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Charlotte, après avoir répondu de la main au salut de son époux - éclatant dans un habit jaune soleil débordant de rubans dorés -, observa qu’il ne prenait pas part au jeu, se contentant de rester debout derrière le siège du prince. Mais peut-être n’attendait-il que son départ pour s’attabler ? Elle se promit de revenir vérifier !

Pour le moment, elle suivit sa princesse partie grignoter quelques pâtisseries avant d’aller entendre un chanteur italien qui faisait alors courir Paris, mais s’éloigna pour saluer Mme de Montespan et Mme de Thianges. La marquise la reçut avec un chaleureux sourire :

—    Eh bien, vous voilà remise à neuf, dirait-on ? Le séjour à Saint-Germain semble vous réussir. Dommage que certains yeux préfèrent ce soir contempler un spectacle moins rafraîchissant ! Mais vous êtes jolie comme un cœur et je gage que plus d’un s’en apercevra...

—    Gagez, Madame, vous gagnerez !

La silhouette épaisse de Louvois venait de se matérialiser auprès d’elles. Il les salua et s’inclina devant Charlotte :

—    Me ferez-vous la grâce, comtesse, d’accepter mon bras pour rejoindre Madame... à moins qu’un verre de rossolis ne vous tente ?

Charlotte effectua un mouvement de recul instinctif mais se ressaisit rapidement. Il était impossible de refuser, surtout sous l’œil observateur de Mme de Montespan dont le sourcil se fronçait. D’ailleurs elle s’apprêtait à ouvrir la bouche pour s’interposer, mais le ministre reprenait sur un ton plus sérieux:

—    Je vous supplie d’accepter. Il faut que je vous parle et cette chère marquise aura la bonté de nous excuser.

D’une brève inclinaison de la tête, Charlotte indiqua qu’elle acceptait et posa sa main sur celle qu’on lui offrait, heureusement gantée comme la sienne. Ce qui lui évita de toucher une peau pour elle aussi répugnante qu’une peau de serpent... Ils s’éloignèrent en direction du concert où les violons faisaient rage pendant que les chanteurs prenaient le temps de respirer... Ils avaient un public nombreux mais qui ne se croyait pas tenu au silence et les conversations particulières allaient bon train. Cependant, au lieu de prendre place sur deux chaises encore libres, Louvois entraîna Charlotte dans l’embrasure d’une fenêtre donnant sur le parc illuminé. Là, il lâcha sa main mais comme à regret.

—    Voilà ! dit-il en s’arrangeant pour tourner le dos aux courtisans. Je pense qu’ici nous pourrons parler en paix. J’aurais... de beaucoup préféré vous conduire dans les jardins mais...

La réaction de Charlotte fut immédiate :

—    Je ne vous aurais point suivi ! Que voulez-vous ?

—    Je voudrais obtenir votre pardon...

—    Jamais !...

—    Permettez-moi au moins de plaider ma cause. Vous êtes jeune et je ne le suis plus guère et il vous est sans doute difficile de comprendre à quelles extrémités peut conduire une passion chez un homme tel que moi

—    Une passion ? rétorqua la jeune femme, un sourire de dédain au coin des lèvres. Quel grand mot pour masquer l’assouvissement des plus bas instincts !

—    Et pourtant je n’en vois pas d’autre. En vous ôtant de la Bastille je n’avais en vue que votre bien. Vous étiez malade et je ne pouvais accepter de vous laisser vous étioler indéfiniment entre ces murs rébarbatifs alors que vous n’étiez en rien coupable... sinon d’avoir surpris une conversation qui aurait dû rester un secret d’État mais sur lequel a soufflé le vent de la malignité publique. Cette mort avait été trop rapide en un moment encore trop proche de la scandaleuse affaire des Poisons. J’ai donc pris sur moi de vous ramener à la lumière du jour ! Mais sans courir le risque des confidences qui auraient pu vous échapper...

—    J’avais juré ! Assena Charlotte toujours aussi raide.

