Выбрать главу

Au lever du Roi, le lendemain matin, Louvois apparut pâle et portant les traces d’une nuit sans sommeil. Ce fut avec une visible impatience qu’il subit l’interminable cérémonial auquel Louis XIV s’astreignait quotidiennement et qui, au fil du temps, tournait au rituel. Le Roi s’en aperçut et, au moment où il quittait sa chambre, l’appela d’un signe, l’invitant à l’accompagner :

—    Vous avez bien mauvaise mine, fit-il sans se soucier d’être entendu, les pas des gardes rythmant la progression du Roi suffisant à couvrir n’importe quelle conversation. Quelle nouvelle fâcheuse ?

—    Hélas ! ... La dame en question s’est enfuie.

—    Quand cela ?

—    Je l’ignore. La dernière fois que je m’y suis rendu, c’était il y a cinq jours et je ne peux dire quand elle a disparu. La maison, dont les portes et fenêtres sont ouvertes, est entièrement déserte.

—    En cette saison ? Il y avait, je suppose, des domestiques ?

—    Ils se sont volatilisés ! Le plus étrange est que l’on n’a rien volé !

Si Louvois était blême, le Roi, lui, devint cramoisi :

—    Bravo ! Il ne vous reste qu’une chose à faire : prévenir La Reynie ! S’il y en a un qui puisse la retrouver, c’est lui. Mais vous aurez à m’en répondre et priez Dieu qu’il ne lui soit rien arrivé de regrettable.

Comme tous les gens doués de caractère irascible, Louvois détestait être traité sans ménagements, fût-ce par le Roi. Sans plus se soucier de l’endroit où il se trouvait, il monta sur ses grands chevaux !

—    De regrettable ? Il s’agit sûrement d’un enlèvement, Oui ! Quelque galant suffisamment riche pour acheter...

—    Il suffit, Monsieur ! Vous oubliez où vous êtes et vous vous oubliez ! Faites ce que je vous ordonne et ne revenez que... Ah, Madame de Maintenon ! Avez-vous bien dormi ?

La dame, en effet, venait d’apparaître, flanquée de son confesseur et de sa nièce, un missel à la main... Furieux, Louvois vira sur un talon dans l’intention de rejoindre l’escalier de la Reine, se prit un pied dans la canne dont il étayait une légère boiterie due à une chute de cheval déjà ancienne et se fût étalé lourdement si la main secourable d’un Suisse de garde n’avait rétabli son équilibre. Il l’en remercia d’un coup d’œil furibond, descendit aussi vite que le permettait ladite jambe et finalement s’engouffra dans sa voiture en ordonnant au cocher de le conduire au Châtelet. Il lui fallait rencontrer La Reynie puisque le Roi l’ordonnait et qu’il était homme à s’assurer qu’il était obéi, mais, au fond, le ministre n’y tenait pas tellement. À moins que la recherche n’aboutisse à un cadavre. Ce qui serait de loin la meilleure solution. Par ce temps exécrable, les mauvaises rencontres toujours possibles, une jeune femme fuyant à travers bois et de nuit de surcroît, risquait sa vie. Or, Louvois en venait à souhaiter que La Reynie ne la retrouve pas, sinon morte ! Mais dans l’état actuel de l’affaire, il s’efforçait de croire à un rapt. La petite garce était assez belle pour en séduire plus d’un, lui le premier, mais, en ce cas, il n’y avait guère de chance de la voir revenir à Versailles. Ce qui, au fond, était la seule chose souhaitable. Néanmoins, ses préférences allaient à l’éventualité initiale : un corps sans vie quelque part dans un fourré... et au besoin on pourrait l’y aider.

