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—    Le 10 avril prochain.

—    À Fontainebleau ?

—    Non, à Versailles, mais à cause du deuil récent de la Reine, il n’y aura pas de réjouissances marquantes. C’est pourquoi Lorraine en donne une chez lui pour consoler un peu Monsieur que ce mariage rend triste et qui n’aura même pas la consolation de se commander de nouvelles parures ainsi qu’il l’a fait à l’occasion de celui de la reine d’Espagne. Après la bénédiction qui sera donnée par le cardinal de Bouillon, et où le petit duc du Maine remplacera le fiancé, la princesse montera aussitôt en voiture pour gagner Turin...

Quelque chose clochait dans cette histoire. Elle ne voyait pas la raison pour laquelle on avait éloigné Adhémar. Il avait largement le temps de se rétablir avant la cérémonie dont elle refusait de croire que le Grand Roi n’y déploierait pas le moindre faste.

Elle le dit tel qu’elle le pensait, ce qui fit naître un nouveau soupir :

—    Autant que vous sachiez la vérité. Ce refroidissement est le bienvenu parce que je n’ai aucun moyen de figurer dignement à des noces royales même plus modestes que d’habitude. De même pour la fête de Fromont. Je... je ne me suis pas commandé un costume depuis six grands mois... j’ai des créanciers... et aussi des dettes de jeu ! Lorraine a pensé qu’il serait mieux pour moi de faire...

—    Une retraite à Saint-Germain ? Mais puisqu’il est si fort votre ami, pourquoi ne vous vient-il pas en aide ? On le dit fabuleusement riche...

—    Oh, il l’est, mais il déteste se séparer de quoi que ce soit de son bien.

—    Et Monsieur, dont vous êtes proche et que je sais généreux ?

—    Il l’est notamment pour Lorraine et Effiat. En outre, il estime qu’une bonne épouse se doit de secourir celui dont elle porte le nom.

Cette fois, le mot était lâché et Charlotte avait compris. Cela s’accordait trop avec la confidence de maître Maublanc :

—    Mais enfin, lorsque nous nous sommes mariés il y a... un peu plus d’un an, on ne cessait de me ressasser que j’avais une chance inespérée de porter un beau nom et de jouir d’une grande fortune.

—    Le nom est toujours là, tout de même ! fit Adhémar offusqué. Quant à la fortune... il se trouve que je raffole du jeu...

Et là-dessus il se remit à pleurer !

Charlotte en avait entendu suffisamment. Elle reposa sur le lit la main qu’elle tenait et sortit de la chambre pour aller retrouver sa cousine.

—    Que vous êtes-vous dit pendant tout ce temps ? demanda celle-ci.

—    C’était instructif ! Je l’ai confessé...

—    Ce qui veut dire que vous garderez le silence à ce sujet.

—    Je ne suis pas prêtre. En fait, si je ne veux pas garder Adhémar chez moi jusqu’à la consommation des siècles, il me faut payer ses dettes et lui procurer lus moyens de reparaître dans les entours de Monsieur.

— Et vous allez le faire ?

—    Honnêtement je ne sais pas. Il faudrait d’abord savoir de quelle somme il voudrait disposer.

Mlle Léonie fit la grimace :

—    Si vous voulez accepter un conseil, ne vous engagez pas dans cette voie. S’il obtient cet argent trop facilement, il reviendra à la charge encore et encore jusqu’à ce qu’il vous ait ruinée. Un joueur impénitent est une plaie qui ne guérit jamais!

— C’est aussi ce que je pense, mais si je refuse il va s'éterniser, déambuler dans la maison à se lamenter et peut-être à chercher ce qu’il pourrait subtiliser pour boucher ses trous les plus urgents. Ne l’avez-vous pas trouvé assis devant la table à coiffer en train d’examiner les bijoux qu’elle y laissait traîner ?....

