— Hé, hé !
— Incroyable! Mais de ce coup d’audace, notre défunt ami n’en avait pas la capacité. Tu es sûr de ne pas l’avoir un peu aidé ?
Lorraine se rengorgea :
— L’ennui avec vous, Monseigneur, c’est que vous me connaissez à la perfection. Soit, je veux bien l’admettre mais nous n’en sommes pas plus avancés. Pour ce genre de recherche trois heures ne sauraient suffire. Il faudrait pouvoir séjourner dans l’hôtel et je reconnais que Saint-Forgeat a mal employé son temps. D’abord parce que le diamant était devenu pour lui une fiction. Ensuite, sa chère épouse l’avait finalement convaincu que son père avait dû s’en séparer.
— Il aurait fallu qu’il eût perdu l’esprit ! protesta Monsieur. Un collectionneur ne se sépare jamais volontairement des objets de sa passion ! C’est contre sa nature ! Tu peux m’en croire ! Sur quoi étayait-elle cette conviction ?
— Elle assurait que son père lui a laissé ignorer l'existence de ce trésor malgré l’amour qu’il lui portait alors qu’il se méfiait de l’avidité de sa femme.
— La seconde proposition est valable. En revanche, l’autre ne tient pas. Quand il est mort, la jeunesse de sa fille imposait de ne pas lui faire partager sa prédilection pour les pierres. D’ailleurs, c’est une femme et les femmes ne sont pas capables de voir dans les gemmes autre chose qu’un élément de parure ! Assura sans rire cette vitrine ambulante pour joaillier.
— Si vous le possédiez, ne le porteriez-vous pas ?
— Un gros diamant jonquille ? Oh que oui, mon bon ! Je suis brun et le jaune me sied à merveille. Je le verrais bien au retroussis d’un chapeau...
— ... qui ferait de votre frère un envieu parce qu’il n'en possède pas de semblable ! Mais nous nous égarons ! Si vous voulez vous en souvenir, je déplorais que Saint-Forgeat n’ait pas claquemuré son épouse dans un couvent et, à présent, la question est celle-ci : comment pourrait-on faire pour réparer cette erreur ?
— Tu veux dire l’expédier chez les moniales ?
— À vie de préférence. Après quoi vous pourriez peut-être obtenir du Roi qu’il me fasse don de l’hôtel de Fontenac à titre de consolation de la perte de mon plus cher ami !
— Je croyais être ce plus cher ami ? Se plaignit Monsieur.
— Cela ne fait aucun doute, Monseigneur, mais cette version serait seulement à l’usage de Sa Majesté.
Monsieur, cependant, n’était pas convaincu :
— Je vois ton intérêt là-dedans mais où serait le mien ? Si tu mets la main sur ce maudit caillou, tu ne me le donneras jamais...
— Non, Monseigneur, je vous le vendrai ! conclut le chevalier avec un rond de jambe et un profond salut.
À l’issue d’un entretien aussi hautement moral, Lorraine, sans chercher à atténuer la campagne de dénigrement lancée contre Charlotte, entreprit de l’alimenter d’une façon différente. Il avait songé d’abord à l’attaquer sur la religion : elle aurait pu nourrir secrètement l’amour du protestantisme - dû à quelque aïeul ou aïeule ! -, ce qui expliquerait l’éloignement dont elle s’obstinait à faire preuve pour la vie religieuse à laquelle sa mère la destinait primitivement. Mais c’était tout de même épineux, exigeait des recherches fastidieuses et sans doute deux ou trois faux témoignages. Or, quand il poursuivait un but, le beau Philippe, naturellement paresseux, était en général extrêmement pressé. Aussi décida-t-il de jouer la carte Louvois.
Pour un familier des lieux, rencontrer le ministre « par hasard » ne présentait aucune difficulté : il suffisait d’errer à l’endroit idoine en guettant sans en avoir l’air la sortie du Conseil. L’aborder était plus délicat, les deux hommes n’éprouvant l’un envers l’autre qu’une sympathie mitigée. Le prince lorrain considérant le ministre comme un parvenu et Louvois étant de mœurs trop viriles pour se sentir attiré par les charmes du favori de Monsieur... Aussi le chevalier tourna-t-il la difficiflté : se maintenant à une certaine distance de la porte du Conseil, il se mit à courir faisant mine de poursuivre quelqu’un lorsque les portes s’ouvrirent. Dès qu’il repéra son gibier, il le heurta, fit tomber sa canne et son portefeuille, manqua le renverser mais réussit à le maintenir debout. Et cela fait, joua la confusion :
— Que d’excuses, Monsieur de Louvois ! Croyez-moi vraiment confus mais je courais après un ami que j’avais cru reconnaître au bout de la galerie. J’espère au moins ne pas vous avoir blessé ? ajouta-t-il en ramassant pour le lui tendre l’épais maroquin rouge.
