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—    Vous n’avez rencontré personne ?

—    Pas une âme ! La forêt est l’une des chasses du Roi et les brigands préfèrent l’éviter... Si l’on a le malheur de tomber sur un garde, on se retrouve branché au premier arbre sans même avoir le temps de se reconnaître... Grâce au Ciel, je n’en ai pas rencontré ! Mon aspect piteux aurait pu m’être fatal. Cela dit, je vous serais reconnaissant de me laisser dormir. M. de La Reynie ne sera peut-être pas là avant ce soir...

Trois heures plus tard, il arrivait dans la voiture de Mme de Montespan et avec une dizaine de cavaliers armés. Isidore, qui dormait pourtant comme un ange, fut extrait de ses couettes, habillé à l’exception des souliers que l’on remplaça par des pantoufles et installé dans le véhicule :

—    Désolé ! S’excusa La Reynie mais vous êtes indispensable pour retrouver la maison !

—    Ne le soyez pas ! Je ne voudrais manquer cela pour rien au monde.

La marquise prit place auprès de lui, ravie de jouer un rôle dans l’aventure. Avec sa grande mante sombre, ses coiffes et son voile, elle offrait une silhouette à peu près identique à celle de son ancienne suivante. Il s’agissait, en effet, de se faire ouvrir une propriété privée appartenant sans doute à l’homme le plus puissant de France après le Roi et ce, au mépris de la légalité puisqu’on n’était pas en possession d’un ordre royal, le seul document qui eût autorisé à s’en prendre aux biens du ministre.

—    De toute façon, assura-t-elle, dès que nous aurons récupéré Charlotte, je la ramène à Clagny et je vais en référer au Roi ! Il faut en finir avec les manigances de Louvois !

—    Sera-t-elle bien en sûreté chez vous ? Clagny, c’est Versailles, et elle n’est pas autorisée à s’y montrer, fit remarquer Mlle Léonie.

—    Vous cherchez la petite bête, ma chère, Clagny, c’est chez moi...

—    Oui, mais c’est l’une de vos anciennes servantes qui l’a enlevée...

—    Je réponds des autres ! Et je ne vois aucun inconvénient à ce que vous veniez la rejoindre ! Je vous accueillerai de grand cœur et vous serez rassurée.

—    Oh, c’est vraiment trop généreux et je ne sais...

—    Après, les congratulations ! Coupa La Reynie. Nous n’avons plus une minute à perdre...

On partit aussitôt et les quelque deux lieues furent couvertes à allure soutenue. Il ne pleuvait pas mais une légère brume s’étendait sur la forêt et la vallée de la Seine. Passé Poissy on n’eut aucune difficulté à trouver la maison qu’avait située M. Isidore. D’ailleurs, le morceau de soie bleue emprunté à la doublure de son vêtement n’avait pas bougé, ainsi que le constata La Reynie, qui, laissant son monde hors de vue, était allé examiner les lieux en éclaireur.

Derrière la grille, une avenue bordée d’ormes traversait un jardin assez mal entretenu. Au bout était une maison carrée datant du roi Henri et de bonne apparence où le seul signe de vie se manifestait par la fumée s’échappant d’une cheminée. Un coup d’œil suffit au policier pour embrasser l’ensemble et il se hâta de rejoindre les autres pour éviter d’éveiller l’attention du gardien dont le petit pavillon se tenait à la lisière.

—    A vous de jouer, Madame la marquise ! Souffla-t-il avant de remonter à cheval. La brume s’épaissit et j’espère qu’on ne remarquera pas de différence.

La voiture se posta devant l’entrée et le cocher descendit tirer la cloche pendue au pilier de la grille. Le concierge sortit et examina l’équipage :

—    Vous voilà déjà de retour ?.... Qu’est-ce ce qui se passe ?

Mme de Montespan avança son visage voilé à la portière:

—    Ouvrez-moi ! Intima-t-elle en imitant l’accent normand de sa transfuge. J’ai omis de dire quelque chose d’important...

—    Qu’est-ce que c’est ? Vous ne pouvez pas me le dire? Ça m’ennuie d’ouvrir dans la journée. Les ordres sont...

