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—    Elle est stupide, coupa le Roi. Elle ne profère pas trois paroles intelligentes par heure !

—    Je sais. Alors une maîtresse jalouse ? Le pavillon des bois n’a pas dû être construit pour recevoir Mme de Saint-Forgeat. Notre cher ministre y a peut-être abrité certaines de ses amours clandestines. Cependant j’imagine difficilement cette brave Mme de Louvois soudain transformée en justicière implacable sous l’emprise d’une folle jalousie... Cela donnerait plutôt à rire...

—    Nous verrons cela avec Louvois. Selon lui, quand il a voulu chercher sa... protégée, il a trouvé la maison vide, la porte ouverte et les domestiques disparus...

—    Connaissant son affreux caractère, il n’y a là rien de bien étonnant, fit remarquer Mme de Montespan. Il était fort capable de les battre comme plâtre puis d’en expédier un aux galères et l’autre à l’Hôpital général en attendant d’être envoyé cultiver la terre en Louisiane ou aux îles d’Amérique...

—    Veillez à tirer cette affaire au clair, Monsieur de La Reynie ! Quant à vous, Madame de Saint-Forgeat...

Le Roi se leva et vint prendre la main de Charlotte que la marquise aidait à se remettre debout.

—    Vous avez grand besoin de prendre du repos.

—    Je vais la garder quelques jours à Clagny...

—    Nous n’en attendions pas moins de vous. Cela lui permettra d’entrer en possession de son héritage. Lui avez-vous appris ce qu’il est advenu de sa mère ?

—    Oui, Sire. Il le fallait !

—    Certes ! Toujours pas de nouvelles des assassins, Monsieur le lieutenant général ?

—    Pas encore, Sire. Ce n’est pas faute de fouiller les lieux où se recrutent habituellement les hommes de main qui ne regardent pas au sang versé mais jusqu’ici nous n’avons aucune piste. J’ai acquis cependant la certitude que ces gens n’ont pas été embauchés à Paris.

—    Et la France est vaste ! Nous n’avons pas à vous demander de faire pour le mieux... A vous revoir, Madame de Saint-Forgeat ! Vous me direz alors si vous désirez reprendre du service auprès de Madame afin de rejoindre votre époux, ce qui serait normal. Ne riez pas, marquise ! Je ne vois pas ce que j’ai dit de si drôle !

—    Je suis sûre du contraire! Votre Majesté n’a jamais cultivé l’humour involontaire. Je crois que moins ces deux-là se verront et mieux ils se porteront ! Ce qui n’empêche Madame de vouloir retrouver son ancienne fille d’honneur qu’elle affectionne. Elle n’a pas tant d’occasions de se réjouir ces temps-ci !

—    À qui la faute? Il semblerait qu’aux intempérances de langage, Madame se plaise à joindre celles de l’écriture !

D’aimable jusqu’à présent, le ton du Roi était devenu acerbe. Charlotte s’en rendit compte et osa prendre l’initiative de parler sans y avoir été invitée :

—    Je serais heureuse de retourner servir Madame qui a toujours été si bonne pour moi, mais je crois qu’auparavant je préférerais simplement rentrer chez moi... à Saint-Germain.

Mme de Montespan fit la grimace :

—    Vous voulez rentrer dans un endroit où il s’est passé une telle tragédie ? Vous ne craignez pas les cauchemars ?

—    C’est le seul endroit que je possède en propre... et surtout c’est la maison de mon père. J’y ai été heureuse tant qu’il a vécu. Son ombre saura me protéger contre d’autres... plus malfaisantes !

—    En outre, intervint La Reynie, les plus anciens serviteurs sont demeurés et tout y est en état !

—    C’est égal : une double pendaison !

—    Nous ne vous savions pas superstitieuse, marquise, coupa le Roi, mi-figue mi-raisin. Vous, si brave !

—    De jour, Sire ! Beaucoup moins la nuit ! Je déteste les ténèbres !

