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—    Ne m’en demandez pas trop ! J’aurais voulu aimer ma mère comme n’importe quel enfant, mais elle a tout fait pour m’en empêcher... De là à vous en remercier serait excessif! Néanmoins... en ce qui concerne La Pivardière, je peux vous l’accorder. Il ne méritait rien d’autre et la Police le recherchait. Cependant je prierai pour vous de grand cœur en souvenir de cet autrefois où je vous aimais beaucoup et en souvenir de ma tante. C’est à elle que je dois tout ! Grâce à elle je ne suis pas en train de pourrir au fond d’un couvent...

Pour la première fois, Charles de Brécourt eut un sourire, le même exactement que celui de sa mère :

—    Je ne vous vois pas pourrir au fond de quoi que ce soit ! Vous êtes douée d’une belle vitalité et vous en seriez sortie d’une façon ou d’une autre, mais je n’en suis pas moins heureux, à présent, que ma mère vous ait prise sous son aile. Elle était meilleur juge que moi...

Merlin reparut à cet instant pour demander si Madame la comtesse voulait bien recevoir M. de La Reynie. Devant la mine gênée de son hôtesse, Brécourt se mit à rire franchement:

—    Serait-ce une manifestation du jugement de Dieu ? On dirait que mon châtiment arrive ! Il vous suffit d’un mot, ma chère, et les mânes de Mme de Fontenac seront apaisées !

Une bouffée de colère empourpra Charlotte :

—    Il serait temps que vous cessiez de me prendre pour ce que je ne suis pas ! Vous livrer alors que vous êtes à la fois mon hôte et mon cousin ? Ce sont les mânes de ma chère tante qui pourraient alors me le reprocher ! Je suis une Fontenac autant qu’elle l'était.

—    Pardonnez-moi ce qui n’était qu’une plaisanterie d'un goût douteux. Je n’ai rien imaginé de tel ! Songez cependant qu’en vous taisant vous vous faites ma complice !

Elle le regarda droit dans les yeux :

—    J’en ai pleinement conscience et je l’accepte. Ce serait la pire des hypocrisies que de vous reprocher ce dont il m’est arrivé de rêver ! C’est à Dieu qu’il appartient de nous juger, vous et moi !

—    Merci !... Ah ! Voici M. de La Reynie qui point l'horizon. Il me reste juste le temps de vous remettre ceci.

D’une des vastes poches de son habit bleu, il sortit un écrin plat qu’il tendit à Charlotte en s’inclinant :

—    Je suis persuadé qu’elle vous l’aurait donné...

Il ouvrit l’écrin où, sur le velours blanc, reposaient un collier et des pendants d’oreilles en émeraudes et diamants dont Charlotte savait qu’ils étaient les plus beaux des joyaux de Mme de Brécourt. Tout de suite, des larmes lui vinrent :

—    Vous me les donnez? ... N’êtes-vous donc pas marié?

—    Non et je ne le serai jamais. J’ai quitté la Marine royale et vais maintenant rejoindre l’ordre de Malte. C’est le moins que je puisse faire pour apaiser la colère du Seigneur. Cette visite est, en conséquence, un adieu.

Toujours précédé par Merlin, La Reynie était maintenant suffisamment proche pour avoir entendu la dernière phrase. On échangea saluts et révérences puis Charles reprit le chapeau qu’il avait posé à côté de lui et baisa la main que Charlotte lui tendait sans pouvoir dissimuler son émotion :

—    Que Dieu vous garde, Charles ! Je le prierai pour vous et le succès de vos armes... Merlin, raccompagnez M. le comte !

La Reynie constatant, à la vue du regard embué de Charlotte, qu’il troublait un moment émouvant s’excusa. Celle-ci expliqua :

—    Je ne l’attendais pas plus que je ne vous attendais.

—    N’étiez-vous pas brouillés tous les deux ?

