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—    Il reviendra pour les funérailles, j’espère ?

—    J’aimerais en être sûre !

Le ton était plus que dubitatif et Madame s’en offusqua. Pourtant il fallut se rendre à l’évidence : quand, le 10 août au soir, Marie-Thérèse prit le chemin de Saint-Denis, son époux n’y était pas. Seules avec les dames de la Reine cinq princesses l’accompagnaient : la Dauphine, Madame, la princesse de Conti, Mlle de Montpensier et Mlle de Bourbon. Côté hommes : Monsieur et le pauvre petit Vermandois qui n’avait plus longtemps à vivre et pleurait à chaudes larmes. Dix gardes du corps à cheval escortaient le corbillard suivi d’une soixantaine de « pauvres » en habits gris, mais de Roi point !

Tout au long du parcours nocturne passant par Ville-d’Avray, Saint-Cloud, le bois de Boulogne, la porte des Sablons et la plaine Saint-Denis, il y avait foule dont une partie grossit le cortège et enfin le grand appareil funèbre fut installé dans le chœur de la nécropole des rois de France pour y attendre la solennelle cérémonie du 1er septembre en présence du Dauphin, des cours souveraines du Parlement, des Aides et des Monnaies, de l’Université, du Châtelet, du Corps de Ville et, bien entendu, de tous ceux et toutes celles qui étaient déjà là le 10 août... La messe fut célébrée par l’un des aumôniers de la Reine et l’illustre Bossuet prononça une admirable... et interminable oraison : « Elle [la Reine] est sans reproches devant Dieu et devant les hommes : la médisance ne peut attaquer aucun endroit de sa vie depuis son enfance jusqu’à sa mort et une gloire si pure, une si belle réputation est un parfum précieux qui réjouit le ciel et la terre... »

Préférant entendre chanter les oiseaux sous les beaux ombrages de Fontainebleau, Louis XIV n’en entendit rien et ne participa pas davantage à la messe de Notre-Dame où Paris rendit hommage à sa souveraine défunte.

On sut plus tard qu’au moment où Mme de Maintenon parut devant lui, en grand deuil et affichant une mine affligée, il n’avait pu s’empêcher de rire :

—    Grand Dieu, Madame, vous voilà accommodée comme si vous veniez de porter en terre toute votre famille ! Je ne vous croyais pas si cruellement atteinte.

—    Le prenez-vous ainsi ? Ma foi, je ne m’en soucie pas plus que vous !

Et de rire à son tour... Pour ces deux-là, la page était tournée.

Quand les cérémonies s’achevèrent, il y avait un bon mois que Marie-Thérèse s’était éteinte et personne n’avait revu Charlotte. Questionné par Madame, Adhémar de Saint-Forgeat parut tomber de la lune : il ne savait pas où avait pu passer une épouse dont il ne se souciait guère, se pliant ainsi à la convention tacite passée entre eux au lendemain des noces. Il se contentait d’espérer qu’il ne lui était rien arrivé de fâcheux.

—    Que veux-tu qu’il lui soit arrivé de fâcheux ? Ironisa le chevalier de Lorraine qui passait par là. C’est une trop jolie femme pour n’être pas courtisée. N’étant plus astreinte au service un brin austère de notre défunte reine, elle s’est peut-être accordée une récréation bien méritée ?

Le sarcasme entama la belle sérénité conjugale :

—    Récréation ? Comment l’entends-tu, chevalier ?

—    Simplement qu’elle peut passer avec un autre la lune de miel que tu n’as pas jugé utile de lui offrir ! La nature a horreur du vide. Les femmes aussi.

—    Et mon honneur, alors ? Brama Saint-Forgeat. Qu’est-ce que tu en fais ?

—    Messieurs, messieurs ! Intervint Madame. Je ne pense pas qu’il y ait matière à plaisanterie...

—    Mais je ne plaisante pas, moi !

—    J’en suis persuadée et M. de Saint-Forgeat a entièrement raison de s’insurger contre une supposition du plus mauvais goût. Mlle de Fontenac...