—    C’est peut-être une manie chez les hommes de douter de la parole des femmes. Le Roi est l’homme Ie plus méfiant qui soit et j’avais déjà osé considérablement en vous extirpant de la Bastille.

—    Que de précautions tout à coup ! Vous êtes capable d’oser le pire pour assouvir vos appétits. J’en ai fait l’expérience !

—    Me refuserez-vous indéfiniment votre pardon ?

—    On peut pardonner devant un regret sincère... mais mon intuition me dit que vous ne regrettez absolument rien !

Il darda sur elle un regard dur :

— Non, répliqua-t-il, je ne regrette rien ! J’ai vécu auprès de vous des heures divines dont le souvenir brûle mes nuits...

—    Et il l’avoue ! Il faut être un fieffé sauvage pour se repaître des larmes, des supplications et de la défense impuissante d’une pauvre fille que l’on force en l’attachant pour éviter ses griffes ! Quant à ce pardon que vous implorez, je crains fort qu’il ne soit que la permission de réitérer. Vous n’êtes qu’un misérable et je vous haïrai ma vie entière !

Sous l’insulte il retrouva son arrogance :

—    Est-ce ma faute si votre corps est un pur délice ? Une invite à l’extase ? Je ne vous cache pas qu’à l’origine mon intention était de vous offrir au Roi dont les regards ont dû vous dire que vous ne lui déplaisiez pas, loin de là ! Maintenon ou pas ! Je le lui ai dit d'ailleurs...

—    Pour le coup, j’ai l’impression que vous êtes fou ! M’offrir au Roi ? Vraiment ? Nous sommes dans un sérail et moi une esclave achetée au marché ? En vérité, Monsieur, vous êtes odieux et nous allons en rester là !

Elle voulut quitter l’embrasure de la fenêtre mais il ui opposait l’épaisseur de son corps :

—    Pas encore. Nous n’avons pas tout dit.

—    Je pense, moi, en avoir assez entendu !

—    Non. Non, vous n’avez pas le droit de refuser d’écouter ce que fut mon calvaire...

Elle lui rit au nez :

—    Votre calvaire ? C’est impayable et, en vérité, je regrette de n’avoir personne pour vous entendre. Votre calvaire ? Et moi, ce que je subissais, qu’était-ce selon vous ? Une partie de plaisir ?

—    Cela aurait pu l’être si vous l’aviez voulu. Je ne suis pas un mauvais amant et je peux être infiniment doux, mais que faire contre une chatte en colère prête à vous éborgner ?

—    C’est l’excuse que se donnent, en Languedoc, vos dragons en violant les femmes et les filles des huguenots ! Quelle honte !

—    La guerre est la guerre ! Ne vous en mêlez pas !

—    Ce n’en est pas une ou plutôt c’est pis puisque ce sont des Françaises que vous livrez à vos soudards.

Le ton s’élevait. Comprenant qu’il n’avait aucun intérêt à la pousser à bout, Louvois se voulut apaisant :

—    Nous nous égarons ! Vous devriez vous souvenir qu’au-dessus de moi il y a le Roi...

—    Auquel vous prétendiez m’offrir ! Ce serait grotesque si ce n’était lamentable ! Vous oubliez Mme de Maintenon ! Cela m’étonnerait qu’elle vous eût laissé faire.

—    Ce n’est pas elle qui règne ! En outre je serais fort surpris que Sa Majesté lui ait juré une fidélité éternelle ! Mais j’ai renoncé à mon projet. C’était vraiment trop bête aussi ! Et quand je me suis aperçu que je vous aimais, l’idée m’est devenue intolérable Plus encore à présent que j’ai goûté... Je ne renoncerai jamais !

—    Nous voilà bien loin de la repentance de tout à l'heure. Et je pense que pour ce soir, cela suffit.

—    Je le pense aussi ! fit soudain près d’eux une voix haut perchée. Je ne vous savais pas si fort amis, tous les deux ? Mais, à présent, marquis, ayez la bonté de me rendre mon épouse !