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—    Ne me dites pas qu’un vaillant tel que vous redoute les fantômes ? Riposta Charlotte. Vous vous y sentirez chez vous, croyez-moi ! Vous y trouverez toutes vos préférences : des rubans, des parfums, des fanfreluches, des bijoux... à moins que vous n’optiez pour celle où logeait M. de La Pivardière ?

—    Pourquoi pas celle du baron ?

—    Parce que c’est la mienne. Mais il suffit ! Les valets vont vous monter à l’étage et nous allons vous appeler un médecin.

—    Vous avez dit... des bijoux ?

Une lueur d’intérêt s’allumait dans son œil glauque. Mlle Léonie fronça le nez et s’esquiva pour procéder avant l’installation à un tri qu’elle jugeait indispensable.

—    Ma mère n’était pas très ordonnée et la chambre n’a pas encore été refaite comme j’en ai l’intention, mais vous verrez qu’elle ne manque pas d’agréments. C’est d’ailleurs la plus belle de la maison...

En entrecroisant leurs mains, Merlin et le solide Anatole, le laquais de Saint-Forgeat, formèrent un siège sur lequel on assit le « moribond », qui passa un bras autour du cou de chacun d’eux et l’on se dirige solennellement vers l’escalier, le chevalier de Lorraine fermant la marche. En dépit de la contrariété que lui causait cette arrivée intempestive, Charlotte s’efforça de retenir une brusque envie de rire. L’impression se retrouver au milieu d’une des pièces si amusante de M. Molière, mais malheureusement on n’était pas au théâtre et elle découvrit par la suite qu’elle venait d’hériter d’un malade quelque peu encombrant.

Malade ? L’était-il vraiment ? Après que le chevalier de Lorraine se fut retiré en promettant de revenir le vieux docteur Bouvier, qui soignait la famille depuis près de trente ans et avait mis Charlotte au monde, vint se pencher sur le cas Saint-Forgeat.

Lui n’appartenait pas à la catégorie des médecins de Molière. Ce n’était pas Diafoirus. C’était un véritable praticien passionné par la lutte contre la maladie et qui ne rechignait pas à procurer ses soins aux plus nécessiteux. Matin et soir, il passait à l’hôpital où les religieuses lui vouaient une sorte de culte. Chez les Fontenac, il avait assisté, impuissant et navré, à la lente dégradation de la santé du baron sur l’état de laquelle il ne gardait aucun doute. L’affaire des Poisons eût-elle été déclenchée à ce moment qu’il eût fait violence au secret professionnel pour dénoncer les agissements de la baronne avec une chance d’être entendu, mais à cette époque on ne lui aurait accordé aucun crédit pour une seule raison : il était protestant. Par la suite, il avait traité Mlle Léonie avec succès mais on n’avait pas jugé utile de le déranger pour le modeste valet qu’était le vieux Joseph.

Au physique, c’était un homme vigoureux en dépit le l’âge, petit, trapu, doué d’une force peu commune et de mains de magicien. Le cheveu et l’œil gris, il haussait de bésicles un nez turgescent dominant une bouche mince au sourire facilement ironique et un menton obstiné :

—    Eh bien, petite dame - il l’appelait ainsi depuis l'enfance et ne voyait pas de raison de changer ! -, il parait que mon art est requis céans ? Vous n’avez pas une mine épanouie... Voyons voir ?

—    C’est sans importance, cher docteur. Un peu de fatigue sans doute. En revanche vous trouverez là-haut un vrai patient. M. de Saint-Forgeat, mon époux, qui est venu chercher refuge à cause de l’étroitesse de son logis au Palais-Royal où, il faut le souligner, Monsieur ne supporte pas la présence de gens souffrants dans son entourage.

—    Et de quoi souffre-t-il ?

—    Il n’arrête pas de tousser, il est très rouge et ne se soutient que difficilement.

—    On va voir cela. Où l’avez-vous mis ? Dans la chambre du baron, j’imagine ?

—    Non. C’est moi qui l’occupe. Il est dans celle de ma mère. Elle devrait pleinement lui convenir.

—    Ah !

Sans autre commentaire ! Après avoir contemplé un instant la jeune femme d’un œil songeur, il demanda :

—    Vous m’accompagnez ?