—    Je n’ai que faire de vos ordres. Laissez-moi passer ou vous pourriez le regretter...

—    Mais je tiens à mes ordres, moi et... oh, mon Dieu ! Qu’est-ce que vous me voulez ?....

La Reynie venait de surgir, braquant un pistolet sur l’homme soudain terrifié :

—    On vient de te le dire ! Tu ouvres ?

Ce fut vite fait. La Reynie sauta en voltige sur l’arrière de la voiture, qui s’engagea sous les arbres. Les gardes s’engouffrèrent à sa suite, sauf l’un d’eux qui se chargea de neutraliser le concierge pour l’empêcher de refermer. Après quoi il rejoignit ses compagnons.

Attiré par le bruit de la cavalcade, un homme apparut sur le seuil de la maison. Il était bâti comme un ours, vêtu, tel un bourgeois, de drap marron, et son visage rouge aux traits épais s’encadrait de cheveux bruns coupés carrément sous les oreilles. Les yeux foncés et ternes s’abritaient sous d’épais sourcils qui se rejoignaient presque au milieu du front. Croyant reconnaître le carrosse - la pente du chemin et les arbres lui ayant dissimulé ce qui se passait à la grille-il ne semblait animé par aucune intention belliqueuse.

Il descendit même les marches du perron pour parler à l’occupante de la voiture dont le cocher vint ouvrir la portière et déplier le marchepied.

—    Vous avez oublié quelque chose ou bien...

—    Rien du tout ! Nous venons chercher quelqu'un, répondit gracieusement Mme de Montespan en descendant et en rejetant son voile.

—    Mais vous n’êtes pas Jeanne...

—    Non, je ne suis pas Jeanne. En revanche, je suis celle qu’elle a volée mais c’est sans importance. Je viens seulement réclamer Mme de Saint-Forgeat...

—    Madame de quoi ?

— Cela suffit, coupa La Reynie en agitant sous le nez de l’homme son pistolet et un document à moitié déroulé, orné d’un énorme sceau de cire rouge des plus impressionnants que l’homme regarda dubitatif mais sans oser y toucher. Si vous ne voulez pas nous remettre.de bon gré la personne qui a été amenée ici hier soir, nous allons fouiller la maison. Allez vous autres ! ordonna-t-il.

Cependant le gardien tentait de protester :

—    Mais, Monsieur, vous êtes dans la propriété de...

—    M. de Louvois ? Je sais et moi je vous répète que j’agis au nom du Roi. Je suis le lieutenant général de Police !

—    Je peux chercher aussi ? pria Mme de Montespan, que cette aventure amusait énormément. J’adore visiter les maisons !

—    Mais, je vous en prie !

Elle entreprit de visiter l’intérieur, qui, à sa surprise, était d’une propreté douteuse et sommairement meublé. Cela sentait l’abandon. Rien à voir avec un nid d’amour...

Ce fut elle qui découvrit Charlotte. Rapidement d’ailleurs: couchée dans un vaste lit tendu de damas bleu paon, elle dormait si profondément qu’il fut impossible de la réveiller vraiment. Elle entrouvrit un œil, murmura des paroles incompréhensibles et se rendormit.

—    Il y a combien de temps qu’elle est dans cet état ? demanda la marquise à la femme accourue en entendant le remue-ménage, pourtant discret - une forte commère qui devait être l’épouse de l’homme du rez-de-chaussée.

—    Elle était comme ça en arrivant. J’ai eu du mal à lui faire boire du lait. Elle n’est pas malade au moins ?

—    Comment voulez-vous que je le sache ? On a dû lui faire avaler je ne sais quelle mixture. Votre maître est-il venu la rejoindre cette nuit ?

—    Non. C’est ce soir qu’on doit venir et...

—    Eh bien on aura une surprise... Aidez-moi à l’habiller !

Charlotte, en effet, n’était couverte que d’une chemise de nuit de mousseline et de dentelles blanches aussi seyante que transparente. Spectacle qui arracha à la marquise un sifflement admiratif d’une élégance discutable.