— Vous avez mille fois raison, ma chère ! Nous irons donc ensemble ! lança-t-il avec satisfaction.
Une satisfaction qui s’éclipsa en un clin d’œil.
— ... Mais nous en sommes revenus où nous en étions la semaine dernière. Comment paraître à des noces quasi royales attifé à la mode de l’an passé ?
— En effet, murmura Charlotte, nous y voilà !
Elle savait que la question financière reviendrait sur le tapis et elle était étonnée qu’elle ne se soit pas manifestée plus tôt, mais elle eût envie, soudain, de s'amuser un peu :
— Finalement, rien ne vous oblige à y aller. Vous êtes souffrant et l’épouse dévouée que je suis ne saurait se rendre à des fêtes tandis que vous agonisez !
Il poussa un cri d’horreur :
— A quoi songez-vous ? À offenser Madame en refusant d’être auprès d’elle à l’occasion d’un événement de cette importance ?
— Oh, Madame est une bonne personne et elle me connaît. Je suis sûre qu’elle ne m’en tiendra pas rigueur. J’irai le lui expliquer un jour prochain...
— Mais vous êtes folle, ma parole ? Vous savez combien Madame est attachée au rang et aux égards dus à la belle-sœur du Roi ! Elle ne pourrait pas vous pardonner !
— Gageons que si !
Il devint aussi rouge que les rubans qui accompagnaient si plaisamment sa perruque noire :
— Et moi je dis que non ! Vous portez mon nom, ne Oubliez pas, et de ce fait vous me devez obéissance ! En outre...
— Asseyez-vous !
— Que je..., fit-il, douché par la froideur du ton.
— ... vous vous asseyez ! Nous avons à parler et je voudrais que vous cessiez de vous agiter ! Vous me donnez le tournis !
Il obéit machinalement.
— Vous ne m’avez pas caché que vous aviez besoin d'argent. Alors combien vous faut-il pour reparaître chez Monsieur ?
— Trois mille livres... me permettraient de parer au plus pressé !
La seconde partie de la phrase fit froncer les sourcils de Charlotte. En clair, cela laissait prévoir d’autres appels à sa bourse dans les temps à venir.
— Cela signifie payer quelques dettes et vous commander de nouveaux atours ?
— Oui. Encore devrais-je éviter les ornements dispendieux coutumiers à Monsieur et à mon ami Lorraine. Mais... il me vient une idée ! ajouta-t-il en dressant un doigt en l’air comme si l’idée en question lui était soufflée par le Saint-Esprit.
— Laquelle ?
— Eh bien, pourquoi ne porterais-je pas certains de vos joyaux de famille ?
— Mes joyaux de famille ? La totalité est dans... votre chambre puisque je ne possède que ceux de ma mère. Servez-vous ! concéda-t-elle avec une nuance de dédain.
— Allons, ma chère, les cachotteries ne sont pas de mise entre époux. Je veux parler de ceux que votre père a rapportés de Golconde dans sa jeunesse.
Une poutre du plafond en s’abattant devant elle aurait moins surpris Charlotte :
— Des joyaux ?... Golconde ?... Qui diable a pu vous raconter pareille histoire ?
— Mon père ! Il se trouvait aux Indes à la même époque que le vôtre et ils s’y sont connus. Le baron de Fontenac avait une véritable passion pour les belles pierres et en a rapporté de superbes. Parmi lesquelles un gros diamant jaune... l’œil de... je ne sais plus qui ! J’adore le jaune ! Il me sied à merveille alors qu’il ne saurait convenir à la nuance particulière de vos cheveux...
A mesure qu’il parlait, son excitation grandissait. Revenue de sa surprise, Charlotte jugea utile de doucher cet enthousiasme intempestif. Du plat de la main elle frappa le bois du bureau :
— Je vous arrête tout net ! fit-elle après un bref éclat de rire. Il est possible que mon père, qui était alors très jeune, ait rapporté des... souvenirs, mais je peux vous affirmer que ni ma mère ni moi n’en avons jamais eu connaissance...
