— Que nous avons un souverain incomparable et je ne le remercierai jamais assez !
À nouveau elle était à genoux devant le fauteuil de Louis, qui caressa sa joue...
— Vous n’avez que trop souffert... et je ne peux faire moins pour... ma fille !... Non, ne protestez pas. Je trouve une douceur infinie à imaginer que ce peut être vrai... Malheureusement vous allez devoir continuer à vivre à l’écart de la Cour ! Avec peut-être une exception pour Madame qui vous aime et qui pourra vous rencontrer de temps en temps comme elle le fait pour Mme de Beuvron. Et puis, elle vous écrira, évidemment ! Aucune force dans l’univers n’aurait le pouvoir de l’empêcher de prendre la plume ! Allez, maintenant ! Bontemps va vous raccompagner chez Mme de Montespan.
— Elle aussi, je l’aime beaucoup, Sire !
— Je vous crois sans peine. Il peut lui arriver d’être très bonne.
— Le Roi !
L’huissier de la Chambre vêtu du tabard aux armes de France vint s’immobiliser à l’entrée de la galerie des Glaces, du côté du salon de la Paix où se font entendre les violons et les claquements de pieds des gardes du corps. Louis XIV paraît...
Son justaucorps est entièrement brodé d’or, mais contrairement à son habitude, il porte peu de bijoux. Pourtant un murmure d’admiration vole sur la Cour : fixant le plumet de son chapeau un splendide diamant jonquille irradie de mille feux... Personne ne lui a encore connu cette merveille...
Conscient - et sans doute ravi ! - de l’effet produit, Louis XIV s’avance de son pas majestueux, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Monsieur et ses gentilshommes le regardent approcher - en particulier l’un d’eux - avec une stupeur qui leur arrondit les yeux. Il accueille leurs saluts avec grâce.
— Sire, mon frère ! s’exclama le prince sans pouvoir retenir plus longtemps sa curiosité. Vous avez là un fort beau diamant ! Je ne vous le connaissais pas !
— Moi non plus, voyez-vous, et c’est ce qui en fait le charme... Ah, Monsieur le chevalier de Lorraine, je ne vous avais pas vu ! Vous semblez mal à l’aise ce soir ? Seriez-vous souffrant ?
— Le Roi est trop bon de s’inquiéter de ma santé mais je vais bien. Simplement, je suis dans l’éblouissement...
— Ce joyau ? C’est vrai qu’il est beau, n’est-ce pas ?
— C’est une acquisition récente ? demanda Monsieur après avoir avalé sa salive.
— Non, c’est un présent !
— Un présent ? firent-ils tous en chœur, mais...
— D’une dame! C’est pourquoi j’ai pour lui un faible tout particulier !
— Il faut qu’elle soit... fort riche ! Hoqueta Monsieur.
— Ou fort affectueuse! J’en ai été d’autant plus heureux que j’ignorais jusqu’à il y a peu l’existence de cette belle pierre. Sinon, j’aurais sans doute essayé de l’obtenir. Et honnêtement ! Je n’aurais jamais eu l’idée, par exemple, d’envoyer des estafiers fouiller une demeure de fond en comble comme j’en sais certains capables de le faire. Je l’aurais acheté, et sans lésiner ! Mais il se trouve que l’on me l’a donnée.
— Votre Majesté a beaucoup de chance, fit Lorraine sans réussir à dissimuler entièrement son dépit.
Le Roi darda sur le gentilhomme un regard d’où s’était effacée toute trace d’amusement :
— La chance se mérite, Monsieur. Il suffit parfois de faire le bien au lieu de son contraire. Quoi qu’il en soit, nous ne supporterions pas que cette dame si généreuse ait encore à pâtir de mauvais procédés. J’espère que c’est compris ?
Mais, comme chez tous les Guise, l’insolence n’était jamais loin chez le chevalier, ce dernier répliqua :
— Encore faudrait-il que nous connaissions la dame en question.
