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Pour la première fois, Charlotte parut reprendre vie :

—    Vous avez trouvé des preuves ?

—    Non, mais j’ai des témoins ! La mort de Mme de Fontenac a délié les langues que la peur paralysait. Et maintenant..., ajouta-t-il en sautant de voiture pour lui offrir la main...

À l’appel de Merlin, les serviteurs accoururent souhaiter la bienvenue à leur nouvelle maîtresse et se faire présenter pour ceux qui ne la connaissaient pas. A commencer par lui-même, mais ce ne fut pas sans difficulté parce que la grosse Mathilde, la cuisinière, s’était précipitée et avait attiré Charlotte dans son giron en pleurant de joie :

—    On n’espérait plus vous revoir, Mlle Charlotte, brama-t-elle au milieu de ses larmes. Mais on va faire en sorte que vous vous trouviez bien chez vous ! Je vous ai préparé de ces massepains que vous aimiez quand vous étiez enfant. Et aussi...

—    Allons, Mathilde, intervint Mlle Léonie qui faisait son apparition, laissez-la entrer et se réchauffer ! Vous aurez largement le temps de refaire connaissance...

Les yeux de Charlotte s’arrondirent en découvrant à l’entrée de la maison la petite silhouette grise et blanche :

—    Cousine Léonie ! cria-t-elle tandis qu’une vraie joie venait éclairer ses yeux. Je n’aurais jamais imaginé vous retrouver ! Lorsque l’on m’a emmenée au couvent vous n’étiez pas dans les meilleurs termes avec ma mère et j’étais persuadée de ne plus vous revoir !

—    La voilà, la surprise ! Renchérit La Reynie. J’étais certain que vous seriez contente...

—    Contente? C’est ravie qu’il faut dire C’est enfin un véritable bonheur ! Je croyais n’avoir plus de famille et, en outre, mon père et moi l’aimions profondément.

Elles restèrent un long moment embrassées jusqu’à ce que le policier fît observer que, vu la température, on serait aussi à l’aise à l’intérieur mais ce fut en se tenant par la main qu’elles suivirent son conseil et Charlotte put redécouvrir sa maison.

Au-delà du vestibule dallé de marbre blanc veiné de vert comme l’escalier qui menait aux étages, le rez-de-chaussée se composait, pour le pavillon central, de deux spacieuses salles de réception à l’ancienne mode l’hôtel ayant été construit sous Henri IV -, dont l’une, à usage de salle à manger, était tendue de cuir de Cordoue à reflets dorés dont les sièges étaient de tapisserie au point de Hongrie dans les tons feuille morte relevés de touches vertes. Une table servie y attendait trois personnes.

—    J’espère, dit Charlotte à leur compagnon, que vous ne refuserez pas de partager ce premier repas avec nous ?

—    Sûrement pas ! répondit-il avec bonne humeur. Un, ce sera un plaisir et deux, je meurs de faim !

La deuxième pièce était un salon dont les murs, comme les tabourets et les chaises, étaient habillés de damas vert desquels ressortaient quatre fauteuils de damas crème et deux bergères à oreilles de velours corail encadrant une remarquable cheminée de marbre blanc. Des miroirs de Venise et des tableaux ornaient les murs et un grand tapis des Gobelins réchauffait le parquet miroitant commun aux deux salles comme les poutres apparentes - et peintes de couleurs vives - des plafonds d’où pendaient des lustres de cristal. Au bout du salon, à angle droit et occupant l’aile gauche, se trouvait la « librairie », ou bibliothèque, aux panneaux peints des neufs muses, qui avait été la pièce de prédilection du père de Charlotte qu’elle ne revit pas sans émotion devant le vieux fauteuil de cuir, proche de la cheminée, qui avait sa préférence quand il n’était pas à sa table de travail, une épaisse dalle de chêne portée par des pieds chantournés. Il ne restait que de rares traces de l’incendie qui avait failli ravager l’ensemble.