— Vous voulez plaisanter ?
— Oh, je n’en ai pas la moindre envie ! Les années ont passé depuis que nos pères couraient les mers. Le vôtre est-il revenu en même temps que le mien ?
— Non. Ils se sont rencontrés là-bas mais... M. de Fontenac voyageait sur le bateau du célèbre Tavernier qui a procuré au Roi ses plus beaux diamants...
Charlotte vit là une échappatoire possible :
— Et vous pensez que cet homme aurait permis, même à un ami, d’acheter une pierre exceptionnelle donc digne d’être rapportée au Roi ? Il était comment ce diamant ?
— Je vous l’ai dit : jaune !
— Gros comment ?
— Plus gros qu’un œuf de pigeon et d’une pureté, d’une eau, d’un éclat ! Un vrai petit soleil !
— Eh bien je peux vous assurer que ce soleil-là n’a jamais brillé ici ! Je le saurais tout de même !
Vous étiez une fillette quand on vous a mise au couvent. On n’allait pas vous confier un secret pareil.
— Soit, je peux l’admettre, mais ce prétendu achat a eu lieu longtemps avant que mon père n’épouse Mlle de Chamoiseau... Vous n’avez pas connu ma mère j’imagine ?
— Évidemment non. Je sais seulement d’expérience que c’était une dame de goût, aimant les belles choses...
— ... et terriblement coquette. Ce fût un mariage d’amour. De la part de mon père, s’entend, et il y eût une période où il se plaisait à la parer. Mais vous pouvez être sûr que, s’il avait possédé un joyau aussi exceptionnel, elle n’aurait pas résisté à l’envie de le porter. Tout le monde en aurait parlé. Or il n’en a jamais été question...
— M. de Fontenac préférait peut-être le cacher afin de ne pas exciter les convoitises ?
— Sur ce chapitre il était impossible de dissimuler quoi que ce soit à ma mère ! fit Charlotte amèrement. Elle aurait retourné la maison de fond en comble pour mettre la main dessus ! Quant à mon père, en admettant qu’il ait pu se le procurer, il a pu également se le faire voler... ou le perdre. C’est loin les Indes et les routes qui y mènent sont dangereuses...
— On n’a jamais rien volé à M. Tavemier ! fit Adhémar, têtu.
— Qu’en savez-vous ?... Allons ne faites pas cette figure et consolez-vous. Si j’avais possédé ce joyau et que je vous eusse permis de le porter, vous ne l’auriez pas gardé longtemps !
— La Cour n’est pas un coupe-gorge que je sache !
— Non, mais Monsieur en aurait fait une maladie et n’aurait eu de cesse de l’acheter. Sans parler de votre ami Lorraine qu’une parure de cette importance n’aurait pas laissé indifférent...
— Il y a belle lurette qu’il le sait ! Laissa échapper distraitement Saint-Forgeat.
Mais pour Charlotte ces quelques mots furent un trait de lumière.
— Vraiment ? Et depuis quand ?
— Oh, je l’ignore ! Nous sommes amis depuis tant d’années...
— Et vous-même, quand donc votre père vous a-t-il raconté cela ?
— Oooooh ! C’était... Peu avant sa mort, au moment où le chevalier m’a présenté à Monsieur et où je suis entré à son service... J'allais à la Cour et il pensait que j’y rencontrerais peut-être ce baron de Fontenac et son diamant dont, je peux vous l’avouer, il enrageait de n’avoir pas mis la main dessus avant lui...
— Vous ne l’avez pas rencontré, lui, mais vous m’avez trouvée moi ! Et voilà, j’imagine, la raison pour laquelle vous avez mis tant de constance à vouloir m’épouser ? Vous pensiez que ce joyau mythique constituerait une dot suffisante...
— Oui... Non ! Se hâta-t-il de corriger. Vous étiez charmante et il faut qu’un jour un gentilhomme se marie !