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Là-bas, il y avait le charme d’une maison bien tenue n’ayant guère à voir avec son petit deux pièces au Palais-Royal, sa pimpante chambre rose où il se plaisait de plus en plus et à laquelle Charlotte s’était scrupuleusement gardée de toucher, la délicieuse cuisine de Mathilde doublée d’une cave des plus honorables sur laquelle Merlin veillait en connaisseur averti, les longs bavardages avec Mlle Léonie qui était sans doute la personne la plus divertissante qui soit, les parties d’échecs avec M. Isidore qui n’en avait pas fini et de loin avec le catalogue de la bibliothèque pour lequel d’ailleurs Adhémar remplaçait volontiers Mlle Léonie à l’écriture sans imaginer un seul instant qu’il était assis tout justement sur ce diamant qu’il en était venu à croire mythique. Et puis il y avait Charlotte - eh oui ! -, Charlotte avec laquelle il aimait se promener, converser au coin du feu ou au jardin. Elle le traitait en frère aîné plus qu’en époux, mais, n’étant par nature pas très porté sur les plaisirs de la chair -même après avoir goûté à la pratique sodomite ! -, Saint-Forgeat trouvait plutôt agréable d’avoir quelqu’un à aimer platoniquement. C’était moins fatigant et plus doux à l’âme.

De leur côté, les habitantes de l’hôtel de Fontenac en étaient venues à l’apprécier. Non seulement on ne le jugeait plus gênant, mais, devinant petit à petit ce qui pouvait se cacher de misère morale dans la vie que l’on menait chez les amis de Monsieur, elles ressentaient de l’inquiétude quand il repartait et le pressaient de revenir tant elles redoutaient qu’il ne perde au jeu le peu de ressources qu’il lui restait après avoir vendu hôtel et château. Car, malheureusement, Adhémar était resté prisonnier de ce vice où l’on frôlait plus souvent le désastre que le triomphe alors que le bésigue ou les échecs n’offraient pas des émotions aussi violentes que le hoca ou le pharaon. Charlotte ayant précédemment épongé quelques dettes, pas trop criardes heureusement, elle n’en considérait pas moins l’avenir avec inquiétude.

Du côté de Philippe de Lorraine, son intelligence aiguë lui avait permis de pressentir qu’il se passait quelque chose et s’il n’avait pas cru son jeune ami quand il lui avait répondu qu’il se trouvait bien dans l’ancienne ville royale, il en avait conclu qu’il valait mieux - pour un temps du moins ! - ne plus le mêler aux plaisirs les plus faisandés de la confrérie. Il voulait, en gardant la main sur lui, conserver un contact étroit avec cette maison de Charlotte dont son flair lui disait qu’elle recelait un secret.

C’est pourquoi, ce soir-là, il avait décidé que l’on irait faire bombance chez Coiffier avant d’aller admirer les ronds de jambe des danseurs de l’Opéra. La maison était connue depuis plus d’un demi-siècle. Dans les débuts c’était surtout un pôle d’attraction pour les amateurs de jolies filles et aussi de bons vins. Les poètes fréquentant chez les Précieuses du Marais s’y rendaient volontiers lorsqu’ils étaient en fonds :

                           Allons chez la Coiffier

                           Ou bien au Petit-Maure,

                          Je vous veux tous défier

                          De m’enivrer encore.

Chantaient à qui mieux mieux les Voiture, Saint-Amant et autres serviteurs de la muse Erato. Mais avec le temps, le fils de la « Coiffier » avait choisi d’écarter les filles souvent scandaleuses pour donner plus de soins encore à une cave désormais mise en valeur par une cuisine recherchée amenant une clientèle plus huppée et donc plus riche que les rimeurs d’autrefois.

Le chevalier et ses amis furent accueillis avec tout le respect dû à leur qualité, avec cette nuance chaleureuse réservée aux meilleurs clients. Maître Claude Coiffier, patron et maître-queux dont la bedaine tendait le tablier blanc encore craquant d’amidon, les conduisit lui-même jusqu’à la deuxième salle réservée à la clientèle privilégiée, où, averti par un valet du Palais-Royal, il leur avait réservé la meilleure table près du feu allumé dans une cheminée qu’aucun ustensile de cuisine n’encombrait. Garder cette table n’avait pas été une mince affaire, car le cabaret était plein, mais Coiffier savait comment s’y prendre et une large pancarte « Pour Monsieur, frère de S.M. le Roi » avait tenu les amateurs à distance et il n’échappa à personne quand les occupants arrivèrent que le prince n'y était pas, mais les révérences de Coiffier et l’œil de glace du chevalier éteignirent la moindre velléité de contestation.

La maison était célèbre pour son art d’accommoder le gibier, les volailles, avec une mention particulière pour les sarcelles des marais de la Grange-Batelière agrémentées d’un coulis d’écrevisses. On les fit précéder de pâté de Houdan, d’omelette aux crêtes de coq. Puis suivre d’un cuissot de marcassin et l’on arrosa le tout d’un vin de la Romanée qui était l’une des gloires de la Fosse aux Lions.

Comme les autres convives ne se contentaient pas d’eau pure et de légumes, les voix s’élevaient en conséquence. Le degré d’ivresse aussi. Soudain Saint-Forgeat, qui faisait partie des plus sobres, entendit son nom et un éclat de rire général. Cela venait du fond de la salle où des officiers de chevau-légers soupaient en compagnie de trois femmes relativement jolies et cette tablée semblait fort gaie.

Voyant se lever le jeune homme, Effiat intervint :

—     Où veux-tu aller ?

—    Demander à ces gens ce qu’ils trouvent de si amusant en moi. Je viens d’entendre mon nom et on s’est esclaffé... Ce n’est pas une chose que je puisse supporter.

—    Je vais avec toi ! Et c’est moi qui parlerai !

—    Pourquoi ?

—    Etant plus âgé, j’ai plus d’expérience...

Plus de prestance aussi, ce qu’il eut le tact de ne pas ajouter. Le frère cadet du beau Cinq-Mars, le favori de Louis XIII, décapité pour trahison, ne possédait pas sa beauté quasi angélique. La sienne était plus virile, mais avec quelque chose de brutal et d’inquiétant. N’avait-il pas été l’exécutant du complot qui avait conduit à la mort la première femme de Monsieur ? Il se savait impressionnant et comptait là-dessus pour amener à plus de retenue une poignée d’ivrognes.

—    Messieurs, dit-il, vous venez de prononcer le nom d’un de mes amis dont on dirait qu’il vous amuse énormément. J’aimerais que vous m’en donniez la raison.

L’un des officiers se leva, le regard mauvais :

—    Je ne vois pas en quoi cela vous regarde.

—    Je viens de vous le dire, il s’agit d’un ami et je ne vois pas en quoi il donnerait à se gausser.

—    Ni plus ni moins que tous les cocus ! Il est vrai que celui-là a fait ce qu’il fallait pour ça. On lui a donné l’une des plus jolies filles de la Cour et il s’est bien gardé d’y toucher... Il est également vrai qu’elle était chasse gardée...