—    ... En regardant quel effet le collier de perles pro-duirait sur lui... Je serais tentée de vous conseiller de lui donner puisque vous vous vouliez vous en défaire, mais il en tirerait je ne sais quelle conclusion puisque, en principe, les joyaux classés souvenirs de famille sont les derniers objets dont on se sépare. Pour l’instant, laissons-le « guérir ». Il est un brin encombrant mais supportable. Mais tâchez de savoir à combien se montent ses besoins immédiats. En toutes choses, mais en particulier dans les histoires d’argent, il ne faut rien précipiter.

On s’en tint là. Saint-Forgeat « garda la chambre  encore quelques jours. Charlotte le visita une ou deux fois en s’efforçant de s’en tenir aux sujets anodins et en laissant soigneusement à l’écart ceux qui fâchent De son côté, Mlle Léonie avait chargé Mathilde, Ia cuisinière, de tirer les vers du nez d’Anatole, ce qui ne se révéla pas épuisant. Sans doute, justement, parce qu’il n’avait rien à dire. C’était un Normand paisible du genre bovin, satisfait de son travail, ne se compliquant pas l’existence, solide et attaché à un maître qui ne le molestait pas et avec lequel il avait grandi. Il faisait preuve d’un bel appétit, n’appréciant rien tant que bien manger et bien boire.

Comme elle le nourrissait en conséquence, Mathilde apprit que Saint-Forgeat était un bon garçon, certes entiché de fanfreluches, de rubans, de colifichets et autres, mais totalement incapable de faire du mal à une mouche.

Cela était rassurant mais jusqu’à quel point pouvait on faire crédit à un fidèle serviteur dont l’intelligence limitée pourrait ne pas lui permettre de suspecter l’aimable Adhémar de nourrir secrètement de noir desseins ?

CHAPITRE VII

OÙ CHARLOTTE APPREND UNE VÉRITÉ...

Après quinze jours à se prélasser dans son cocon rose où il avait fini par se sentir pleinement à l’aise, Saint-Forgeat, dont Anatole avait annoncé qu’il dînerait avec ces dames », fit un beau matin son apparition. Il retrouva Charlotte dans la bibliothèque. Elle en avait fini avec le désordre et, assise à la grande table, elle lisait une lettre qu’un courrier venait d’apporter. À l’entrée de son mari, elle leva la tête et lui sourit:

—    Un instant, s’il vous plaît. Cette lettre est de Madame... Asseyez-vous.

Mais au lieu d’obtempérer, il alla se poster derrière

Charlotte en tirant son face-à-main afin de lire pardessus son épaule.

—    Ah, ah !... Et que dit-elle ?

Aussitôt elle rabattit le papier contre sa gorge.

—    Entre autres des choses qui ne regardent que moi. Mais je consens à vous confier qu’elle souhaite me voir au mariage de sa belle-fille.

—    Et elle ne parle pas de moi ? Je veux dire, l’invitation n’est pas pour vous seule, j’imagine ?

—    Mon Dieu, si ! La princesse n’a même pas l’air de soupçonner que vous êtes ici. Apparemment, le chevalier de Lorraine a bien gardé le secret.

Il se mit à arpenter la vaste pièce en agitant son binocle et en reniflant, la mine offensée :

—    Je ne lui en demandais pas tant !

—    N’en avez-vous pas reçu des nouvelles ? interrogea Charlotte, qui savait parfaitement qu’il n’en était rien.

—    Aucune et nous voilà, vous et moi, dans une situation ridicule : on vous invite à des noces auxquelles, moi votre époux, je ne suis pas convié !

—    Etait-ce bien nécessaire ?

—    Comment cela ?

—    Qu’appartenant toujours il me semble à la maison de Monsieur, étant de surcroît de ses intimes, il coulait de source que vous deviez l’être. Vous aurait-on envoyé un faire-part quand la princesse Marie-Louise est devenue reine d’Espagne? En outre, vous êtes venu ici vous soigner. Ce n’était pas l’exil.

Il arrêta sa promenade en tapotant son menton de son binocle. Son attitude restait celle d’un coq offensé mais la déception n’y était plus :