Remettant à plus tard le moment de redécouvrir l’étage parce qu’elle n’avait pas oublié à quel point Mathilde était pointilleuse sur l’heure des repas, Charlotte proposa que l’on passe à table après s’être lavé les mains à la fontaine polychrome du vestibule.

Ce fut sans une hésitation que Charlotte prit la place de sa mère. Elle éprouva une curieuse sensation de revanche en s’y installant. Ce n’était pas très élégant mais simplement humain. Elle avait trop souffert d’être bannie du foyer paternel pour qu’il en soit autrement. Et si l’horreur quasi infamante de la mort subie par Mme de Fontenac lui laissait un sentiment de dégoût, elle se promit de faire dire des messes et de prier pour cette âme criminelle à qui le temps de la repentance avait été refusé. À présent, c’était elle la maîtresse et, en dépit de ce qu’elle avait enduré ces derniers temps, elle en retirait un intense réconfort. Dû peut-être en partie à la présence de Mlle des Courtils de Chavignol : avec elle le passé revenait.

Le repas du soir que leur avait préparé Mathilde fût pour elle une surprise : bisque de pigeons, omelette aux crêtes de coq, pintade en salmis accompagnée de champignons et de truffes, petits pois à la crème garnis de ramequins au fromage, tourte aux amandes et aux pommes, et, pour finir, crème à la vanille agrémentée de « Conserves » de roses de Provins au parfum délicat1.[10] Jamais, sauf peut-être à Noël à l’époque du baron, Charlotte n’avait vu paraître sur la table une telle profusion de mets raffinés. Lorsque l’on donnait à dîner, du temps de son père, elle était trop jeune pour y assister, et dans la période qui avait précédé son entrée chez les Ursulines, sa mère veillait à ce qu’une certaine sobriété soit de mise parce qu’elle avait peur de grossir. Aussi rosit-elle de plaisir en entendant La Reynie lui en faire compliment comme si elle avait mis la main à la pâte et se hâta-t-elle de faire appeler Mathilde pour que celle-ci reçoive des louanges si justement méritées.

Quant aux vins servis, Charlotte n’y connaissait rien et crut son invité sur parole quand il les déclara remarquables...

Pendant tout le repas, ce fût surtout La Reynie qui parla. Considérant que son hôtesse sortait pour ainsi dire de prison, il la mit au courant des événements survenus au cours de son absence tant à la Ville qu’à la Cour. Il le fit avec une telle verve et un tel esprit qu’il parvint à faire rire Charlotte, mais il s’abstint d’aborder les sujets personnels, laissant ce soin à Mlle Léonie.

Quand il eut pris congé, Charlotte alla entrer en possession de « ses appartements ». C’est alors que Léonie déclara :

—    Nous vous avons préparé la chambre de votre père, pensant que vous la préféreriez à celle de « parade » qu’occupait votre mère... Elle est sans doute sévère mais si vous voulez que...

—    Non ! C’est parfait, fit Charlotte en serrant plus fort le bras de sa cousine qu’elle tenait sous le sien. J’y dormirai beaucoup mieux qu’au milieu de ces fanfreluches qu’elle se plaisait à y entasser. Où demeurez-vous vous-même, cousine Léonie ?

—    Dans votre ancienne chambre d’enfant. Elle me convient pleinement !

—    En ce cas, nous verrons à faire redécorer la grande chambre en ne conservant que les meubles ou objets ayant une réelle valeur. Le produit sera donné à l’hôpital pour les indigents.

La dureté du ton fit tressaillir la vieille demoiselle :

—    Les bijoux ? Certains viennent de notre famille. Ce sont des souvenirs. Même s’ils ont été mal portés un moment...

—    Eh bien, vous ferez le tri, ma cousine. Pour ce qui est des autres...

—    À ce propos, j’aurai des révélations à vous faire dont je n’ai parlé à personne sinon à celui qui m’avait recueillie après que Marie-Jeanne m’eut chassée. Mais ce sera pour plus tard.

De ce qu’elle venait de dire Charlotte buta sur un mot :