reine nous a quittés. Il s’en cache à peine d’ailleurs ! L’astre noir dont l’ombre s’étend davantage chaque jour l’attire comme le miel attire les mouches...

—    Le miel ? fit La Reynie, mi-figue mi-raisin, vous voilà bien urbaine pour votre ennemie.

—    Question de bienséance vis-à-vis de vous. En réalité, je pensais charogne ! Cela dit, que faisons-nous, Monsieur le lieutenant général de Police ?

—    En ce qui me concerne, je vais me rendre successivement à la Bastille puis à Vincennes en espérant que l’on consentira à me renseigner. Et vous-même ? ajouta-il avec un rien d’insolence.

—    Ce que je peux faire au point où nous en sommes : accueillir cette pauvre enfant si vous réussissez à mettre la main dessus...

—    C’est déjà beaucoup et je vous en remercie, mais je voudrais encore une chose. Je sais que vous n’y étiez pas mais pourriez-vous apprendre si, au moment de la mort de la Reine ou un peu avant, il s’est passé un fait, un événement quelconque. ... Peut-être un simple détail justifiant l’agitation dans laquelle se trouvait Mme de Saint-Forgeat. Pourquoi a-t-elle réclamé instamment cette audience qui semble l’avoir perdue ? Le moindre détail peut m’être utile !

La marquise se laissa aller dans la profonde bergère de brocart gris perle, réfléchissant :

—    Peut-être... Quand j’ai pris mon tour de veille auprès du catafalque, Mme de Créqui m’a paru bizarre. Sa peine était certaine... sa colère aussi devant l’attitude un rien théâtrale du Roi... mais j’ai l’impression qu’il n’y avait pas que cela... Je lui parlerai.

—    D’avance je vous en remercie...

Soudain, elle se mit à rire, de ce rire étonnamment joyeux qui pouvait la rendre si sympathique :

—    Nous vivons une période décidément étrange. Nous voilà réunis ici comme de vieux complices pour tenter de sauver une jeune femme qui ne nous est rien ni à l’un ni à l’autre. Il y a peu, cependant, vous essayiez de m’impliquer dans les crimes les plus affreux ! C’est drôle, non ?

—    Pas vraiment ! Dans ce cas comme dans le précédent, j’étais au service de la Justice et je cherchais la vérité ! Un chemin où je suis heureux de vous rencontrer !

—    Alors, continuez ! Je n’ai rien à ajouter... sinon que vous pouvez compter sur mon aide... même si je n’ai plus beaucoup de pouvoir, murmura-t-elle en détournant la tête...

En reprenant la route de Paris, La Reynie pensait que cette femme possédait à parts égales le don de se faire aimer ou détester et que, personnellement, il préférait, et de loin, les éclats d’orgueil de cette grande dame aux procédés doucereux de l’ancienne gouvernante. Il pensa également que si Louvois se détournait d’elle pour faire sa cour à cette dernière, ce n’était assurément pas à son honneur.

L’heure était si tardive en atteignant Paris que La Reynie, au lieu de passer au Châtelet, comme à son habitude, alla se coucher à l’exemple de n’importe quel fonctionnaire fatigué. Le lendemain était un dimanche et il espérait pouvoir s’attarder un peu dans le confortable lit auquel il lui arrivait trop souvent de ne rendre que des visites épisodiques...

Il dormait encore comme un bienheureux et le soleil était à peine levé quand une poigne énergique le tira de son paradis. Jurant et pestant, il s’assit et réussit à soulever ses paupières pesantes pour voir Alban debout à son chevet :

—    Qu’est-ce qu’il te prend de me réveiller à l’aube ? Est-ce qu’il y a le feu quelque part ?

—    Non, Monsieur, mais il y a un mort !

—    Et alors ? Il y en a tous les jours ! Fais-le porter à la Morgue. On verra plus tard !

—    Non, Monsieur ! J’ai préféré le laisser là où il se trouvait et interdire que l’on touche à quoi que ce soit en attendant votre arrivée ! Puis-je appeler votre valet ou vous contenterez-vous de mes modestes services ?

—    Tu feras l’affaire ! C’est qui ce mort ?

—    Le chirurgien en second de la défunte Reine, M. Gervais. Il s’est suicidé !

—    Quoi ?