Выбрать главу

Ainsi qu’il l’avait annoncé, La Reynie avait précédé le défunt d’une heure afin d’être auprès de Charlotte pendant ce moment pénible. Elle l’avait reçu dans la bibliothèque, sa pièce de prédilection, et il n’avait pu se retenir de lui sourire. Dans l’austère robe noire dont elle était revêtue, Charlotte, son teint si pur, ses lumineux yeux verts et ses cheveux d’un blond argenté, souples et soyeux, était plus ravissante que jamais Elle lui avait spontanément rendu son sourire, ayant trop d’honnêteté pour afficher un désespoir qu’elle ne ressentait pas.

Mlle Léonie, elle, avait été soulagée de le voir puisqu’il s’était réservé la tâche épineuse d’apprendre à la jeune veuve pourquoi elle l’était devenue.

Elle-même, durant les quelque trente heures qui s’étaient écoulées depuis sa rencontre avec Alban, avait été bien obligée, finalement, d’affronter une question dont la réponse était si délicate à formuler. Elle avait réussi à s’en dépêtrer par un mensonge parce qu’il n’y avait, sans aucun conteste, nul autre moyen de s’en sortir : elle ne savait rien et M. de La Reynie lui donnerait les précisions qu’elle requérait. A présent, on y était. Elle referma la porte de la bibliothèque sur eux non sans appréhender l’issue de l’entretien. Elle était consciente que Charlotte devait connaître la vérité afin que les mauvais bruits - inévitables encore qu’il y ait quelque indécence à clabauder sur un deuil ! Ne la prennent au dépourvu.

Ce fut Charlotte qui ouvrit le feu :

—    Je veux d’abord vous remercier du soin que vous prenez de moi. Mlle des Courtils de Chavignol m’a dit ignorer la raison pour laquelle M. de Saint-Forgeat, dont le caractère pacifique était connu, en est venu à se battre avec un officier. Elle m’a dit aussi que vous souhaitiez me l’apprendre vous-même. Je suppose donc qu’elle est... très grave ?

—    Quoi qu’on en dise, quand deux vies humaines se mettent en danger, surtout quand le Roi l’interdit, c’est toujours grave. À plus forte raison quand la mort en résulte. Ce qui est malheureusement le cas aujourd’hui... d’autant que l’homme à la langue trop longue est indemne... si l’on excepte sa mâchoire inférieure tuméfiée... Ce qui...

Charlotte tendit une main qu’elle posa sur celle de son visiteur :

—    Par pitié, Monsieur le lieutenant général, cessez de finasser et dites-moi franchement pourquoi et pour qui mon époux s’est fait tuer !

—    Ce n’est pas la première fois que je constate votre courage. Il s’est battu pour vous parce que dans ce cabaret bourré de monde où il soupait avec des amis il a entendu des propos qui lui ont déplu. Que dis-je ? Déplu ? Mis hors de lui.

—    Touchant ma vertu ?

—    En quelque sorte. On faisait une allusion fort clair à ce séjour chez M. de Louvois. Ce Laissac - le bavard ! - racontait qu’il avait pris à son service l’un des deux serviteurs chassés, après vous, par Mme de Louvois...

—    Ainsi, c’était elle ?

—    Oui. Ce qui en a surpris plus d’un étant donné qu’on la tient généralement pour sotte, si ce n’est complètement idiote, et jusqu’à présent elle n’avait pas paru se soucier des aventures amoureuses de son époux. Il ressortait des assertions de ce Laissac que vous étiez devenue la maîtresse du ministre.

Charlotte, fustigée par le mot, se releva livide :

—    Moi, la maîtresse de cette brute ! Comment s’est-il trouvé quelqu’un pour ajouter foi à cette horreur ? Et ce domestique - Rolin, n’est-ce pas ? - qui ne doit rien ignorer de la réalité. Une réalité à ce point odieuse que je donnerais n’importe quoi pour l’oublier...

