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En rentrant chez elle, Mme de Montespan retrouva sa sœur, Gabrielle, marquise de Thianges, son aînée de peu d’années et son plus ferme soutien. Celle-ci avait attendu le résultat du coup de théâtre imaginé par

Athénaïs avant d’aller rendre le tribut de son admiration à la nouvelle merveille du château.

—    Eh bien ? S’enquit-elle quand, Charlotte remise aux mains de Cateau, sa sœur la rejoignit.

—    Succès complet ! fit celle-ci en se laissant aller sur une méridienne pour accepter le verre de vin d’Espagne qu’on lui tendait. La tête de la Maintenon était à peindre. Notamment quand le Roi lui, a pour ainsi dire imposé silence. Elle voulait que l’on déballe sur-le-champ et devant tout le monde ce qui était arrivé à Charlotte. En revanche, Louis a été parfait et je suis persuadée qu’il est étranger à cette affaire. C’est Louvois l’instigateur, dans un but que je ne m’explique pas.

—    Il était là j’imagine ?

—    Pas au début ! Il est arrivé au moment où nous quittions la galerie. Charlotte ne l’a pas vu et moi j’ai fait semblant de rien. Du coin de l’œil j’ai remarqué qu’il se pétrifiait au pied de la statue de Vénus... et de rouge il est devenu jaunâtre ! Mais comme toujours, Madame a été égale à elle-même. Elle a ouvert les bras en grand et voulait récupérer son ancienne fille d’honneur. Et ainsi qu’on pouvait s’y attendre, elle en a décousu avec la veuve Scarron. Il est vrai que l’autre a fait ce qu’il fallait pour cela en lui envoyant à la figure qu’elle avait été protestante avant d’épouser Monsieur ! Madame ne l’a pas manquée et le Roi a laissé courir.

—    Tu crois vraiment qu’il l’a épousée ?

—    J’en suis pratiquement sûre. D’ailleurs, il commence à se comporter en mari un brin grincheux... c’est-à-dire normal!

Bras dessus, bras dessous, les deux sœurs retournèrent admirer. Et en toute sincérité ! Que pouvait-on imaginer de plus magique que cette galerie des Glaces qu’embrasaient les reflets des grandes eaux illuminées ?

En pénétrant le lendemain dans le cabinet du Roi, guidée par sa bienfaitrice, Charlotte eut la surprise d’y rencontrer M. de La Reynie qui vint à elle arborant l’un de ses rares sourires pour lui tendre une main la relevant de sa révérence après avoir salué Mme de Montespan. En effet, le Roi assis à son bureau signait les papiers que lui offrait M. Rose, son secrétaire, et ne s’occupait pas encore d’eux :

—    Vous n’imaginez pas, Madame, à quel point je suis heureux de vous revoir, murmura-t-il.

—    Pourquoi donc ?

Son sourire s’effaça devant ce visage morne, décoloré, dont les yeux même avaient une curieuse teinte vert-de-gris. C’était à peine si Charlotte semblait le reconnaître.

—    C’est que... j’avais tellement peur qu’il ne vous soit arrivé... malheur ?

—    Non. Il ne m’est rien arrivé...

La voix lointaine comme le regard étaient mécaniques. Par-dessus la tête de la jeune femme, La Reynie chercha le regard de Mme de Montespan. Elle lui répondit d’un mouvement d’épaules traduisant une incompréhension. Louis XIV d’ailleurs en avait fini avec son courrier :

—    Venez, Mesdames, et prenez place ! dit-il en désignant deux tabourets proches de son bureau.

Ayant rang de duchesse sans en avoir le titre, la marquise s’assit sans hésiter mais l’éducation de Charlotte se fit jour sous l’espèce de brouillard qui l’enveloppait...

—    Je ne saurais, Sire. Le respect...

—    Obéissez ! Vous semblez vous soutenir avec peine.

—    Je remercie le Roi... J’avoue que je me sens lasse...

—    Nous n’en abuserons pas. Ce que nous souhaitons entendre c’est où et comment vous avez vécu lorsque l’on est venu vous chercher à notre château de la Bastille où l’on vous avait conduite dans un moment d’urgence dû aux conséquences d’une perte immense où la moindre indiscrétion pouvait causer une catastrophe. En dépit du fait que vous n’y étiez pas soumise à un régime sévère, vous y êtes tombée malade, nous a-t-on dit ?

—    Malade ? Pas vraiment, Sire, si ce n’est que je souffrais du manque d’air et de mouvement...

—    Quoi qu’il en soit, votre état a suffisamment inquiété M. de Louvois pour qu’il prenne sur lui de vous mener en un lieu moins rébarbatif. Où était-ce ?

—    Je l’ignore. Une nuit, une voiture fermée est venue et j’ai été conduite dans une vraie maison qui, pour ce que j’en voyais, était au milieu des bois. Elle était confortablement meublée, agréable malgré les barreaux aux fenêtres. Il y avait aussi des fleurs. Un couple me servait et ne me laissait manquer de rien mais on ne me parlait pas, on ne répondait à mes questions que par un sourire ou un hochement de tête. J’aurais pu les croire muets si je ne les avais entendus converser en dehors de la maison...

—    Avez-vous vu M. de Louvois ? demanda le Roi dont le front allait s’assombrissant à mesure que Charlotte parlait.

—    Oui, Sire. Au lendemain de mon arrivée. Il m’a expliqué qu’au moment de la mort de Sa Majesté la Reine, il importait que l’on m’écartat de la Cour et que, dans l’urgence, on m’avait mise à la Bastille mais que l’on avait jugé ensuite qu’une prison d’État était sans doute exagéré puisque je n’avais commis aucun crime, mais qu’il était bon que je demeure éloignée pendant quelque temps encore. Il affirmait que Votre Majesté ne me voulait aucun mal mais qu’il fallait seulement que je sois patiente et qu’après un délai raisonnable je recouvrerais ma liberté...

—    Il est revenu vous voir ?

—    Une fois pour prendre de mes nouvelles, m’exhorter à la patience et me parler de Votre Majesté,..

—    Et c’est tout ?

—    ... Oui, Sire !

La légère hésitation n’avait pas échappé à La Reynie. Cependant, le Roi poursuivait :

—    Dites-nous à présent comment vous avez réussi à vous enfuir et comment on vous a retrouvée dans le parc de Clagny.

—    Quelque envie que j’en eusse je ne me suis pas enfuie, Sire. On m’a jetée dehors !

—    Jetée dehors ? Qu’est-ce à dire ?

—    Une nuit, je lisais avant d’aller me coucher quand une dame masquée est entrée brusquement. Elle m’a abreuvée d’injures en me menaçant d’un pistolet puis, me laissant à peine prendre un manteau, elle m’a lait sortir de la maison en me disant d’aller au diable et que ce qui pourrait m’arriver de mieux serait de rencontrer des loups affamés à condition qu’ils daignent se contenter d’une charogne telle que moi... Je suis partie à travers bois et j’ai marché sans savoir où j’allais...

La voix de Charlotte se brisa et elle enfouit son visage dans ses mains. Mme de Montespan se pencha sur elle pour la réconforter :

—    Intéressant, n’est-ce pas Sire ? Je tenais absolument à ce que vous entendiez ce récit de sa bouche, si pénible que ce soit pour elle...

—    Mais, enfin, s’indigna La Reynie, qui était cette femme ?

—    Là est la question, répondit la marquise. Etant donné que la maison appartient à M. de Louvois, la première pensée qui vient est que ce pourrait être sa femme...