—    Moi pas, fit doucement Charlotte. Je n’ai plus qu’à demander l’autorisation du Roi puisque je suis, avant tout, sa servante !

Celui-ci reprit la main de Charlotte et la garda dans les siennes.

—    Vous l’avez, chère comtesse ! Nous apprécions autant votre courage que votre obéissance. Mais ne vous claustrez pas trop ! Ce n’est pas de votre âge. Et Madame sera si heureuse de retrouver une amie !

Sous l’œil soudain intéressé de son ancienne favorite, Louis posa un baiser léger sur la main qu’il tenait tandis que la jeune femme plongeait dans une profonde révérence.

—    Je remercie Votre Majesté, dit-elle sobrement.

DEUXIÈME PARTIE

LA MAISON DE SAINT-GERMAIN

Chapitre V

LA BLESSURE EMPOISONNÉE...

A genoux sur la marche du petit autel dans sa chapelle familiale à l’église de Saint-Germain, Charlotte s’efforçait de prier mais ce n’était pas évident dans un sanctuaire dont la moitié manquait et qu’elle ne reconnaissait plus. Trois ans plus tôt en effet, tandis qu’elle était en Espagne, une partie du vieux bâtiment - trop vieux sans doute ! - s’était écroulée une nuit de tempête.Le Roi s’était hâté de le faire reconstruire par Mansart, mais, dans son empressement à la rendre au culte paroissial - le château, lui, possédait sa chapelle ! -, le fameux architecte avait purement et simplement supprimé le bas-côté accidenté. Par chance, la sépulture  Fontenac était restée intacte dans l’oratoire dédié à saint Hubert qui avait eu la chance d’être épargné.

Elle avait tenu, avant de rejoindre sa maison, à venir s'incliner sur la tombe de son père pour y déposer un bouquet de roses de Noël et allumer un cierge. Elle savait, bien sûr, que sa mère se trouvait là elle aussi, à jamais liée dans la mort à celui qu’elle avait assassiné, mais elle s’interdisait d’y penser. Son hommage était destiné uniquement à l’homme si bon et si affectueux dont elle ne gardait que de doux souvenirs. Quant à la cruelle « révélation » que son cousin Charles de Brécourt avait osé lui jeter à la tête après la mort de sa chère marraine, elle refusait farouchement d’en tenir compte. Il était impossible que celui qui dormait là ne fût pas son véritable père, parce que seul l’amour comptait. Et il en avait donné beaucoup.

Sa prière achevée, elle sortit de l’église et rejoignit La Reynie qui l’attendait dans la voiture avec laquelle il était allé la chercher à Clagny. Il tenait à être présent quand elle pénétrerait dans cette demeure où il s’était produit tant d’événements pénibles.

—    Vous sentez-vous prête ? S’inquiéta-t-il en l’aidant à reprendre place auprès de lui, après lui avoir offert son bras pour lui éviter de glisser sur les pavés recouverts d’une mince couche de neige.

—    Tout à fait ! Ne m’avez-vous pas dit que j’allais revoir d’anciens serviteurs ?

—    Et une surprise. Je crois sincèrement que vous vous y sentirez chez vous !

—    C’est le principal pour moi...

C’était vrai. Elle éprouvait un besoin poignant de solitude dans le cadre auquel s’attachaient ses souvenirs d’enfance. Depuis sa fuite du couvent, elle n’avait connu que des palais royaux plus ou moins chaleureux

— En admettant qu’un palais royal chaleureux puisse exister à la surface de la terre ! - et des chambres minuscules partagées avec une ou parfois deux compagnes. Elle retournait dans « sa » maison et, après ce qu’elle venait de subir, c’était un immense soulagement.

Nuancé pourtant par l’ombre d’un remords : avoir dû demander un délai à Madame qui l’accueillait à bras ouverts... et en larmes. La pauvre princesse venait de perdre sa petite chienne favorite qu’elle aimait tendrement et qui dormait la nuit nichée contre elle.