-— Ne l’avez-vous confiée à personne ?

—    À ma cousine Léonie, évidemment, et en exigeant d’elle un secret presque aussi honteux que les allégations de ce malotru !

—    Et à moi dont vous connaissez l’amitié fidèle, ne la confierez-vous pas ? suggéra gentiment La Reynie. Je sais d’expérience judiciaire que, pour défendre efficacement quelqu’un, il ne faut rien ignorer de sa cause... Je vous en conjure, dites-la-moi cette vérité !

Ne se sentant pas le courage de le regarder en face, Charlotte alla s’accoter à l’embrasure d’une fenêtre :

—    Au fond, pourquoi pas ? murmura-t-elle.

Puis, a peine plus haut :

—M. de Louvois m’a violée trois nuits de suite. La quatrième, j’ai été mise dehors. Il... il m’attachait au lit pour parvenir à ses fins... On me droguait.

—    Oh ! Émit La Reynie choqué. C’est révoltant. On le savait brutal et sans pitié mais comment un homme digne de ce nom peut-il en arriver là ?

—    Il répétait qu’il m’aimait... Il ne se lasse pas de le répéter d’ailleurs !...

—    C’est vrai, vous l’avez revu à la Cour. Comment se comporte-t-il ?

—    De manière innocente pour lui : il n’a fait que céder à la « folle passion » que je lui inspire et non seulement il n’éprouve aucun remords, mais il ne rêve que de recommencer! De préférence avec ma collaboration !

—    Je me doutais bien de quelque chose d’approchant ! Soupira La Reynie assombri. Ce n’est pas la première fois qu’il court des rumeurs de cet ordre à son sujet et malheureusement nous sommes impuissants. En dépit de ses vices, c’est un ministre hors du commun ! Il le sait... et le Roi aussi dont il a l’oreille et, à n’en pas douter, la connaissance de certains secrets d’État[23].

—    Avez-vous un conseil à me donner ?

—    Votre deuil vous écarte de la Cour, sinon je vous dirais de rejoindre Madame et de rester attachée à ses pas jour et nuit si possible. Notre Palatine sait défendre les siens et, en outre, elle exècre Louvois pour ce qu’il fait subir à ses anciens coréligionnaires, les protestants. Monsieur ne l’aime pas davantage, mais la perte de votre époux vous oblige à la claustration de rigueur, par conséquent vous ne devez pas bouger. Le mieux serait de faire surveiller cette demeure dont les derniers déboires démontrent que l’on peut y pénétrer comme dans un moulin. Reste une retraite dans un couvent. Voulez-vous rejoindre à Port-Royal Mme la comtesse de Beuvron, votre amie ?

—    Cher ami, vous savez que je n’ai jamais eu le goût des couvents même en compagnie de Lydie et puisque les convenances me cloîtrent chez moi, c’est, je crois, la meilleure solution. Je ne suis entourée que de gens dévoués. Il me suffira de prendre des précautions supplémentaires. Je vous promets de faire très attention. Cela vous va ?

—    Il le faudra. De mon côté, je verrai à vous apporter de l’aide.

—    Merci, mais vous ne pouvez mobiliser pour moi toutes vos forces de police... et, à ce propos, je voudrais vous poser une question, ajouta-t-elle après une légère hésitation.

—    Laquelle ?

—    Hier matin, de bonne heure, j’ai aperçu M. Dela-lande dont on m’a dit qu’il avait été chargé par vous de m’apprendre la mauvaise nouvelle.

—    C’est exact.

—    En réalité c’est à ma cousine qu’il l’a apprise. Je l’ai vu l’aborder, l’entraîner à l’écart, causer avec une certaine animation puis repartir sans même franchir le seuil de cette maison... On aurait dit qu’elle lui faisait peur. Alors je voudrais que vous me disiez ce qu’il sait de ce duel désastreux.