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La comtesse pensait souvent à l’auteur de tant de lettres aimables. Le jour où elle les recevait était agréable pour elle; elle prenait sa barque et allait les lire dans les beaux sites du lac, à la Pliniana, à Bélan, au bois des Sfondrata. Ces lettres semblaient la consoler un peu de l’absence de Fabrice. Elle ne pouvait du moins refuser au comte d’être fort amoureux; un mois ne s’était pas écoulé, qu’elle songeait à lui avec une amitié tendre. De son côté, le comte Mosca était presque de bonne foi quand il lui offrait de donner sa démission, de quitter le ministère, et de venir passer sa vie avec elle à Milan ou ailleurs.

– J’ai 400 000 francs, ajoutait-il, ce qui nous fera toujours 15 000 livres de rente.

«De nouveau une loge, des chevaux! etc.», se disait la comtesse, c’étaient des rêves aimables. Les sublimes beautés des aspects du lac de Côme recommençaient à la charmer. Elle allait rêver sur ses bords à ce retour de vie brillante et singulière qui, contre toute apparence, redevenait possible pour elle. Elle se voyait sur le Corso, à Milan, heureuse et gaie comme au temps du vice-roi.

«La jeunesse, ou du moins la vie active recommencerait pour moi!»

Quelquefois son imagination ardente lui cachait les choses, mais jamais avec elle il n’y avait de ces illusions volontaires que donne la lâcheté. C’était surtout une femme de bonne foi avec elle-même. «Si je suis un peu trop âgée pour faire des folies, se disait-elle, l’envie, qui se fait des illusions comme l’amour, peut empoisonner pour moi le séjour de Milan. Après la mort de mon mari, ma pauvreté noble eut du succès, ainsi que le refus de deux grandes fortunes. Mon pauvre petit comte Mosca n’a pas la vingtième partie de l’opulence que mettaient à mes pieds ces deux nigauds Limercati et Nani. La chétive pension de veuve péniblement obtenue, les gens congédiés, ce qui eut de l’éclat, la petite chambre au cinquième qui amenait vingt carrosses à la porte, tout cela forma jadis un spectacle singulier. Mais j’aurai des moments désagréables, quelque adresse que j’y mette, si, ne possédant toujours pour fortune que la pension de veuve, je reviens vivre à Milan avec la bonne petite aisance bourgeoise que peuvent nous donner les 15 000 livres qui resteront à Mosca après sa démission. Une puissante objection, dont l’envie se fera une arme terrible, c’est que le comte, quoique séparé de sa femme depuis longtemps, est marié. Cette séparation se sait à Parme, mais à Milan elle sera nouvelle, et on me l’attribuera. Ainsi, mon beau théâtre de la Scala, mon divin lac de Côme… adieu! adieu!»

Malgré toutes ces prévisions, si la comtesse avait eu la moindre fortune, elle eût accepté l’offre de la démission de Mosca. Elle se croyait une femme âgée, et la cour lui faisait peur; mais, ce qui paraîtra de la dernière invraisemblance de ce côté-ci des Alpes, c’est que le comte eût donné cette démission avec bonheur. C’est du moins ce qu’il parvint à persuader à son amie. Dans toutes ses lettres il sollicitait avec une folie toujours croissante une seconde entrevue à Milan, on la lui accorda.

– Vous jurer que j’ai pour vous une passion folle, lui disait la comtesse, un jour à Milan, ce serait mentir; je serais trop heureuse d’aimer aujourd’hui, à trente ans passés, comme jadis j’aimais à vingt-deux! Mais j’ai vu tomber tant de choses que j’avais crues éternelles! J’ai pour vous la plus tendre amitié, je vous accorde une confiance sans bornes, et de tous les hommes, vous êtes celui que je préfère.

La comtesse se croyait parfaitement sincère, pourtant vers la fin, cette déclaration contenait un petit mensonge. Peut-être, si Fabrice l’eût voulu, il l’eût emporté sur tout dans son cœur. Mais Fabrice n’était qu’un enfant aux yeux du comte Mosca; celui-ci arriva à Milan trois jours après le départ du jeune étourdi pour Novare, et il se hâta d’aller parler en sa faveur au baron Binder. Le comte pensa que l’exil était une affaire sans remède.

Il n’était point arrivé seul à Milan, il avait dans sa voiture le duc Sanseverina-Taxis, joli petit vieillard de soixante-huit ans, gris pommelé, bien poli, bien propre, immensément riche, mais pas assez noble. C’était son grand-père seulement qui avait amassé des millions par le métier de fermier général des revenus de l’Etat de Parme. Son père s’était fait nommer ambassadeur du prince de Parme à la cour de ***, à la suite du raisonnement que voici:

– Votre Altesse accorde 30 000 francs à son envoyé à la cour de ***, lequel y fait une figure fort médiocre. Si elle daigne me donner cette place, j’accepterai 6 000 francs d’appointements. Ma dépense à la cour de *** ne sera jamais au-dessous de 100 000 francs par an et mon intendant remettra chaque année 20 000 francs à la caisse des affaires étrangères à Parme. Avec cette somme, l’on pourra placer auprès de moi tel secrétaire d’ambassade que l’on voudra, et je ne me montrerai nullement jaloux des secrets diplomatiques, s’il y en a. Mon but est de donner de l’éclat à ma maison nouvelle encore, et de l’illustrer par une des grandes charges du pays.

Le duc actuel, fils de cet ambassadeur, avait eu la gaucherie de se montrer à demi libéral, et, depuis deux ans, il était au désespoir. Du temps de Napoléon, il avait perdu deux ou trois millions par son obstination à rester à l’étranger, et toutefois, depuis le rétablissement de l’ordre en Europe, il n’avait pu obtenir un certain grand cordon qui ornait le portrait de son père; l’absence de ce cordon le faisait dépérir.

Au point d’intimité qui suit l’amour en Italie, il n’y avait plus d’objection de vanité entre les deux amants. Ce fut donc avec la plus parfaite simplicité que Mosca dit à la femme qu’il adorait:

– J’ai deux ou trois plans de conduite à vous offrir, tous assez bien combinés; je ne rêve qu’à cela depuis trois mois.

«1°Je donne ma démission, et nous vivons en bons bourgeois à Milan, à Florence, à Naples, où vous voudrez. Nous avons quinze mille livres de rente, indépendamment des bienfaits du prince qui dureront plus ou moins.

«2 Vous daignez venir dans le pays où je puis quelque chose, vous achetez une terre, Sacca, par exemple, maison charmante, au milieu d’une forêt, dominant le cours du Pô, vous pouvez avoir le contrat de vente signé d’ici à huit jours. Le prince vous attache à sa cour. Mais ici se présente une immense objection. On vous recevra bien à cette cour; personne ne s’aviserait de broncher devant moi; d’ailleurs la princesse se croit malheureuse, et je viens de lui rendre des services à votre intention. Mais je vous rappellerai une objection capitale: le prince est parfaitement dévot, et comme vous le savez encore, la fatalité veut que je sois marié. De là un million de désagréments de détail. Vous êtes veuve, c’est un beau titre qu’il faudrait échanger contre un autre, et ceci fait l’objet de ma troisième proposition.

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