—    Est la fille de sa mère... ce qui dit tout ! répliqua aigrement Lorraine.

—    En ce cas que n’avez-vous empêché votre cher ami de l’épouser au lieu de l’y pousser comme vous l’avez fait ? De plus, c’est d’une méchante âme que de jeter la suspicion sur une jeune fille que j’affectionne particulièrement et que je connais suffisamment pour savoir que, fût-elle emportée par la passion la plus folle, elle n’aurait pas choisi, pour s’y abandonner, le deuil incommensurable qui nous frappe. Elle aime la Reine qui lui a été secourable et lorsque celle-ci a expiré on a pu la voir, éperdue de chagrin, courir chez le Roi en implorant la faveur d’une courte audience. C’est depuis ce moment qu’elle a disparu.

—    Personne ne l’a revue ?

—    Personne. Cela devrait suffire pour retenir votre langue de vipère, monsieur le chevalier de Lorraine !

L’argument porta. Non seulement le beau Philippe ne riposta pas mais son sourcil se fronça tandis qu’il jetait à son « confrère » un regard perplexe :

—    En d’autres termes, c’est à Sa Majesté qu’il faudrait poser la question ? Tu pourrais t’y risquer, Saint-Forgeat !

—    Moi ? Que j’ose aller demander au Roi ce qu’il en a fait ?

—    Pourquoi pas ? Après tout, c’est ta femme...

—    Le beau mari qu’elle a là! Persifla Madame. Soyez en repos, Messieurs. Ce qui vous effraie tant ne me fait pas peur à moi ! Je verrai le Roi.

Au moment même où elle prenait cette décision, quelqu’un d’autre était justement en train de l’exécuter. Mme de Montespan avait trop vécu dans l’intimité de Louis pour le redouter en quoi que ce soit. La disparition de Charlotte l’agaçait et elle était décidée à en savoir le fin mot. Aussi quand Louis sortit de la chapelle sur un dernier signe de croix et en refermant pieusement son missel, le passage lui fit-il brusquement barré par la révérence de la marquise étalant devant lui un flot de taffetas moiré gris et bleu.

—    Sire, dit-elle en arborant son plus éclatant sourire, je prie le Roi de bien vouloir m’entendre en audience privée.

—    Vous voulez nous parler, Madame ? Mais de quoi ?

—    D’un fait que Votre Majesté jugera peut-être de peu d’importance mais qui en a pour moi.

—    Eh bien, faisons quelques pas ensemble.

—    Le Roi sait le plaisir que j’éprouve à cheminer auprès de lui mais c’est un si grand bonheur que je souhaite le savourer seule ! répondit-elle en jetant un coup d’œil à sa rivale qui se tenait derrière Louis XIV, les paupières modestement baissées. Surtout aujourd’hui où ce que j’ai à dire n’est pas pour toutes les oreilles. Le cabinet de Votre Majesté me paraît l’endroit idéal.

—    Soit ! Venez ! ... Nous nous verrons plus tard, Madame, ajouta-t-il à l’intention de la Maintenon qui s’éloigna, visiblement à regret, après avoir plié légèrement le genou sous le regard narquois de la toujours belle Athénaïs.

Cinq minutes plus tard, les Suisses de garde refermaient sur le couple les portes du cabinet royal. Louis donna son chapeau, ses gants et son livre d’heures à son valet qu’il fit disparaître d’un geste et alla s’asseoir à son bureau en indiquant un siège à sa visiteuse :

—    Voilà ! Nous sommes seuls ! Parlez mais faites vite : j’ai beaucoup à faire aujourd’hui. Que voulez-vous ?

—    Poser une question à Votre Majesté... si Elle le permet !

—    Posez-la.

—    Je désire savoir où est passée Mme de Saint-Forgeat que l’on n’a pas revue depuis le jour funeste où la Reine nous a quittés.

—    Sommes-nous censé le savoir ?

Le pluriel de majesté et le sourcil froncé n’échappèrent pas à la marquise, mais elle en avait déjà vu d’autres :