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—    Je ne vous reconnais pas le droit d’en douter ! Mais la prison est une dure épreuve pour une si jeune femme. Il faut du temps pour s’en remettre. On doit le lui laisser.

—    Je m’en souviendrai. Veuillez me pardonner de vous avoir retenue dans cette rue plus qu’il ne convenait.

Il salua, recoiffa son chapeau et s’éloignait quand elle le rappela :

—    Commissaire Delalande, voudriez-vous vous charger d’une commission à l’attention de votre lieutenant général ?

Elle lui fit signe de se rapprocher pour éviter de crier et dit :

—    Il aimerait sans doute savoir que, durant l’absence de sa femme, M. de Saint-Forgeat, assisté du chevalier de Lorraine, s’est rendu chez maître Maublanc, notaire, pour se faire remettre une avance sur son « héritage ». Il semblerait qu’il ait dilapidé au jeu la majeure partie de sa fortune. Cela devrait intéresser votre chef !

—    Et pas seulement lui !

L’après-midi de ce jour, Charlotte eut soudain envie de remettre ses pas dans ceux de sa reine défunte en allant faire une visite à l’hôpital. Les malades nécessiteux ne devaient pas manquer par cet hiver rigoureux. Aller là-bas serait une façon de rendre hommage. Se rappelant à peu près de ce que Marie-Thérèse emportait à chaque visite, elle s’en alla trouver Mathilde pour lui demander de préparer deux paniers et de prévenir le jeune valet Pierret de se préparer à l’accompagner.

—    Je vais aussi le prévenir de faire atteler, répondit la cuisinière.

—    Non, c’est inutile. Le chemin n’est pas long.

—    Voyons ! Par ce temps, Madame la comtesse devrait...

—    Inutile de risquer les jambes des chevaux ou la glissade d’une voiture qui mettrait en danger les piétons.

—    Très juste ! approuva Mlle Léonie qui arrivait. Seulement, moi, je vais avec vous. Il n’y a nulle raison pour que vous gagniez votre paradis seule.

—    Vous êtes déjà allée à la messe aux aurores ce matin, fit Charlotte en riant. N’est-ce pas suffisant pour la journée ?

—    Non. A mon âge il est préférable de mettre les bouchées doubles !

—    Je vous ferai remarquer que ce n’est pas moi qui ai mentionné votre âge. Je ne me le serais pas permis.

Chaudement emmitouflées dans de grandes mantes à capuche garnies de fourrures, elles partirent d’un pas vif. Chemin faisant, Charlotte relata ce qu’avait été sa première visite à l’hospice dans la suite de Marie-Thérèse et la simplicité chaleureuse dont elle faisait preuve :

—    Il fallait la voir, vêtue d’une robe de laine quasi monastique protégée par un tablier de grosse toile, donner à manger aux malades, aider à les changer sans se laisser rebuter par les plus répugnants. Un jour, j’en ai vu un vomir sur sa main pendant qu’elle le faisait boire. Et toujours si douce, toujours si soumise aux volontés de son époux ! En vérité, elle méritait une auréole !

—    Au lieu de quoi on semble prendre à tâche de l’oublier le plus vite possible ! Mais qu’est-ce que nous avons là ?

Elles arrivaient à destination et, en franchissant le porche du vieil hospice, elles virent stationner dans l’enceinte une voiture de la Cour flanquée de deux gardes du corps.

—    Qui peuvent-ils attendre ? murmura Charlotte, perplexe. Pas le Roi : le carrosse aurait plus d’éclat, mais peut-être un membre de la famille.

Elle n’eut pas le temps de se livrer au jeu des hypothèses. Sur le perron deux dames venaient d’apparaître en poursuivant leur conversation. L’une était la mère supérieure mais la seconde, toute vêtue de velours et renards noirs dont elle s’enveloppait frileusement, c’était Mme de Maintenon. Elle prenait congé d’ailleurs et les arrivantes remarquèrent le respect dont la religieuse usait envers sa visiteuse qu’elle couvrait de remerciements pour les « dons généreux » qu’elle venait de faire.