—    Si et c’est de cela qu’il venait me demander pardon ! D’un mouvement d’humeur causé par le chagrin et la colère. Par la même occasion il voulait aussi me dire adieu. Il part s’enrôler sous la bannière de Malte.

Ils suivirent des yeux la silhouette du marin en train de disparaître dans la porte-fenêtre du salon :

—    Je ne savais pas qu’il boitait, remarqua le lieutenant de Police. C’est récent ?

—    Un coup de sabre hollandais lors de la dernière campagne à ce qu’il vient de m’apprendre. Mais laissons ! Parlons de vous ! Venez-vous me demander à dîner ? J’en serais ravie !

Il consulta sa montre de gousset :

— Pourquoi non, après tout ? Si toutefois vous acceptez que je ne m’attarde pas...

—    Je vais faire en sorte que nous nous mettions à table dès que ma cousine sera revenue du salut, répondit la jeune femme en agitant la clochette posée près d’elle et qui rappela Merlin pour recevoir ses ordres.

La Reynie en profita pour examiner l’écrin resté ouvert :

—    Magnifique ! commenta-t-il.

—    N’est-ce pas ? C’était la parure préférée de ma tante Brécourt.

—    Un beau cadeau ?

—    Oui... et signe de repentance pour m’avoir si fort malmenée lors de notre dernière rencontre... Mais n’en parlons plus ! Que me vaut le plaisir de votre visite ?

—    Oh, je passais et l’idée m’est venue de venir vous saluer... et vous informer qu’une tabatière en or appartenant à la collection de votre père s’est retrouvée cette nuit dans une salle de jeux de la Duchesnoy. Un certain baron de Solages l’a échangée contre argent comptant...

—    Qui l’a repérée ?

—    Desgrez, l’un de mes lieutenants. Je fais surveiller tous les établissements de ce genre ainsi que les prêteurs sur gages.

—    Mais comment a-t-il pu savoir qu’elle appartenait à mon père ?

—    Grâce à Mlle des Courtils je possède une liste et une description détaillée de l’intégralité des objets volés. On dirait, ajouta-t-il en souriant, que son séjour chez Delalande a développé chez elle des qualités de limier inhabituelles chez une femme !

—    Elle a surtout de bons yeux et elle sait s’en servir ! Je me demande ce que cette maison... et moi deviendrions sans elle !

—    Un cadeau du Ciel particulièrement opportun !

—    En effet. Avez-vous pu interroger ce M. de Solages?

—    Dès ce matin je me suis présenté à son domicile... Il n’a fait aucune difficulté à me confier que se trouvant à court de liquidité, il s’en était servi pour s’en procurer, précisant que c’était le présent d’un de ses amis qu’il ne m’a pas nommé mais son histoire m’est apparue boiteuse : c’est une curieuse idée que d’offrir à un homme dont les initiales sont L.S., un objet marqué sous le tortil de baron d’un H et d’un F. En sus, l’un et l’autre de ces messieurs font partie de la confrérie chère à Monsieur. Ce qui rend mes investigations délicates. Nous ne sommes plus, hélas, au temps de la Chambre ardente et de mes pouvoirs exceptionnels !

À mesure que La Reynie parlait, Charlotte sentait venir et croître une sorte de malaise. Derrière les paroles de cet ami, elle devinait une intention déplaisante :

—    Dites-moi la vérité, s’il vous plaît...

—    Je viens de vous la dire.

—    Mais pas ce que vous pensez... Est-ce que, éventuellement, les pillards de cette maison pourraient être... des amis de mon époux? Je vous en prie, ajouta-t-elle, vous en avez trop dit ou pas assez.

S’il hésita encore ce ne fut qu’un instant. Il la savait courageuse et, après tout, il n’y avait pas eu de sang versé :

—    Entendu. Mais pour commencer, répondez à une question ! Quand Saint-Forgeat est venu réfugier ici ses quintes de toux et autres éternuements, c’est le chevalier de Lorraine qui vous l’a amené, n’est-ce pas ?