— Non pas, non pas, je vous remercie ! répondit l’agressé » qui retrouvait son équilibre grâce à un courtisan qui lui rendait sa canne.
Lorraine alluma pour lui son plus étincelant sourire et demanda avec sollicitude :
— Voulez-vous accepter mon bras pour cheminer un petit peu ? Il se trouve justement que je pensais à vous.
La surprise empêcha Louvois de réagir à son accou-tumée. Il accepta le bras si obligeamment offert : sa mauvaise jambe le faisait souffrir et il aurait volontiers maudit le maladroit, mais il convenait de prendre des gants avec le plus « tendre » ami de l’imprévisible frère du Roi. En outre sa dernière phrase avait de quoi étonner.
— Vous pensiez à moi ? fit-il déjà sur la défensive.
— Mon Dieu, oui ! Il faut que je vous confie, dit-il en baissant considérablement le ton, que je me suis rendu hier tantôt à Saint-Germain visiter cette malheureuse qu’avait épousée l’un de mes vieux amis et sur le sort de laquelle vous vous étiez penché. C’était pure charité de ma part mais elle m’avait envoyé un billet me priant de la venir voir. C’est compréhensible : j’étais auprès de son époux en ce moment tragique et il m’était très attaché...
— Sans doute, sans doute ! Que voulait-elle ?
— Parler un peu. Elle est très seule, vous savez ? Surtout depuis que le Roi lui a fait défense de paraître à Versailles. Elle vous reproche de l’avoir abandonnée à la vindicte de la Cour...
Louvois eut un haut-le-corps et son visage plein s’empourpra :
— Vous me surprenez fort. Chaque fois que j’ai voulu m’approcher d’elle, je n’ai essuyé que rebuffades. Et maintenant vous venez m’apprendre que je devrais m’occuper d’elle ? C’est à n’y rien comprendre...
— Plus bas, s’il vous plaît. Ce que j’ai à dire n’est que pour vos oreilles ! En outre, comprenez donc qu’après le bruit causé par son retour à la Cour, il lui était malaisé d’agir différemment et si vous consentez à écouter quelques conseils... Mais tirons à l’écart ! Il y a vraiment trop de monde ici !
Sous l’œil légèrement surpris de ceux qui les connaissaient, les deux hommes penchés l’un vers l’autre comme de grands amis quittèrent la galerie à petits pas et en baissant la voix de plus en plus jusqu’à arriver au murmure.
Ils déambulèrent sans même s’en apercevoir devant Mme de Montespan, qui se garda de les aborder. Elle avait réussi à saisir au passage des bribes de paroles qui lui donnèrent à penser. Sourcils froncés, elle les regarda se fondre dans la foule, perplexe. La subite entente de ces deux oiseaux ne lui disait rien qui vaille…
CHAPITRE XII
L’ATTENTAT
Au lieu de suivre son impulsion du moment et de courir derrière Louvois pour en tirer ce qu’elle voulait savoir- elle avait nettement saisi au passage le nom de la petite Saint-Forgeat et n’augurait rien de bon de la subite entente de ces deux personnages -, elle rentra chez elle, laissa passer la nuit et, le lendemain, lui fit porter une lettre priant le ministre, courtoisement - on ne piège pas les mouches avec du vinaigre ! -, de passer la voir dans ce nouvel appartement qu’elle ne cessait de faire remanier afin de retarder le plus possible la date fatidique où il lui faudrait se décider à y effectuer quelques séjours au lieu de réintégrer régulièrement Clagny. Elle avait réussi à transformer ce lieu de pénitence en une pure merveille qui excitait les curiosités et que beaucoup lui enviaient sans même avoir eu l’honneur d’en franchir le seuil. Louvois était du nombre et, sans trop savoir ce qu’elle lui voulait, il se rendit sans hésitation à son invitation.