— Vous ne la connaissez pas ?
— Non, Sire.
— Alors continuez ! Ce sera mieux pour tout le monde...
Et comme on devait assister à un concert, le Roi alla s’asseoir dans son fauteuil et se fit remettre le programme de la soirée...
ÉPILOGUE
Cinq ans plus tard...
Au matin du 17 juillet 1691, Alban Delalande quittait la Bastille dans la voiture de M. de La Reynie, accouru en hâte dès que la nouvelle lui était parvenue : M. de Louvois venait de mourir ! La veille il avait été pris d’un malaise qui l’avait saisi dans le Cabinet même du Roi d’où il était sorti porté par deux valets.
Étrange malaise, d’ailleurs ! Certes, sa santé n’était pas des meilleures depuis quelque temps. L’accumulation de ses charges était écrasante et il travaillait sans discontinuer, aiguillonné par la crainte d’une disgrâce à laquelle, chuchotait-on, Mme de Maintenon œuvrait parce qu’il s’était opposé sans nuances à la publication de son mariage avec le Roi. Certes, il avait de fréquents accès de fièvre qu’il soignait en buvant force eau de Forges qu’il faisait venir, mais nul ne l’eût supposé à cette extrémité. L’homme semblait bâti pour durer et pourtant...
On le rapporta donc dans son appartement de la Surintendance, au bout de l’aile ancienne du château, le long de l’Orangerie. Mis au lit, il fut saigné et purgé. On lui appliqua des ventouses, on lui fit avaler de l’eau apoplectique, des gouttes d’Angleterre et des eaux divines et générales. Rien n’y fit : en un quart d’heure, il était mort...
— Naturellement, conclut La Reynie, le mot de poison court déjà un peu partout...
Mais Alban ne l’écoutait que d’une oreille. Penché à la portière, il dévorait des yeux le paysage parisien baigné de soleil ; il se laissait envahir par les cris de la rue, les bruits de la ville qui lui avaient tant manqué ; il respirait les odeurs - pas toujours suaves d’ailleurs !
— Mais qui étaient celles de la liberté retrouvée. Les murs énormes de la Bastille étouffaient tout cela...
— Où me conduisez-vous ? demanda-t-il.
— Chez toi d’abord pour que tu t’y débarrasses des senteurs de la prison. Ton logis a été entretenu par les soins de M. Sainfoin. Tu as besoin, je pense, de te retrouver toi-même ?
— Ô combien ! J’ai l’impression de renaître... Mais vous avez dit « d’abord » ?
— Ce qui annonce une suite ? Eh bien... ensuite, je t’emmènerai à Saint-Germain.
Le visage dont les traits s’étaient burinés s’illumina :
— Elle m’attend donc toujours ?
— Question idiote ! Elle t’aurait attendu l’éternité s’il l’avait fallu. Son cœur n’est pas de ceux qui se reprennent...
— Alors, allons-y vite, tel que je suis ! Elle s’en souciera peu... et j’ai trop espéré cet instant...
— Tu crois ?
Le trajet entre la Bastille et la rue Beautreillis était court. On arrivait. La voiture stoppa devant la maison.
— Non, ne nous arrêtons pas ! Continuons ! pria Alban.
— Je pense que ce serait dommage, lit La Reynie. Regarde plutôt !...
Alertée par le pas cadencé des chevaux, Charlotte venait d’apparaître sur le seuil de la maison.
— Alban ! cria-t-elle.
Il avait déjà sauté à terre et ils s’élancèrent l’un vers l’autre rayonnants d’un bonheur qui les étranglait à demi. L’instant suivant, ils s’étreignaient, perdus dans ce baiser qu’ils n’espéraient plus. Puis il l’enleva dans ses bras, l’emporta dans la maison dont il referma la porte sur eux d’un violent coup de talon...
Resté seul, La Reynie, revenu de sa surprise, se mit à rire:
— Touche au Châtelet ! cria-t-il au cocher. On n’a plus besoin de nous !