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Son imagination lui montra une image si précise qu’il en serra les poings et qu’un grondement de colère monta du fond de sa gorge. Il fallait la retrouver, la retrouver coûte que coûte, dût-il la réclamer à Louis XIV en personne, quitte à encourir sa disgrâce !

Mais avant d’en venir à cette extrémité, Nicolas de La Reynie pensa qu’il y avait peut-être mieux à faire... et d’abord se calmer ! Il sentait que l’affolement menaçait de s’emparer de lui. Il ne pouvait qu’envenimer la situation sans apporter le moindre secours à la jeune fille qu’il voulait aider. Ensuite, prendre conseil. De qui ? ... De ceux sur la discrétion de qui il savait pouvoir compter parce que la disparue les intéressait au premier chef !

Rentré au Châtelet, il trouva dans son cabinet de travail Alban accroupi devant l’antique cheminée tisonnant vigoureusement le feu en voie d’extinction et de le réalimenter. Or, ce début d’octobre plus froid que d’habitude annonçait un hiver rigoureux. Tout en maugréant sur les gens qui ne savent que faire de leur journée, La Reynie ne s’approcha pas moins avec satisfaction des flammes renaissantes pour y frotter ses mains gelées.

—    Pardonnez-moi, plaida le jeune homme, mais je suis trop inquiet pour me pencher sur une autre affaire. Auriez-vous du nouveau, Monsieur ?

—    Oui. Quand on lui a fait quitter Versailles c’était pour la Bastille et...

Alban bondit, furieux :

—    Pour quelle raison ?

—    ... et le peloton de la Prévôté comme la voiture fermée étaient bien pour elle.

—    Mais...

—    Si tu me laissais parler, nous irions plus vite ! L'accusation était d’avoir déplu au Roi sans plus d’explication. Elle a d’ailleurs été convenablement traitée. Le brave Baisemaux lui a donné une chambre décente...

Il s’interrompit. Son secrétaire venait d’entrer une lettre à la main...

—    Il y a là une dame qui désire être entendue sur l’heure.

—    Quelle dame ?

—    Elle est masquée, voilée et, évidemment, n’a pas décliné son identité mais elle m’a donné ceci. Je jurerais que c’est une vraie dame, une grande dame.

La Reynie lut les quelques mots tracés sur le billet et rougit sous le coup de l’émotion...

—    Dis-lui que je la reçois dans l’instant ! Toi, ajouta-t-il à l’attention d’Alban, tu rentres rue Beautreillis et tu demandes à Mlle Léonie de préparer un souper pour quatre.

—    Quatre ?

—    Toi, elle, moi et le petit père Sainfoin de... je ne sais plus quoi. Nous avons à causer !

Le jeune officier s’éclipsa par la porte donnant sur la salle du conseil tandis que La Reynie s’en allait chercher personnellement sa visiteuse, qu’il ramena vers son fauteuil le plus confortable avec toutes les marques de son respect.

—    Madame la duchesse, je ressens profondément l’honneur que vous me faites en venant jusqu’à moi...

—    C’était la seule solution si je voulais m’entretenir avec vous. Mon époux étant gouverneur de Paris, votre présence dans notre hôtel de la rue de l’Oratoire eût fait jaser et ce que j’ai à vous dire relève du secret le plus absolu.

Se souvenant de ce que lui avait confié Mme de Montespan, La Reynie voulait bien le croire.

Tout en parlant, la dame rejetait son voile par-dessus sa fontange et ôtait son masque, découvrant un visage d’une cinquantaine d’années encore beau cependant par la grâce de grands yeux bleus et d’une peau restée fraîche en dépit des traces d’anciennes douleurs. C’était la duchesse de Créqui, dame d’honneur de Marie-Thérèse, et le deuil qu’elle portait était celui de la Reine qu’elle avait servie avec respect et dévouement durant de longues années. Cela depuis la défaveur de la duchesse de Navailles qui avait osé faire grillager l’accès à la chambre des filles d’honneur afin d’empêcher le Roi d’y retrouver Mlle de La Motte-Houdancourt... Bien que fille de la marquise du Plessis-Bellières qui avait été l’amie très chère du surintendant Fouquet, mort trois ans plus tôt dans la forteresse de Pignerol, Mme de Créqui n’avait jamais eu à pâtir de sa naissance en regard de la vieille amitié que Louis XIV portait à son époux, l’un de ses meilleurs hommes de guerre. Sachant à qui il avait affaire, La Reynie salua une main sur le cœur :

—    Il en sera fait selon votre volonté, Madame la duchesse. Mon silence vous est acquis... mais que souhaitez-vous m’apprendre ?

—    Je crois savoir pourquoi la petite comtesse de Saint-Forgeat a disparu si soudainement de Versailles. Nous étions, elle, moi et les autres dames dans la chambre de Sa Majesté sur l’état de laquelle disputaient les médecins. Mme de Saint-Forgeat s’est rendue tout à coup dans la pièce qui dessert la chambre royale pour y prendre... je ne sais plus quoi tant la suite des événements m’a troublée. Elle s’y trouvait encore lorsque Fagon, d’Aquin et Gervais s’y sont retirés pour conférer plus librement. Puis ils en sont ressortis et j’ai vu le chirurgien, visiblement perturbé, pratiquer une saignée au pied de la malade. Ses mains tremblaient et il en pleurait parce que c’était la dernière chose... à faire ! Ensuite, il y a eu cet émétique qui non seulement ne pouvait apporter aucune amélioration, mais a pour ainsi dire achevé la Reine. J’aurais aimé connaître sa composition mais le verre a disparu aussitôt. Or, pendant la malheureuse saignée, Mme de Saint-Forgeat est revenue dans la chambre. Elle était blême et se soutenait à peine. Elle avait dû être témoin de la discussion des médecins et je suis persuadée que c’est ce qu’elle a voulu rapporter au Roi en se hâtant de le suivre après que notre Reine eut rendu à Dieu son âme si pure !

Son récit achevé, Mme de Créqui semblait très émue. La Reynie alla lui verser un verre de vin qu’elle accepta volontiers. Il la laissa boire en silence. Une fois remise, il lui dit avec une grande douceur :

—    J’admire vos connaissances en médecine, Madame la duchesse. C’est un talent plutôt rare chez une dame...

—    Ah, c’est que j’ai été à bonne école, répondit-elle avec un faible sourire. Ma famille était intimement liée à celle de ce pauvre Fouquet, surtout sa mère, une demoiselle de Maupeou qui possédait, elle, un savoir véritable. Elle l’avait consigné dans un livre de recettes dont je ne sais ce qu’il a pu devenir si feu M. Colbert ne se l’est approprié. Sa science lui avait même permis de sauver une première fois la vie de la Reine alors à toute extrémité en lui faisant remettre discrètement un emplâtre qui a fait miracle. C’était pourtant pendant le procès inique où son fils jouait sa vie, mais le Roi ne lui a gardé nulle reconnaissance... et d’ailleurs vous connaissez la fin. Pour en revenir à la petite Saint-Forgeat, je crains qu’il ne lui soit advenu un gros ennui. Elle est trop jeune pour savoir que, dans cette Cour et en particulier au Roi, toute vérité n’est pas bonne à dire... ou seulement à entendre si je m’en réfère au triste exemple de mon époux.