En descendant vers sa voiture dont un laquais tenait la portière ouverte, la marquise leur jeta un regard. Une expression de surprise marqua son visage à la peau ivoirine dont la beauté subsistait en dépit du fait qu’elle avait dépassé cinquante ans.

—    Madame de Saint-Forgeat ! S’exclama-t-elle Mais quelle surprise de vous trouver ici !

On échangea des saluts. Distants cependant de part et d’autre tandis que Charlotte répondait :

—    Ma présence n’a rien de surprenant, Madame. J’accomplis en quelque sorte un pèlerinage au souvenir de Sa Majesté Marie-Thérèse, notre reine défunte que j’avais l’honneur d’accompagner lorsqu’elle venait ici donner ses soins aux plus gueux de ses sujets. Un privilège dont je conserverai le souvenir ému ! Elle, une infante et la souveraine du royaume, se faisait servante au chevet de tous ces malheureux !

Il entrait de l’orgueil, du défi aussi dans la petite allocution de la jeune femme. Presque un reproche : il était plus qu’évident que la « confidente » du Roi ne s’était livrée à aucune des activités qu’elle évoquait.

EIle venait apporter de l’argent sans doute, passer peut-être entre les lits où les malades s’entassaient par-fois à trois ou quatre, distribuer çà et là de bonnes paroles, mais elle était trop tirée à quatre épingles pour supposer un changement de tenue quelconque...

Stupéfaite de l’audace de sa jeune cousine, Mlle Léonie écoutait sans en croire ses oreilles. Elle n'aurait jamais soupçonné la petite Charlotte aussi rompue à l’escrime souvent meurtrière du langage de cour. Celle que l’on appelait sous le manteau Mme de Maintenant ne s’y trompa pas. Elle sourit benoîtement mais un éclair avait traversé ses yeux noirs:

—    Une si belle fidélité au souvenir vous honore, comtesse. En outre se tourner vers les œuvres charitables est un excellent moyen de plaire à Dieu et de combattre certains bruits déplaisants. Je vous donne le bonsoir, Madame !

Sans laisser à Charlotte le temps de riposter, elle Monta dans sa voiture qui s’ébranla aussitôt et quitta l’hôpital suivie des gardes réservés en principe aux personnes royales. Blanche de colère, Charlotte la regarda disparaître.

—    Venez, Charlotte ! Lui souffla Mlle Léonie. Vous n’avez peut-être pas remarqué que nous faisons attendre la Révérende Mère.

Celle-ci, une petite femme ronde, aimable et souriante, s’avança à leur rencontre les mains ouvertes :

—    Comme je suis heureuse de vous revoir ! Mais, si j’ai bien compris, nous ne sommes plus Mlle de Fontenac ?

—    Non, ma Mère ! Je suis mariée à M. de Saint-Forgeat, gentilhomme de Monsieur, comme vous l’avez pu entendre.

—    Mais cela ne vous fait pas oublier notre vieille maison qui, elle, se souvient avec plaisir et gratitude de la gentille demoiselle d’honneur qui accompagnait notre si bonne reine ! Entrez vite à présent !

Quand elles prirent le chemin du retour, deux heures plus tard, et leurs paniers vides, Charlotte, qui avait dépensé sans compter soins et sourires, retrouva intacte sa colère en franchissant le portail :

—    C’est une honte ! Gronda-t-elle entre ses dents. Une véritable honte jetée au royaume et à la mémoire de la Reine !

—    Que voulez-vous dire ?

—    Mais qu’il l’a épousée !

—    Qui a épousé qui ?

—    Allons, ma cousine, vous ne me ferez pas accroire que vous êtes sourde aux rumeurs ! J’entends que le Roi a épousé la Maintenon et que c’est à pleurer !

—    Qu’est-ce qui vous en donne la certitude ?

—    L’escorte, voyons ! Les gardes du corps pour l'ancienne gouvernante des enfants de Mme de Montespan ! Celle-ci n’y a jamais eu droit... sauf naturellement en compagnie de Sa Majesté. Pourquoi n'en dit-elle rien si elle le sait ? Elle doit être folle de rage ! ... et Madame ? Madame si fière de ses origines et qui la déteste tant ! Comme elle doit être malheureuse ! Je devrais peut-être aller la voir...