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—    En effet ! J’espère que vous n’imaginez pas que M. de Saint-Forgeat faisait partie de ces voleurs ?

—    Pas lui, rassurez-vous, mais je suis intimement convaincu qu’on l’a envoyé en estafette... pour établir un inventaire. Souvenez-vous de ce que nous soupçonnions l’autre jour ! Cette fois c’est une quasi-certitude. Pour ces messieurs cela a dû être une joyeuse partie d’un genre nouveau. D’autant qu’ils ont déjà été capables de bien pis...

—    Des gentilshommes se livrant au pillage d’une maison amie ? C’est à peine croyable ! Qui en était selon vous?

—    Difficile de savoir mais mon nez me souffle que le chef n’était autre que le chevalier de Lorraine en personne.

—    Mais pourquoi ?

—    Le diamant, voyons ! Le Roi et son frère ne sont pas les seuls à aimer les pierres précieuses à la passion. Lui n’y manque pas. Il en aurait rassemblé une appréciable collection dans son domaine de Fromont. La vôtre en serait le clou et s’il avait pris la tête de la bande, c’était afin d’être sûr qu’il ne lui échapperait pas ! Ah ! Voilà Mlle Léonie qui nous revient !

Elle arrivait même en courant, aiguillonnée par la curiosité. Les visites de La Reynie exerçaient sur elle une fascination et Merlin venait de lui apprendre que l’on avait reçu le comte de Brécourt.

—    Monsieur le lieutenant général ! C’est une joie sans cesse renouvelée de vous voir !

—    Pourtant je ne suis pas souvent porteur de bonnes nouvelles.

—    Toutes les nouvelles sont bonnes à prendre ! Lâcha-t-elle en se laissant tomber sur le banc un peu essoufflée.

Ce faisant, elle remarqua l’écrin que Charlotte y avait reposé et naturellement l’ouvrit :

—    Sainte Vierge! D’où sortez-vous cela? C’est superbe!

On la renseigna. Elle devint songeuse et laissa ses doigts errer parmi les entrelacs scintillants :

—    Quel homme étrange, ce Charles de Brécourt ! Il vous haïssait sans même prendre la peine de le cacher et voilà qu’il vient vous annoncer qu’il va se battre sous la bannière de Malte et, avant de partir, vous apporte le plus beau des joyaux de sa mère !

—    Je pense que c’est le fruit d’une longue réflexion, avança Charlotte. Il a fini par admettre que j’étais innocente de ce dont il m’accusait et vous n’imaginez pas à quel point j’en suis heureuse !

—    On peut comprendre votre soulagement, approuva La Reynie. Il faut croire que ce jeune homme a vu la lumière, ce qui expliquerait ce soudain besoin de se rapprocher de Dieu! Je me souviens l’avoir vu un jour chez feu M. Colbert qui le tenait en grande estime... Mais je n’avais pas remarqué qu’il boitait !

Charlotte rougit jusqu’à la racine de ses cheveux blonds et détourna la tête si visiblement embarrassée que le policier sourit :

—     Désormais vous prierez pour lui, je pense ?

Elle sut alors qu’il avait tout compris et se prépara à rompre les lances qu’il faudrait pour préserver Charles. Elle le regarda droit dans les yeux :

—    Chaque jour et tant que je vivrai ! assura-t-elle.

—    Vous aurez raison... Et nous, souhaitons-lui de se couvrir de gloire au service de la Religion comme il l'a fait jusqu’à présent au service du Roi !

Le lendemain, en arrivant au Châtelet, M. de La Reynie se fit apporter par Alban Delalande le dossier -assez mince d’ailleurs ! - consacré au double meurtre de Saint-Germain. De son ample écriture, il traça en travers de la couverture : « Sans suite à donner. » Puis, se ravisant après un instant de réflexion, alla tout simplement le jeter dans le feu.

Et se tournant vers son assistant éberlué :

—    Je t’expliquerai ! dit-il seulement.

TROISIÈME PARTIE

DES TÉNÈBRES À LA LUMIÈRE.

