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—    Comment ne pas l’être avec un mari impuissant ! Qu’avait alors répondu Sa Majesté à Votre Altesse ?

—    Que la santé de Charles II était mauvaise et ne manquerait pas de le mener au tombeau dans un bref délai et qu’il fallait à tout prix que notre petite reine devienne sa veuve. Ainsi l’exigeait sa politique. Ensuite on la remarierait au successeur...

—    Pour ce que l’on en sait, il n’a pas l’air de se porter plus mal qu’il y a cinq ans et il n’y a aucune raison pour que cela change...

—    ... et c’est elle qui est en danger maintenant. D’ailleurs, entre la passion impuissante de son mari, les perfidies du parti autrichien, le poids d’une étiquette inhumaine... et les autodafés dont on continue à la régaler, elle semble perdre des forces de jour en jour !

—    Je suppose que cette fois Monsieur est au courant. Il a toujours été un bon père. S’en est-il ouvert au Roi?

-— Oui, et je crois qu’il a fait montre d’une certaine énergie mais...

—    Mais ?

Madame haussa des épaules désabusées :

—    On lui a répondu ce dont nous nous doutions : nous n’avons nul droit de nous immiscer dans les affaires de l’Espagne. Marie-Louise est reine couronnée. Elle doit suivre son destin jusqu’au bout... fût-ce un tombeau à l’Escurial !... Un programme qu’elle ne manquera pas de suivre. Savez-vous ce qu’elle sollicite dans sa dernière lettre ? ... Ne cherchez pas, vous ne devinerez pas : elle supplie qu’on lui envoie du contrepoison.

—    Oh non ! C’est à ce point ?

—    Ça l’est ! Monsieur a failli faire une rechute en lisant cela. Il a hurlé comme un loup malade une partie de la nuit qui a suivi la lecture de la lettre et au matin il est venu me demander conseil.

—    C’est une question difficile ! J’avoue être ignorante en matière de contrepoison... si ce n’est le lait.

—    Je ne suis pas plus savante que vous mais Monsieur devrait avoir des lumières en la matière, grâce à ses chers amis Lorraine et Effiat, fit la princesse avec aigreur. Mais encore faut-il le faire tenir à la Reine sans soulever une révolution. Il faudrait que quelqu’un se rende en Espagne afin de le lui remettre en main propre !

—    Quel dommage que Saint-Chamant soit reparti ! Il était le messager idéal.

—    Ce n’est pas certain. Nous sommes sans nouvelles de lui et si l’on réussit à l’accuser d’être l’amant de la Reine, son sort ne sera pas enviable.

—    Dans ce cas, pourquoi pas moi ? Je connais un peu le pays, je parle la langue et en outre Sa Majesté m’aimait bien.

—    Vous oubliez que vous et Cécile de Neuville aviez été proprement chassées de Madrid. Que vous soyez comtesse de Saint-Forgeat n’y change rien. Vous êtes facile à reconnaître ! Ce serait vous envoyer à la mort et je ne le permettrai pas !

—    Que faire alors ?

—    Attendre... et pour une fois laisser agir mon époux ! Il adore sa fille aînée et n’acceptera pas qu’on la lui tue. Même sur un trône ! Le mieux serait peut-être de s’en remettre au Roi ? Finalement, la pauvre petite a été sacrifiée à sa politique et s’il tient à ce qu’elle soit un jour la veuve de son triste mari, il faut qu’il comprenne que le premier soin à prendre est de la garder en vie.

En dépit de ces paroles qui se voulaient rassurantes, Charlotte vit des larmes dans les yeux et sentit la voix de Madame chavirer, et, oubliant le protocole, vint s’agenouiller au pied de son fauteuil :

—    Ce qui me navre, c’est de voir Madame malheureuse. Elle aime trop la vie pour que celle-ci ne le lui rende pas. Elle est si jeune encore[17]. Nous nous préparons à fêter la Nativité et avec l’aide de Dieu...

