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—    Vous êtes impitoyable... mais je promets !

—    Il va se rendre à Versailles pour demander audience au Roi...

—    Oh ! Merci, mon Dieu !

Il n’y eut qu’un hiatus dans le programme élaboré par Mlle Léonie : le docteur Bouvier avait pris le chemin des Pays-Bas le matin même. Lui et les siens avaient veillé sur la santé de la ville royale depuis deux siècles mais avaient refusé d’abjurer la religion protestante...

Charlotte dut se contenter de lait chaud et d’un mélange de camomille et de tilleul... tandis que la maison retentissait des imprécations de sa cousine...

D’esprit ouvert, Léonie estimait que l’important sur la terre était d’être chrétien. C’était Dieu qui comptait et qu’on Le prie en latin ou dans sa langue maternelle ne la troublait guère : ce qu’il fallait c’était prier. Bien sûr, les différences de dogme et de cérémonial la dérangeaient, surtout le refus de l’immaculée Conception à la Sainte Vierge qu’elle vénérait particulièrement, mais il n’était rien que l’on ne pût discuter au pays de Descartes et l’édit du bon roi Henri était passé comme un baume sur les déchirures sanglantes des guerres de Religion. Tout était rentré dans l’ordre et les protestants s’étaient remis au travail. À présent on les chassait sur les routes, on les envoyait aux galères ou pis encore et, à une époque où les médecins étaient souvent des ânes, on venait de chasser l’un des meilleurs d’entre eux... C’était à pleurer !

En arrivant à Versailles, La Reynie apprit que le Roi s’était rendu à l’Orangerie où l’on exécutait de grands travaux et s’en réjouit : il y avait une chance de le trouver de bonne humeur et Dieu sait si la couleur du temps était primordiale ! Il trouva Louis XIV dans l’Orangerie primitive dont on allait doubler les dimensions. Sa canne sous le bras, il dessinait dans l’espace des formes géométriques de ses deux mains cependant qu’on l’écoutait avec un respect quasi religieux.

Son regard saisit l’arrivant au passage. Il abrégea sa démonstration, reposa sa canne à terre et, d’un geste qui mettait fin à toute discussion, vint le rejoindre. Mais son visage indéchiffrable n’indiquait pas si la visite lui plaisait ou non. Le policier recommanda son âme à Dieu !

—    Ah ! Monsieur de La Reynie ! Vous venez admirer nos nouveaux travaux ? Les orangers prolifèrent avec tant de vigueur qu’il leur faut absolument un nouveau logis et mieux orné. Mais je suppose, ajouta-t-il en considérant le sourire contraint du policier, que ce n’est pas d’eux dont vous désirez parler...

—    Non, Sire, en effet, et j’en demande humblement pardon à Votre Majesté. J’ai le malheur d’être plus souvent trouble-fête que porteur de bonnes nouvelles !

—    Alors, expédions la chose ! Nous sommes de charmante humeur aujourd’hui et aimerions le rester. De quoi s’agit-il ?

—    De mon jeune cousin, Alban Delalande, qui a agressé M. de Louvois au sortir de l’Arsenal il y a deux jours.

—    Triste affaire !.... Impulsion regrettable et difficile à justifier ! Cet homme a été pris de folie ?

—    Non, Sire, de fureur. Ce malheureux garçon était désespéré, au-delà du raisonnement...

—    Faisons quelques pas ! Je n’ai pas envie que l’on nous entende. Donc, si je vous suis bien, il voulait tuer mon ministre et vous admettrez que le cas est grave. Louvois a failli trépasser...

—    Mais il n’en est rien, grâce à Dieu !

—    N’en demeure pas moins la volonté de tuer. C’est un crime !

—    Dont je ne voudrais pas qu’il ne soit pas sans pardon. Le Roi est si fort au-dessus du commun des mortels qu’il lui est sans doute difficile de comprendre comment peut réagir un malheureux garçon, passionnément épris d’une noble dame et dont il vient d’apprendre qu’un autre a osé s’en emparer pour l’asservir à sa luxure au mépris de tout droit... et de toute excuse !