CHAPITRE IX

LA CHAISE ESPAGNOLE

A l’invitation de Madame, Charlotte s’apprêtait à passer les fêtes de fin d’année à Versailles. La pauvre princesse éprouvait le plus grand besoin de s’entourer d’affection après ces longs mois de tristesse qu’elle venait de subir. Il semblait, en effet, que le sort eût pris à tâche de tourmenter la maison d’Orléans.

Cela avait commencé en juillet avec la mort de celle qui, avant Élisabeth-Charlotte, avait été pour la cour de France la princesse Palatine. Anne de Gonzague, fille du duc de Nevers, avait en effet épousé jadis par amour le plus beau des oncles de Madame, le prince Édouard, qui était aussi le plus paisible et le moins aventureux de la famille. Venu jeune à Paris, il avait fréquenté les salons où il était considéré comme l’homme le plus séduisant qui soit. Anne de Gonzague, douée elle aussi d’une grande beauté mais d’un caractère bien trempé facilement tourné vers l’intrigue, en était tombée amoureuse et n’avait eu aucune peine à se l’attacher « par les liens les plus doux ». Elle avait huit ans de plus que lui mais il était impossible de s’en apercevoir tant elle avait de vitalité et de fraîcheur... Mariée en 1645, elle mit au monde trois filles avant que son bel - mais insipide ! -époux ne disparaisse en 1663. Pour Monsieur, elle était l’amie de toujours et pour Madame, sa nièce, celle qui avait arrangé son mariage. Elle constituait en outre un abri non négligeable dans les méandres d’une vie conjugale sur laquelle les vents contraires soufflaient de plus en plus souvent. Partie rendre compte au Seigneur de ses nombreux péchés - souvent parfumés ! - après une conversion retentissante due à des rêves qu’elle jugeait surnaturels, la première Palatine laissait un vide énorme, notamment auprès de Monsieur dont elle était la conseillère en toutes choses, à commencer par ses atours.

Elle était à peine enterrée que le pauvre prince tombait malade. Mais pas de ces petits maux quasi féminins provenant de ses nerfs délicats mais d’une solide maladie dont il pensa mourir. C’était, selon la formule un brin hermétique des médecins, « une fièvre double tierce avec des redoublements ». Madame, qui n’aimait pas les médecins, les considérant plus ou moins comme des assassins en puissance - surtout depuis la mort suspecte de la Reine[16]! -, en fut épouvantée et se dépensa sans se ménager à son chevet. Ce fût elle qui lui procura un remède anglais connu sous le nom de « poudre de Milady Kent » dans laquelle entrait du quinquina et qui vint à bout de la maladie. On respira et Monsieur ressuscita.

Ce fût pour recevoir de Chambéry des nouvelles affligeantes. Le mariage de la charmante Anne-Marie d’Orléans avec Victor-Amédée n’était guère réussi. Coureur et débauché, le duc n’allait pas tarder à tomber sous le charme de la troublante comtesse de Verue, dite « la dame de volupté », qui allait lui coûter une fortune et désespérer une jeune épouse considérée comme une machine à produire des enfants. Ce à quoi elle ne manqua pas d’ailleurs puisqu’elle lui en donna huit. La couronne de Sardaigne qu’elle coiffa par la suite ne la consola pas...

Côté espagnol, c’était pis encore, et les lettres que l’on recevait - librement cette fois ! - de la jeune reine étaient effrayantes. La coterie de sa belle-mère venait de tenter de l’impliquer dans un complot contre la vie du roi son époux. Les aveux tardifs d’un des « conjurés » et peut-être aussi la crainte d’une réaction violente de Louis XIV avaient fait échapper Marie-Louise à un sort tragique : enfermée au fond d’un couvent elle n’eût sans doute pas tardé à trépasser d’une façon ou d’une autre. C’est du moins l’opinion que Madame exposa à Charlotte :

—    Nous n’avions que trop raison, quand je suis allée porter au Roi cette lettre que vous et la petite Neuville aviez réussi à faire parvenir à Paris par le truchement de ce brave Saint-Chamant. J’avais prévu que, les années s’écoulant sans que la reine d’Espagne présente le moindre signe de grossesse, elle serait en danger car naturellement c’est elle que l’on accuse de stérilité...