—    Ah non ! protesta Madame en jaillissant de son siège. Pour l’amour du Ciel, Charlotte, vous n’allez pas vous mettre à prêcher ! Vous me rappelleriez cette vieille gueuse de Maintenon.

Charlotte ne put s’empêcher de rire et se releva :

—    Je ne crois pas que cela arrive jamais. Cependant il demeure que Noël approche et que c’est la fête de la lumière et de la joie !

—    La joie !

La princesse s’était approchée d’une haute fenêtre donnant sur le parc et regardait au-dehors :

—    Venez voir !

Charlotte la rejoignit. Ce qu’elle vit lui fit comprendre pourquoi Madame venait de mettre une telle amertume dans le mot « joie ». Ce temps de décembre étant frais mais exceptionnellement ensoleillé, le Roi venait sans doute de se décider à emmener la gent féminine faire une promenade dans le parc. Les princesses, les dames et les demoiselles titulaires de charges le suivaient. La Dauphine, Mme de Montespan et sa sœur étaient du nombre. Quant à Mme de Maintenon, elle se tenait auprès du souverain encore que légèrement en arrière.

En résumé, il y avait tout le monde sauf... Madame que l’on n’avait pas conviée. C’était à l’évidence la preuve de son exclusion qui s’étalait là, sous ses yeux...

Le sang de Charlotte ne fit qu’un tour. Frappant dans ses mains, elle appela les femmes de l’abandonnée et ordonna qu’on l’habille pour sortir :

—    Il faut se hâter de profiter de ce joli soleil ! déclara-t-elle à Mme du Plessis-Praslin, qui était sans doute la dame d’atour la moins occupée de France. Madame, elle, s’était empourprée :

— Nous ne pouvons pas faire cela, Charlotte !

— Et pourquoi pas ? Le parc est accessible à tous ceux qui souhaitent le visiter[18] et je ne crois pas que Votre Altesse Royale fasse exception ! Nous allons sortir par le Grand Vestibule, puis nous passerons par la porte « des bois » comme si nous souhaitions profiter encore un peu du beau temps après avoir fait un tour en ville.

—    Mais nous allons rencontrer le Roi ?

—    C’est ce que j’espère ! Si Madame veut me faire l’honneur de prendre mon bras, c’est moi qui parlerai !

—    Elle a entièrement raison, cette petite ! approuva la dame d’atour.

Un moment plus tard, enveloppée d’une ample pelisse de velours noir doublée de soie et ornée de renard comme son manchon, Madame s’appuyant sur Charlotte s’avançait à pas précautionneux sur la terrasse où, avant de descendre vers le parterre d’eaux,

Louis XIV s’était arrêté pour donner des explications sur les derniers travaux entrepris. Sa canne d’une main, il faisait de grands gestes de l’autre et ce fût en se tournant qu’il aperçut les deux femmes débouchant de l’angle du château. Et qui s’avançaient en causant tranquillement comme si de rien n’était.

Priant ses compagnes de l’attendre, il les rejoignit, l’œil orageux :

—    Vous ici, Madame ? fit-il d’une voix mécontente après avoir répondu brièvement à leurs révérences. Il ne me souvient pas de vous avoir conviée ?

C’était brutal et des larmes montèrent aux yeux de la pauvre princesse mais Charlotte feignit de ne pas s’en apercevoir :

—    Nous ignorions, dit-elle paisiblement, que le Roi sortirait ce tantôt. Nous venons de l’église Saint-Louis où Madame désirait faire aumône pour la Noël. En descendant de voiture, le soleil nous a tentées et nous pensions nous promener dans les jardins avant de rentrer.

Elle sentait trembler contre elle le bras de Madame, mais sa résolution n’en fût que plus forte. D’ailleurs le visage royal s’adoucissait :

—    C’est une heureuse surprise de vous voir, Madame de Saint-Forgeat. Vous vous faites rare, il me semble ?