Louis XIV s’arrêta pour regarder son lieutenant de Police franchement :

—    Ne me dites pas qu’il s’agit encore de Mme de Saint-Forgeat ?

—    Hélas si. C’est Delalande qui l’avait trouvée après sa fuite du couvent de Saint-Germain et ramenée chez Mme de Brécourt. Il l’aime depuis cette nuit-là !

—    Il est son amant ?

—    Oh, Sire ! Que Votre Majesté veuille considérer la distance qui sépare une fille de la noblesse et un policier roturier... Qu’elle soit à présent veuve ne change rien à la chose.

—    Il est votre cousin ! Ce n’est déjà pas si mal !

—    Le Roi est bien bon mais cela lui semblait insuffisant. Et alors qu’il osait à peine effleurer sa robe, qu’un autre, parce qu’il se croit tout permis et qu’on l’a fait puissant, ait osé la souiller a rendu Delalande fou. Ensuite, lorsqu’il a appris qu’elle venait d’être enlevée une fois de plus, la coupe a débordé et, sans regarder au rang, il a voulu la venger de la honte, et se venger lui-même de son désespoir... Est-ce... si difficile à comprendre ? murmura-t-il avec une soudaine timidité.

—    Et si moi je m’étais rendu coupable de ce forfait ?

—    Oh, Sire ! Le Roi possède un cœur de roi et non celui d’une brute aveuglée par sa puissance ! Ce n’est même pas imaginable.

—    Sans doute, sans doute ! Il n’est pas encore jugé, je pense ?

—    Pas encore... mais cela ne saurait tarder ! Et je redoute, hélas, une condamnation sévère...

—    La mort bien sûr !

—    C’est le Roi qui le dit... mais c’est aussi le Roi qui peut faire grâce ! Les jugements sont soumis à son aval...

Il se garda de lui rappeler - parce que c’eût été du dernier maladroit ! - que jadis Sa Majesté ne s’était pas gênée pour commuer en peine de forteresse à vie la sentence d’exil qui avait sanctionné le surintendant Fouquet. Louis s’était remis en marche et, la tête penchée, réfléchissait. Pendant un moment les deux hommes marchèrent entre les caisses dorées et les feuilles luisantes des orangers. Finalement, le Roi s’immobilisa, si visiblement soucieux que le cœur de La Reynie se serra :

—    Dans le cas présent, je ne peux pas !

—    Mais, Sire, M. de Louvois n’est pas mort !

—    Sans doute, mais il s’en est fallu de peu. La volonté de tuer était réelle... Comprenez-moi, La Reynie, si c’était possible je vous exaucerais mais il faut considérer la situation actuelle. Louvois concentre sur sa personne les haines de la moitié du royaume. Faire grâce à votre cousin c’est donner une sorte d’autorisation tacite à ses ennemis qui rêvent de l’abattre. Et il porte sur ses épaules le poids de ce qui s’accomplit dans le pays... de cette sale besogne à laquelle on ne peut se soustraire et dont je ne serais pas capable. Il m’est indispensable... et bien vivant ! Il me faut donc faire un exemple.

—    Sire ! Gémit La Reynie, les larmes aux yeux. Ne pouvez-vous au moins commuer la peine ? C’est un si bon serviteur de Votre Majesté... et il m’est cher !....

—   Je n’en doute pas... Mais nous consentons à lui éviter la corde infamante : il périra par l’épée comme un gentilhomme... Au fond, ne s’appelle-t-il pas de... La Lande ?

Il n’y avait rien à ajouter... sinon remercier, ce que La Reynie fit, la mort dans l’âme... Cependant, comme il s’apprêtait à s’éloigner, on le retint...

—    Un mot encore ! Que votre jeune amie n’aille pas jouer les héroïnes raciniennes en allant s’offrir en holocauste à son tortionnaire ! Elle se condamnerait à l’enfer sans rien obtenir... qu’une promesse que l’on ne tiendrait pas !

—    Mais enfin, si Votre Majesté pense ainsi, pourquoi assure-t-elle à M. de Louvois une si complète immunité ? Il vient d’écraser trois vies, catholiques sans équivoque celles-là, et il va s’en tirer avec les applaudissements de la Cour ?