—    Je préfère attendre ici votre verdict !

—    Moi je vous suis, se dévoua Mlle Léonie redescendue avec le chevalier qu’elle avait poliment reconduit dans le vestibule.

En revenant, ils trouvèrent Charlotte dans la bibliothèque où elle était retournée à ses recherches. Ce n’était pas évident parce qu’un esprit malin semblait s’être donné à tâche de tout disperser et mélanger, mais, sans s’énerver et avec de la méthode, elle y parvenait. La marée reculait tandis que s’empilaient les factures, les lettres - pas beaucoup, la baronne n’écrivait guère et de ce fait n’avait pas une correspondance débordante. Charlotte cherchait surtout les pages manuscrites laissées par le baron Hubert. Mais il était évident que l’ouvrage était loin d’être achevé. A moins qu’une main discrète n’en eût subtilisé une partie...

—    Alors ? S’enquit-elle quand Bouvier la rejoignit Mlle Léonie dans son sillage apportant le vin chaud aux épices et à la cannelle dont elle savait le médecin friand.

—    Un gros rhume tout simplement. Rien dont des tisanes, de la réglisse, de bonnes soupes épaisses et quelques petits verres de rhum ne puissent venir à bout sans peine. Rien d’inquiétant ! En revanche, je n’en dirais pas autant de vous, petite dame ! Vous avez une mine à faire peur...

—    Oh moi ! J’ai vécu des moments pénibles mais à mesure qu’ils s’éloigneront j’en viendrai à les oublier... et je me remettrai.

—    Eh bien espérons-le ! En attendant faites donc préparer par l’apothicaire ce que je vous prescris, fit-il en traçant quelques lignes sur une feuille de papier. Cela ne vous enlèvera pas vos soucis mais vous aurez plus de forces pour les supporter...

Cela dit, il avala son vin chaud, salua et sortit rac-compagné par Mlle Léonie tandis que Charlotte, délaissant son rangement, allait s’asseoir au coin du feu. L’intrusion de son « époux » lui causait une bizarre impression. Depuis un peu plus d’un an qu’ils étaient mariés, elle en était venue à le considérer comme une entité lointaine à laquelle elle n’accordait même pas une pensée par semaine. Et il n’avait jamais été question d’une quelconque cohabitation : chacun chez soi - entendons l’un chez Monsieur et l’autre chez Madame ! - et tout serait pour le mieux. C’est du moins ce qui ressortait de l’espèce d’accord conclu entre eux au lendemain de leurs noces. Après quoi ils s'étaient séparés sur une révérence afin que chacun aille dans la direction qu’ils avaient choisie. Et voilà que sans le moindre préavis, Saint-Forgeat lui tombait dessus dans l’intention manifeste de s’installer ! Fût-il venu seul qu’elle s’en serait moins inquiétée : lorsqu’elle était entrée au service de Madame, une sorte de camaraderie s’était nouée entre eux, renforcée par le fait qu’il l’avait sauvée, non pas de la mort comme il se plaisait alors à le lui rappeler un peu trop souvent, mais d’un enlèvement qui aurait peut-être abouti au même résultat... Fût-il venu seul qu’elle se serait posé moins de questions. Après tout elle portait son nom et que, mal en point, il eût cherché refuge chez elle était presque naturel. Mais c’était la silhouette arrogante du chevalier de Lorraine qui gâchait le tableau... Rien de ce qu’il faisait n’était gratuit et s’il avait pris la peine d’escorter son « ami », il devait avoir une idée derrière la tête...

Elle en était là de ses réflexions quand Mlle Léonie reparut, mi-figue mi-raisin.

—    Où étiez-vous passée ? demanda Charlotte. Vous veilliez à l’emménagement du valet ?

—    Oh, il n’a pas eu besoin de moi pour trouver le chemin de la cuisine où Mathilde s’occupe de lui ! Il semble d’ailleurs un bon garçon. Il n’a pas inventé la poudre mais ce n’est pas plus mal. Non, j’étais remontée dans l’intention d’observer l’état de notre malade. Autrement dit, j’ai entr’ouvert discrètement la porte. Je pensais le trouver au fond de son lit, endormi après ces trois heures de mauvaises routes...