Il fut presque soulagé quand, à Paris, on lui apprit avec le respect dû à sa fonction comme à sa personne que M. le lieutenant général de Police s’était absenté sans dire ni où il allait ni combien de temps durerait cette éclipse. Il n’empêche qu’il ne manqua pas une si belle occasion de se mettre en colère, vitupéra une Police trop habituée à bayer aux corneilles quand on avait besoin d’elle, refusa l’offre de l’officier présent - en l’occurrence Alban Delalande - de se mettre à son service mais en soulignant qu’un aussi grand ministre que lui ne pouvait avoir affaire qu’au sommet de la hiérarchie. Pour finir, Louvois intima l’ordre qu’on lui dépêche M. de La Reynie à son cabinet de Versailles à la minute même où il réapparaîtrait. Après quoi il sortit sans saluer mais sans oublier de claquer une porte qu’on n’avait pas eu le temps de lui ouvrir.

—    Qu’est-ce qui lui arrive ? demanda Desgrez, qui, arrivant au même instant, avait failli recevoir le furieux dans ses bras et dut se contenter de la porte.

—    En dehors du fait qu’il veut voir le patron tout de suite et que je dois le lui expédier à Versailles dare-dare quand il reviendra, je n’en sais pas davantage que toi.

—    Au fait, il est où, le patron ?

—    A Saint-Germain, je pense ! Parce que lui aussi montre ces temps-ci une tendance à cultiver le secret. On peut le comprendre : le double assassinat de l’hôtel de Fontenac est susceptible d’irriter. En dehors des domestiques dont tu as lu, comme moi, les dépositions, personne, aux environs immédiats du lieu du crime, n’a vu ou entendu quoi que ce soit! Pourtant une douzaine de bonshommes avec chevaux et ce qui s’ensuit, cela se remarque. A moins d’être sourd ou idiot... Mais non ! Rien !

Le feu donnait des signes de faiblesse. Desgrez alla le tisonner et remit quelques bûches :

—    Tu es plus jeune que moi et tu m’accorderas davantage d’expérience. Que personne ne se hasarde à porter le moindre témoignage dans de telles circonstances n’a rien d’étonnant. Passe encore si les assassins n’étaient que deux ou trois, mais une escouade restreinte, bien armée et menée par un chef expérimenté ressemblant plus à un détachement militaire qu’à une bande de truands, cela inspire la prudence. Si encore les victimes avaient été des gens sympathiques ou simplement normaux, mais ce n’était pas le cas. Feu la baronne était une femme odieuse et son amant, que nous recherchions, rappelle-toi, depuis le meurtre de Mme de Brécourt, l’était autant sinon plus. Et tout le génie de La Reynie n’y changera rien !

—    Je te crois volontiers. Surtout que ces gens ont largement mérité leur sort ! En outre, Mlle Léonie s’est installée à Saint-Germain. Elle a l’habitude du quartier et si quelqu’un a une possibilité de se renseigner, c’est bien elle. Si tu savais quelle femme étonnante elle est ! ajouta-t-il avec un soupir qui fit rire Desgrez.

—    Il est vrai que, dans l’histoire, tu as perdu ta cuisinière, toi ?

—    C’est une amie et c’est vrai que sans elle ma maison me paraît étrangement vide en dépit des visites quotidiennes du bonhomme Sainfoin ! Lui, c’est la disparition de... Mme de Saint-Forgeat qui l’hypnotise...

—    Pas toi ?

—    Si, admit Alban, amer... mais j’ai reçu l’interdiction formelle de rechercher sa trace.

—    L’interdiction? Le mot est fort. Surtout venant du patron !

—    C’est, paraît-il, sa chasse réservée... Il a consenti seulement à expliquer que, s’agissant d’un secret plus ou moins lié à l’Etat, j’y courrais de trop grands risques. Comme si le risque m’avait jamais fait peur ? Et n’importe quel policier consciencieux doit pouvoir en dire autant. Tout ce que je sais c’est qu’il s’en est entretenu avec le Roi !

Desgrez se contenta d’émettre un petit sifflement rêveur puis, après un silence, il posa une main compatissante sur l’épaule de son jeune collègue :

—    Cesse de te tourmenter. La Reynie sait ce qu’il fait et puisqu’il a décidé de s’en occuper personnellement, cela me rassurerait si j’étais à ta place !